Récits d'une tante (Vol. 4 de 4). Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond
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СКАЧАТЬ complète. Il avait rendez-vous le soir avec des meneurs; il tâcherait de les arraisonner. Il répondait encore des élèves de l'École polytechnique pour quelques heures, mais seulement pour quelques heures! Je ne pouvais rien faire de ces tristes révélations, hors m'en tourmenter.

      Toutefois, quoique Arago ne dit que la vérité, ces dispositions fâcheuses, je dois le répéter, étaient étrangères à la masse de la population soulevée et agissante.

      En voici, encore une preuve entre mille. Je désirais beaucoup faire parvenir une lettre à ma famille alors à Pontchartrain. J'imaginai de l'adresser à mon père, et de charger le porteur de la montrer, en disant que c'était pour convoquer un pair de France.

      Il se présenta à la barrière que personne ne franchissait, à cinq heures du matin le vendredi, et non seulement elle lui fut aussitôt ouverte, mais on lui donna une espèce de passeport pour traverser les endroits se trouvant déjà libérés c'est ainsi que cela s'appelait, en spécifiant sa mission. Je suis bien fâchée de n'avoir pas gardé ce papier. À cette époque, il ne me parut qu'un chiffon bien sale, et il l'était, en effet.

      Je reçus vers cette heure un billet de monsieur de Chateaubriand. Il me mandait avoir été en route pour venir chez moi lorsque son ovation populaire l'avait arrêté. Il n'avait pas encore inventé d'en faire un triomphe national et était plutôt embarrassé de ces cris poussés par quelques polissons des rues. On l'avait mené au Luxembourg. Il avait été outré d'y trouver plusieurs pairs rassemblés sans qu'on eût songé à l'appeler, et, rentré chez lui, il avait écrit à Charles X pour lui demander à aller le trouver et à se mettre à sa disposition.

      J'étais chez madame de Rauzan lorsque nous entendîmes un grand bruit dans sa cour. Elle fut bientôt remplie par un flot de populace traînant une charrette comble de paille, sur laquelle était mollement couchée une pièce de canon dont le peuple souverain venait faire un hommage civique à son héros Lafayette. On renvoya toute cette foule à l'état-major de la garde nationale, rue du Mont-Blanc. Elle ne commit aucun excès; mais elle était laide à voir, ses cris étaient effrayants, de hideuses femmes y étaient mêlées. Ce n'étaient déjà plus mes amis des barricades.

      La pauvre madame de La Bédoyère pensa mourir d'effroi. Il n'y avait pourtant aucun danger; ce n'étaient que des cris de joie et de triomphe, mais de nature à inspirer un grand dégoût.

      Comme je sortais de table, on m'apporta une lettre pour convoquer mon père à se rendre au Luxembourg, où le président du conseil, duc de Mortemart, attendait messieurs les pairs. Monsieur Pasquier passa chez moi en s'y rendant; il était fort en peine de la santé de monsieur de Mortemart.

      Je lui racontai les dispositions de Pozzo et les confidences d'Arago. Je n'en tirai pas grand'chose. Il me parut fort sérieux, convint qu'on avait perdu beaucoup de temps, mais que cependant il y avait encore des ressources si on voulait profiter de l'étonnement où étaient les deux partis, l'un d'être battu et l'autre d'être vainqueur, pour établir quelque chose de raisonnable qui ralliât les masses, car elles ne demandaient que repos et sécurité. Il resta peu d'instants; les communications n'étaient pas faciles, on ne circulait qu'à pied, et beaucoup de temps, si précieux ces jours-là, se trouvait matériellement employé par des courses indispensables.

      Je fus fort surprise de voir entrer chez moi monsieur de Glandevès, parti le matin pour Saint-Cloud avec l'intention d'y rester. Il était blessé jusqu'au fond du cœur de la façon dont il y avait été accueilli. Peut-être la poignée de main donnée à Casimir Perier avait-elle été dénoncée. Toujours est-il que le Roi l'avait très mal reçu et, quoiqu'il fût une espèce de favori, avait affecté de ne lui pas parler.

