La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1. Alcide de Beauchesne
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Читать онлайн книгу La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1 - Alcide de Beauchesne страница 28

СКАЧАТЬ Madame Élisabeth, bien qu'elle possédât assurément tout ce qu'il fallait pour recueillir un tel héritage, ne parut pas attacher plus de prix à cette union qu'aux autres alliances que la convenance avait indiquées, mais auxquelles la politique avait trouvé des obstacles. Ou peut-être Celui qui règne dans les cieux et de qui relèvent tous les empires, comme dit Bossuet, Celui dont l'œil voyait déjà s'ouvrir dans l'avenir la prison du Temple et se dresser l'échafaud du 21 janvier, n'avait-il pas voulu enlever toute consolation à la maison royale.

      Madame Élisabeth de jour en jour se fortifia contre les écueils de son caractère, de son âge et de la cour; de jour en jour elle sentit davantage ce qui lui manquait. Ses efforts s'accroissaient de sa défiance d'elle-même, et plus elle acquérait de qualités, moins elle se croyait capable de la perfection à laquelle elle devait atteindre. Ce sentiment de son humilité donnait à sa parole une mesure exquise, à ses actions une prudente réserve, à sa charité une discrétion angélique.

      Toutes les jeunes personnes qui s'étaient trouvées en contact avec Madame Élisabeth et qui grandissaient sous ses yeux, participant parfois à ses plaisirs, lui avaient voué une vive et sincère amitié. Il en est trois que le cœur d'Élisabeth avait distinguées tout d'abord et auxquelles elle fit une plus grande part d'affection, payée du plus fidèle et du plus tendre dévouement: l'une était mademoiselle de Mackau, qui par son mariage devint madame de Bombelles; l'autre mademoiselle de Causans, qui épousa M. de Raigecourt; la troisième était mademoiselle de la Briffe, qu'elle avait connue presque enfant. C'était une jeune personne d'un esprit charmant et d'une vivacité d'humeur pleine d'à-propos et d'entraînement. Elle venait d'épouser le marquis des Moutiers de Mérinville. Madame Élisabeth environnait d'une tendre sollicitude cette jeune tête, parée de dons trop précieux pour ne pas être très-remarquée, et ne lui épargnait pas les conseils d'une affection presque maternelle.

      La vie entière de la marquise des Moutiers, aussi bien que celle de mesdames de Bombelles et de Raigecourt, s'écoula sous le souvenir de la haute influence qui avait dominé sa première jeunesse. La vertu de Madame Élisabeth était comme ce sachet d'ambre gris dont parlent les poëtes de l'Asie: son parfum se communiquait et demeurait à tout ce qu'elle avait touché. Nous aurons souvent l'occasion de trouver ces trois noms mêlés aux confidences, aux lettres, aux événements de la vie que nous avons entrepris d'écrire: Bombelles, Raigecourt et des Moutiers, noms aimés qui devaient donner tant de consolation à Madame Élisabeth et emprunter tant de gloire à son amitié!

      Une note écrite par madame de Bombelles, et remise par elle à M. Ferrand en 1795, fait connaître sa première entrevue avec la jeune princesse et la manière dont elle devint sa compagne: «Madame Élisabeth, dit-elle, avoit sept ans lorsque ma mère, désignée par les dames de Saint-Cyr à madame de Marsan comme propre à seconder ses vues et ses soins dans l'éducation de Mesdames, arriva de Strasbourg pour remplir les fonctions de sous-gouvernante. Madame de Marsan, prévenue en sa faveur, la reçut comme si elle eût dû la remercier d'avoir accepté le pénible emploi qu'elle lui avoit confié. Elle voulut voir ma sœur et moi, et nous présenta à Mesdames. Madame Élisabeth me considéra avec l'intérêt qu'inspire à un enfant la vue d'un autre enfant de son âge. Je n'avois que deux ans de plus qu'elle, et étant aussi portée qu'elle à m'amuser, les jeux furent bientôt établis entre nous et la connoissance bientôt faite. Ma mère n'ayant point de fortune, pria madame de Marsan de solliciter pour moi une place à Saint-Cyr. Elle l'obtint, et je m'attendois à être incessamment conduite dans une maison pour laquelle j'avois déjà un véritable attachement. Cependant Madame Élisabeth demandoit sans cesse à me voir; j'étois la récompense de son application et de sa docilité; et madame de Marsan s'apercevant que ce moyen avoit un grand succès, proposa au Roi que je devinsse la compagne de Madame Élisabeth, avec l'assurance que lorsqu'il en seroit temps, il voudroit bien me marier. Sa Majesté y consentit. Dès ce moment, je partageai tous les soins qu'on prenoit de l'éducation et de l'instruction de Madame Élisabeth. Cette infortunée et adorable princesse, pouvant s'entretenir avec moi de tous les sentiments qui remplissoient son cœur, trouvoit dans le mien une reconnoissance, un attachement qui, à ses yeux, me tinrent lieu des qualités de l'esprit et de l'amabilité; elle m'a conservé sans altération des bontés et une tendresse qui m'ont valu autant de bonheur que j'éprouve aujourd'hui de douleur et d'amertume. Je fus mariée à M. de Bombelles. Le Roi voulut bien, sur la demande de sa sœur, me donner une dot de cent mille francs, une pension de mille écus et une place de dame pour accompagner Madame Élisabeth. Cet événement lui causa le plus sensible plaisir. Jamais je n'oublierai l'accent avec lequel elle me dit: «Enfin, voici donc mes vœux remplis: tu es à moi! Qu'il m'est doux de penser que c'est un lien de plus entre nous, et d'espérer que rien ne pourra le rompre!»

