Récits d'une tante (Vol. 4 de 4). Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond
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СКАЧАТЬ 30 juillet, si fertile en grands événements à l'Hôtel de Ville, au Luxembourg, au Palais-Bourbon, à Saint-Cloud, à Neuilly, me laisse moins de souvenirs à relater que les autres jours. Cela est naturel. Le théâtre n'était plus dans la rue, découvert à tous les yeux, et les acteurs se trouvaient trop occupés de leurs rôles pour avoir le temps d'en rendre compte.

      Je reçus le matin la réponse de monsieur de Laborde à mon billet de la veille. Il me mandait l'avoir reçu à minuit, au retour de l'Hôtel de Ville où le duc de Mortemart avait été attendu jusqu'à cette heure. Il y retournait à six dans la même intention, mais il ajoutait: «Je crains que, ce matin, il ne soit trop tard pour le succès de sa mission.»

      Il me promettait un laissez-passer pour monsieur de Glandevès auquel, en effet, monsieur Casimir Perier en expédia un de très bonne heure.

      Je dois noter que, ce vendredi, tous les ouvriers qui travaillaient chez moi revinrent à leur ouvrage, le plus tranquillement du monde. Plusieurs avaient pris une part active aux combats des deux jours précédents, et racontaient ce qui s'était passé autour d'eux avec la plus héroïque simplicité. Je vis aussi rouvrir les ateliers dans mon voisinage.

      Cependant les défenseurs des barricades restaient à leurs postes; on les voyait passer le fusil sur l'épaule et un pain sous le bras. Quelques-uns, voulant afficher un air plus militaire, plaçaient leur morceau de pain au bout de leur baïonnette, mais tous étaient également pacifiques et polis.

      Je fus rappelée à la fenêtre que je venais de quitter par le bruit du tambour. Alors tout faisait émoi, aussi portes et fenêtres furent occupées et garnies de monde en un instant. Nous vîmes s'avancer, à pas lents et précédée d'un tambour, une troupe de gens armés faisant escorte à un brancard garni de matelas sur lequel était couché un homme en attitude de Tancrède d'Opéra. Il faisait signe de la main pour apaiser les cris que personne ne se disposait à pousser en son honneur. En passant sous ma fenêtre, ce modeste personnage leva la tête, et je reconnus la vilaine figuré de monsieur Benjamin Constant. Je ne puis exprimer l'impression que me causa cette vue. Les jours de grandeur et d'héroïsme me semblaient passés; la fausseté et l'intrigue allaient s'emparer du dénouement. Cet instinct ne m'a pas trompée.

      Revenons à ces premières journées. Je me plais d'autant plus à m'y arrêter que celles qui leur ont succédé ont moins permis de leur rendre pleine justice.

      Eh me quittant la veille au soir, Arago avait été arrêté par des ouvriers qui l'engagèrent à travailler avec eux à une barricade. Il avait trouvé prudent de s'y prêter de bonne grâce, tout en ayant bonne envie de s'en aller. Un des travailleurs raconta qu'il était là depuis dix-huit heures sans boire ni manger, qu'il avait grand'faim et pas un sol. Arago crut l'occasion excellente; il tira un écu de sa poche; l'ouvrier tendit la main, mais un de ses camarades l'arrêta:

      «Tu vas accepter cela? Tu te déshonores». L'autre retira sa main en remerciant très poliment et disant à Arago: «Vous voyez bien, monsieur, que cela ne se peut pas.»

      Il s'était alors engagé une discussion entre eux, où monsieur Arago avait voulu leur prouver qu'étant plus riche qu'eux il était raisonnable de le laisser contribuer de son argent, aussi bien que de son bras, à la cause commune.

      Cette considération commençait à ébranler même le donneur d'avis, et Arago reproduisit l'écu; mais il leur proposa d'aller le boire, et cela gâta son affaire.

      «Comment, boire! vous êtes peut-être un ennemi qui veut nous faire boire! Ah bien oui! boire! nous avons besoin de toute notre tête. Qui sait si nous ne serons pas attaqués cette nuit? Camarade, nous avons faim et soif, mais c'est rien que ça, nous mangerons demain. Empochez votre argent, monsieur, et tenez! ramassez ce pavé.»