      Après avoir vainement attendu un moment opportun, il finit par solliciter une audience. Le Roi se plaça dans une embrasure de fenêtre. Il voulut entreprendre de lui parler de la situation de Paris; mais le Roi s'obstina à lui répondre à assez haute voix pour que le baron de Damas et deux ou trois autres affidés de la Congrégation, qui étaient dans la chambre, entendissent ses paroles. Alors monsieur de Glandevès lui dit:

      «Je vois que le Roi ne veut pas m'écouter; je me bornerai donc à lui demander ses ordres sur ce que je dois devenir.

      – Retournez à vos Tuileries.

      – Le Roi oublie qu'ils sont envahis; le drapeau tricolore y flotte.

      – Il est pourtant impossible de vous loger ici.

      – En ce cas, Sire, je partirai pour Paris.

      – Vous ferez très bien.

      – Le Roi n'a pas d'autre ordre à me donner?

      – Non, pas moi, mais voyez mon fils; bonjour, Glandevès.»

      Monsieur de Glandevès se rendit chez monsieur le Dauphin.

      «Monseigneur, le Roi m'envoie savoir si monseigneur a quelque ordre à me donner pour Paris où je retourne.

      – Moi, non, quel, ordre aurais-je à vous donner? vous n'êtes pas de mon armée.»

      Et, là-dessus, il lui tourna le dos. Voilà comment a été congédié, le trente, un des plus fidèles serviteurs de la monarchie. Il en était navré.

      Il avait entendu monsieur de Polignac répondant à madame de Gontaut, qui l'accablait de reproches: «Ayez donc de la foi, ayez donc de la foi, elle vous manque à tous,» et tenir aussi ce propos qu'il a répété plusieurs fois: «Si mon épée ne s'était pas brisée entre mes mains, j'établissais la Charte sur une base inébranlable.» Cette phrase ne s'expliquait pas mieux que sa conduite; il avait, au reste, l'air parfaitement serein.

      En revanche, le pauvre duc de Raguse était désespéré de tout ce qui s'était passé à Paris, accablé de tout ce qu'il voyait à Saint-Cloud, quoique sa scène avec monsieur le Dauphin n'eût pas encore eu lieu.

      Pozzo vint chez moi. Monsieur de Glandevès lui raconta les détails de sa visite à Saint-Cloud, et il en revint à son antienne du matin et de la veille: ces gens-là étaient perdus, finis; Neuilly présentait la seule ressource qui pouvait sauver le pays. Je lui parlai de l'état de monsieur de Mortemart: «C'est un brave et excellent homme, me dit-il; fût-il en pleine santé, il n'est pas de force dans ces conjonctures. D'ailleurs, personne ne le serait avec ces gens-là.»

      Pozzo me quitta de bonne heure. Plusieurs personnes passèrent dans mon salon; j'ai oublié quelles elles étaient. Monsieur Pasquier arriva tard; il avait vu monsieur de Mortemart dans son lit très souffrant d'un violent accès de fièvre. Rien de ce qui s'était passé à l'Hôtel de Ville, ni à la Chambre des députés, n'était favorable à sa mission.

      Le petit nombre de pairs, réunis au Luxembourg, s'y seraient volontiers ralliés; mais ils sentaient combien ils auraient peu d'influence dans ces circonstances. La république, dont personne ne voulait, devenait imminente si on ne prenait promptement un parti, et, sous un nom ou sous un autre, ce parti ne pouvait venir que de Neuilly.

      On savait vaguement que des démarches avaient été faites de ce côté. Enfin, à près de minuit, monsieur de Fréville vint nous apprendre l'arrivée de monsieur le duc d'Orléans au Palais-Royal. Un gouvernement provisoire était décidé. Le prince en serait le chef; les ministres étaient désignés et le général Sébastiani nommé ministre des affaires étrangères.

      Je m'écriai combien c'était un choix fatal. Je connaissais l'aversion de Pozzo pour lui et l'intensité de ces haines corses. Il suffirait de ce nom pour le rendre aussi hostile à monsieur le duc d'Orléans qu'il lui était favorable jusqu'à présent. Son influence sur le corps diplomatique, СКАЧАТЬ