      Ce bonheur intérieur que commençait à goûter Madame Élisabeth semblait régner dans le palais de Versailles. Jamais la cour de France n'avait offert un tel spectacle: une jeune Reine y vivait en parfaite harmonie avec deux belles-sœurs de son âge, et un jeune Roi aimait à s'appuyer sur l'amitié de ses deux frères. «La plus grande intimité, dit madame Campan, s'établit entre les trois ménages. Ils firent réunir leurs repas et ne mangèrent séparément que les jours où leurs dîners étaient publics. Cette manière de vivre en famille exista jusqu'au moment où la Reine se permit d'aller dîner quelquefois chez la duchesse de Polignac, lorsqu'elle fut gouvernante; mais la réunion du soir pour le souper ne fut jamais interrompue et avait lieu chez madame la comtesse de Provence. Madame Élisabeth y prit place lorsqu'elle eut terminé son éducation, et quelquefois Mesdames, tantes du Roi, y étaient invitées. Cette intimité, qui n'avait point eu d'exemple à la cour, fut l'ouvrage de Marie-Antoinette, et elle l'entretint avec la plus grande persévérance.»

      Les jeux et les plaisirs dont se montre avide la jeune cour laissent cependant place à des intrigues qui doivent parfois diviser les membres de la famille royale. Le Roi et ses frères ont chacun un caractère différent. Louis XVI, qui possède les vertus d'un homme de bien, est loin d'avoir toutes celles qui conviennent à un roi. Sa défiance de lui-même est extrême. À l'époque où il n'était encore que Dauphin, on agitait une question difficile à résoudre: «Il faut, dit-il, demander cela à mon frère de Provence.» Confiant envers les autres, il se livre aisément; mais il entre dans des emportements fâcheux quand il s'aperçoit qu'on le trompe. Il n'a ni fermeté dans le caractère ni grâces dans les manières. Comme certains fruits excellents dont l'écorce est amère, il a l'extérieur rude et le cœur parfait. Sévère pour lui seul, il observe rigoureusement les lois de l'Église, jeûne et fait maigre pendant les quarante jours de carême, et trouve bon que la Reine ne l'imite point. Sincèrement pieux, mais formé à la tolérance par l'influence du siècle qu'il subit sans s'en rendre compte, il est disposé, trop disposé peut-être à sacrifier les prérogatives du trône toutes les fois qu'on allègue les intérêts de son peuple; car un des premiers intérêts d'une nation est le maintien d'un pouvoir fort et incontesté. Une royauté affaiblie est impuissante à la fois pour le bien et contre le mal.

      Il y a en lui quelque chose d'honnête qui n'accepte pas la solidarité complète du règne précédent; mais, héritier d'un régime dont il porte le poids, il est mal à l'aise entre un passé qui soulève des répugnances et un avenir non point menaçant encore, mais rempli de doutes et de mystères.

      Simple, économe, aimant la lecture et l'étude, cherchant l'oubli du trône dans l'exercice de la chasse ou d'un travail manuel, détestant les femmes sans mœurs et les hommes sans conscience, il semble étranger dans une cour dont les mœurs sont légères et les consciences faciles. Un jeune prince plein de modération, au faîte de la puissance et fidèle au devoir, se regardant comme le père de tous les Français et se sentant attiré de préférence vers ceux de ses enfants qui sont les plus faibles, ne peut être apprécié de ses courtisans, gens pour la plupart frivoles ou endettés, corrupteurs ou corrompus, regardant les innovations comme un danger et les réformes comme un crime.

      Le comte de Provence, dont l'esprit est égal à l'instruction, cache sous une dignité prudente le regret de n'être point au premier rang. Versé dans la culture des lettres, servi par une mémoire prodigieuse, СКАЧАТЬ