Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Vol. 6. Aubenas Joseph-Adolphe
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СКАЧАТЬ alliés craignoient, a dit un bon témoin, que toute la Flandre ne fût perdue si les François remportoient l'avantage, et ceux-ci craignoient que les confédérés n'entrassent en France s'ils remportoient une victoire tant soit peu considérable.51» On attendait en Flandre, comme par un tacite accord, ce qui se passerait sur le Rhin, où était le nœud de la situation.

      Malgré sa mésaventure à la funeste journée de Consarbrüch, le cousin de madame de Sévigné n'avait rien perdu de la bonne réputation qu'il s'était déjà acquise comme capitaine-commandant ou colonel des gendarmes-Dauphin. Pendant quelques jours on avait ignoré son sort. Le 16 août, on apprit enfin qu'il était devenu le prisonnier du marquis de Grana, avec lequel il avait eu occasion de lier amitié quelques années auparavant. Mais voici de quelle honorable et piquante façon avait eu lieu sa capture; rarement madame de Sévigné a jeté une plus jolie narration:

      «Pour M. de la Trousse, depuis mes chers romans, je n'ai rien vu de si parfaitement heureux que lui. N'avez-vous point vu un prince qui se bat jusqu'à l'extrémité? Un autre s'avance pour voir qui peut faire une si grande résistance: il voit l'inégalité du combat; il en est honteux; il écarte ses gens; il demande pardon à ce vaillant homme, qui lui rend son épée, à cause de son honnêteté, et qui sans lui ne l'eût jamais rendue; il le fait son prisonnier; il le reconnoît pour un de ses amis, du temps qu'ils étoient tous deux à la cour d'Auguste; il traite son prisonnier comme son propre frère; il le loue de son extrême valeur; mais il me semble que le prisonnier soupire: je ne sais s'il n'est point amoureux: je crois qu'on lui permettra de revenir sur parole; je ne vois pas bien où la princesse l'attend, et voilà toute l'histoire52.» On sait que M. de la Trousse était, depuis longtemps, amoureux de madame de Coulanges. Il y a là un grain d'épigramme qui va atteindre cette dernière. La rivale que sous-entend madame de Sévigné pourrait bien être cette grosse maîtresse du Charmant (M. de Villeroi), dont elle parle, sans la nommer, dans un autre endroit, comme ayant occupé quelque temps son cousin. Celui-ci fut bientôt mis en liberté, et le nom de la princesse ne resta pas longtemps douteux: le marquis de la Trousse se rengagea plus que jamais dans une liaison qui devait durer autant que sa vie.

      Mais, une fois rassurée sur le compte de son fils, celui qui occupait le plus madame de Sévigné était le chevalier de Grignan, placé, depuis la mort de Turenne, au poste le plus périlleux. L'œuvre de M. Walckenaer, porte, en maint endroit, la trace de la vive affection, de l'estime particulière que madame de Sévigné professait pour ce frère de son gendre, auquel madame de Grignan accordait aussi la préférence sur ses autres beaux-frères. Le chevalier méritait ces sentiments par la franchise et la vivacité de son dévouement pour sa belle-sœur et pour la mère de celle-ci. Un caractère sûr, ferme et froid, même un peu fier, des maximes d'honneur et de vertu, un esprit sensé et mûr avant l'âge, une aptitude militaire reconnue, lui avaient valu l'attention, puis la faveur des hommes sérieux, et Turenne l'avait mis au nombre de ceux qu'il aimait: solide éloge, car il aimait peu de gens, en trouvant peu dignes de son estime. Le chevalier de Grignan, qui faisait la campagne d'Allemagne à la tête du régiment de son nom, était intimement lié avec le duc de Lorges: il fut un de ceux qui le secondèrent le mieux lorsque la mort de Turenne eut fait tomber sur son neveu la rude besogne de maintenir une armée démoralisée, et de contenir un ennemi qui ne doutait plus de rien. C'est ici, dans la biographie de ce membre le plus distingué de la famille des Grignan, sa véritable page d'honneur. Il faut la lui restituer, car les infirmités précoces qui viendront l'assaillir nous retireront trop tôt l'occasion de parler de lui.

      On voit que madame de Sévigné recherche tous les sujets d'entretenir sa fille sur ce chapitre qui lui tient au cœur; heureuse d'écrire les louanges du chevalier, car, dans cette circonstance, elle était plutôt l'organe de l'opinion publique que de sa prédilection.