      La confiance n'était pas si bien établie qu'Arago osât répliquer; il se mit silencieusement à sa tâche. Bientôt arriva un élève de l'École polytechnique inspectant le travail. Il témoigna de grands égards à son professeur, le consultant sur les ordres qu'il donnait. Le héros du pavé les écoutait avec attention, puis s'adressant à l'élève:

      «Mon petit général, ce monsieur est donc des nôtres?

      – Certainement, mon ami.

      – Monsieur, voulez-vous avoir la bonté de nous donner ce que vous nous offriez; nous boirons à votre santé de bon cœur, car nous avons fièrement soif.»

      Une personne de la société, monsieur de Bastard, vit un ouvrier, en faction à l'une des grilles des Tuileries, prêt à s'évanouir; il lui dit qu'on avait oublié de le relever, il était là depuis vingt heures et se sentait exténué.

      «Il faut aller vous restaurer!

      – Mais qui gardera mon poste?

      – Moi.

      – Vous, monsieur, ah! vous êtes bien bon; tenez! voilà mon fusil.

      – C'est bon, voilà cent sous pour payer votre dîner.

      – C'est trop, monsieur.»

      Au bout d'un quart d'heure, l'ouvrier vint reprendre son poste, rapportant trois livres dix sous, son dîner n'ayant coûté que trente sous.

      On ne tarirait pas si on voulait rapporter tous les traits de ce genre. Dans plusieurs quartiers de la ville, on était entré dans les maisons pour tirer par les fenêtres; on avait trouvé des couverts mis, des effets précieux non serrés; nulle part, au milieu de tout ce désordre, il ne s'était commis le plus petit vol. Cependant, il y a eu une espèce de pillage dans les appartements du second aux Tuileries. Il n'est pas impossible qu'il ait eu lieu, après coup, par les subalternes du château. Ils en ont été soupçonnés par les personnes qui habitaient ces appartements.

      Dans le premier moment, le scrupule allait si loin que les matelas, pris à l'archevêché, ont été sur-le-champ, ainsi que l'argenterie, portés processionnellement à l'Hôtel-Dieu.

      Un autre caractère de cette époque, sur lequel on ne peut trop insister, c'est sa tolérance. Je sortis dans cette matinée, donnant le bras à monsieur de Salvandy; ni l'un ni l'autre nous ne portions rien de tricolore. Beaucoup de gens, et surtout les plus hostiles à ce qui se passait, en étaient bariolés.

      Des femmes, stationnant de préférence près des barricades, portaient des cocardes tricolores dans des paniers devant elles et en offraient aux passants comme aux jours ordinaires des bouquets. Seulement, elles avaient remplacé la phrase banale de: «Fleurissez votre dame», par celle de: «Voyez, voyez, monsieur, décorez votre dame.»

      Monsieur de Salvandy les repoussa constamment, avec l'apparence de l'humeur, sans que cela produisît plus d'effet que s'il avait refusé un bouquet de muguet.

      J'allai chez l'ambassadeur de Russie; il avait fait bien du chemin depuis la veille. Outré de l'oubli où on laissait le corps diplomatique à Saint-Cloud, il proclamait hautement l'impossibilité de rentrer dans une capitale qu'on venait d'ensanglanter. Selon lui, la démarche de monsieur de Mortemart était oiseuse; elle ne pouvait pas réussir, il était trop tard. La lâcheté était égale à l'incapacité; il fallait se tourner du côté des Orléans. Il n'y avait de salut que là, tout le monde devait se rattacher à eux, etc… Il y avait plusieurs personnes dans le salon où se tenaient ces discours, je crois même le baron de Werther; je ne voudrais pourtant pas l'affirmer.

      Je ne me rappelle pas au juste l'heure, mais la mâtinée devait être assez avancée lorsqu'en rentrant chez moi je trouvais Arago qui m'attendait. Depuis sa visite du matin, il avait appris qu'on travaillait vivement pour la république. Il venait, disait-il, СКАЧАТЬ