      «Voilà donc (mande-t-elle le 9 août en annonçant l'heureux combat d'Altenheim) nos pauvres amis qui ont repassé le Rhin, fort heureusement, fort à loisir, et après avoir battu les ennemis; c'est une gloire bien complète pour M. de Lorges… Le gentilhomme de M. de Turenne qui étoit retourné et qui est revenu, dit qu'il a vu faire des actions héroïques au chevalier de Grignan; qu'il a été jusqu'à cinq fois à la charge, et que sa cavalerie a si bien repoussé les ennemis que ce fut cette vigueur extraordinaire qui décida du combat. M. de Boufflers et le duc de Sault ont fort bien fait aussi; mais surtout M. de Lorges, qui parut neveu du héros dans cette occasion. Je reviens au chevalier de Grignan, et j'admire qu'il n'ait pas été blessé à se mêler comme il a fait, et à essuyer tant de fois le feu des ennemis53

      Le surlendemain, elle ajoute: «La Garde vous a mandé ce que M. de Louvois a dit à la bonne Langlée, et comme le roi est content des merveilles que le chevalier de Grignan a faites: s'il y a quelque chose d'agréable dans la vie, c'est la gloire qu'il s'est acquise dans cette occasion; il n'y a pas une relation ni pas un homme qui ne parle de lui avec éloge; sans sa cuirasse il étoit mort: il a eu plusieurs coups dans cette bienheureuse cuirasse, il n'en avoit jamais porté; Providence! Providence54

      De Bretagne, où est encore venu la trouver l'éloge du chevalier de Grignan, madame de Sévigné écrit trois mois après: «Je fus hier chez la princesse (madame la princesse de Tarente, alors à Vitré), j'y trouvai un gentilhomme de ce pays, très-bien fait, qui perdit un bras le jour que M. de Lorges repassa le Rhin… Il vint à parler, sans me connoître, du régiment de Grignan et de son colonel: vraiment je ne crois pas que rien fût plus charmant que les sincères et naturelles louanges qu'il donna au chevalier; les larmes m'en vinrent aux yeux. Pendant tout le combat, le chevalier fit des actions et de valeur et de jugement qui sont dignes de toute sorte d'admiration: cet officier ne pouvoit s'en taire, ni moi me lasser de l'écouter. C'est quelque chose d'extraordinaire que le mérite de ce beau-frère; il est aimé de tout le monde: voilà de quoi son humeur négative et sa qualité de petit glorieux m'eussent fait douter; mais point, c'est un autre homme; c'est le cœur de l'armée, dit ce pauvre estropié55

      Cette journée d'Altenheim fut une journée d'héroïsme. Chacun sentait qu'il y allait du salut de la France. La Fare rend la même justice au neveu de Turenne, et à Vaubrun qui partageait avec lui le commandement, et aussi au jeune gouverneur titulaire de la Provence, dont M. de Grignan tenait la place, et qui inaugurait alors une carrière militaire qui le retint presque constamment dans les camps, au grand avantage de son remplaçant, mais à la grande peine de madame de Sévigné: «M. de Lorges fit ce qu'on pouvoit attendre d'un digne capitaine… Vaubrun lui-même, le pied cassé et la jambe sur l'arçon, chargea à la tête des escadrons, comme le plus brave homme du monde qu'il étoit, et y fut tué aussi avec plusieurs autres… Le duc de Vendôme, fort jeune alors, eut la cuisse percée d'un coup de mousquet, à la tête de son régiment, et donna, dans cette occasion, des marques du courage et des talents qui lui ont fait commander depuis avec gloire les armées du roi dans les conjonctures les plus difficiles56

      Pendant que le chevalier de Grignan se distinguait sur les bords du Rhin, l'un de ses frères, le coadjuteur d'Arles, se signalait à Paris comme orateur de l'Assemblée du clergé, où il figurait en qualité de procureur-député de la province d'Arles, en compagnie de l'abbé de Grignan, le dernier frère, appelé tantôt le bel abbé, tantôt le plus beau de tous les prélats57, lequel remplissait les fonctions d'agent général de la même province. Quoique jeune, le coadjuteur jouissait déjà dans son ordre d'une réputation due surtout à un talent véritable pour la parole. Il y ajouta encore dans cette session de 1675. «M. Boucherat, écrit madame de Sévigné le 9 août, me manda lundi au soir que M. le coadjuteur avoit fait merveilles à une conférence à Saint-Germain, pour les affaires du clergé; M. de Condom et M. d'Agen me dirent la même chose à Versailles58.» Aussi ce fut lui (distinction СКАЧАТЬ



<p>51</p>

Mémoires du chevalier Temple, ministre d'Angleterre, en Hollande, Coll. de MM. Michaud et Poujoulat, t. XXXII, p. 97.

<p>52</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (21 août 1675), t. III, p. 414.

<p>53</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. III, p. 386 et 389.

<p>54</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (12 août), t. III, p. 393.

<p>55</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (17 novembre 1675), t. IV, p. 89.

<p>56</p>

Mémoires du marquis de La Fare, Coll. Michaud et Ponjoulat, t. XXXII, p. 282.

<p>57</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. III, p. 460.

<p>58</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. III, p. 386.