Le roi du Klondike. Auzias-Turenne Raymond
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Название: Le roi du Klondike

Автор: Auzias-Turenne Raymond

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ il envoya sa droite à hauteur de sa gourmette, releva la tête et frappa le sol en hennissant.

      – Si tu avais voulu, il y a cinq minutes! si tu avais su…

       III

      LE «VENDREDI NOIR»

      La machine humaine est bien délicate et fragile; mais ces grands jours de la corbeille où l'on vit trois mille six cents heures en une seule, de onze heures à midi, en plein choc de «taureaux» à la hausse et d'«ours» à la baisse, ces jours inoubliables galvanisent des mourants, centuplent l'énergie des vivants et feraient même ressusciter les morts, si le diable ne réservait à ceux-là le plus raffiné des supplices, celui de suivre la cote sans prendre part au jeu.

      Ah! certes, ils durent cliqueter singulièrement, les squelettes des feus rois de la Bourse, en ce jour de septembre où la puissance qui, jadis, leur donna l'empire du monde, l'or, monta de 143½, cours de l'ouverture, à 150 cours de onze heures et, en deux ou trois soubresauts électriques, jeta New-York, jeta le monde dans la même frénésie que jadis Israël aux pieds de l'idole.

      – Six points et demi en une heure, dix-neuf depuis la reprise d'août!.. Où allons-nous? cria Titi, qui avait envie de réaliser.

      Le sang monta à ses tempes, l'allégresse de ses yeux encore jeunes disaient de quel côté il se trouvait. Sa voix, d'ailleurs, se perdit dans le brouhaha de la foule avec un rugissement de Bloch:

      – 200? Ça montera à 200!.. Je parie cinquante mille dollars que ça touchera 200! Qui tient ce pari, messieurs?

      On ne regarda même pas le chèque brandi en l'air. Vraiment, c'était bien la peine de parler d'une misère de deux cent cinquante mille francs, quand cet enragé de William Belden, se ruant, tête baissée, à droite et à gauche, achetait, à chaque coup, un million de dollars, vous entendez bien, cinq millions de francs! Derrière lui, deux secrétaires pointaient et répétaient à voix haute ses transactions épileptiques «Un… deux… trois… six!..» Les «ours» se regardèrent indécis!.. Sept! huit millions! Et William n'avait pas même changé sa chique de côté? Jusqu'où irait-il? Qu'est-ce qu'il pouvait bien avoir appris avant les autres?

      La formidable phalange des baissiers, que hérissaient douze cent cinquante millions à découvert, se mit à osciller comme une muraille avant un tremblement de terre; la fièvre serra les gorges sèches, les yeux s'agrandirent, tout près de la folie, la congestion spéciale à la Bourse gagnait les têtes les plus solides. On murmurait – qui donc? oh! tout le monde et personne:

      – Il n'y a que cent millions d'or sur le marché; le gouvernement en a quatre cents dans les caves du Trésor, mais il paraît qu'ils le tiennent…

      Même, un petit homme noir, qu'on ne vit plus une fois qu'on lui eut sauté dessus, cria:

      – La clique a garanti dix pour cent de ses profits au cousin de la présidente!

      – C'est faux! Tenez bon! ils vont sauter. Le gouvernement va vendre son or!

      – Allons donc! les acheteurs exigent la liquidation.

      – Refusez; tenez ferme! est-ce que les reports sont faits pour les chiens? Je parie…

      Ce que voulait parier le chef des baissiers, on ne le sut jamais, parce que Belden et sa clique disparurent, furent remplacés par Edgar, la tête du syndicat, le numéro un, et qu'alignée derrière lui la dernière charge des «taureaux» s'avança avant qu'on eût le temps de respirer trois fois. Il commença par acheter vingt millions de dollars; ses troupes appelèrent les options qu'elles possédaient, près de cinq cents millions de francs. On leur rit au nez: seulement, les bouches se tordaient d'une façon bizarre en découvrant les dents, et ils le remarquèrent. Edgar acheta six autres millions, fit monter le prix jusqu'à 159; plusieurs baissiers commencèrent à liquider, et il redoubla de sa voix de gong sonnant la déroute et le triomphe:

      – 160 pour un million? Qui me vend un million à 160?

      Pour la première fois de cette inoubliable journée, il se fit quelques secondes d'un silence tel qu'on entendit parfaitement la respiration de cette bête monstrueuse, qui règne sur les nations civilisées, la Bourse. Puis, il y eut une bousculade au pied de la petite tribune où se tenaient deux employés à visage impassible, quoiqu'en réalité leurs nerfs fussent tendus comme des cordes d'arc. Le premier poussa une clef, la grande aiguille de l'indicateur oscilla un peu, descendit sur 158, commença à remonter; le second frappa un rappel sur son Morse, et les trois chiffres prestigieux, 160, apparurent à Chicago juste au moment où l'aiguille de New-York les indiquait sur le cadran.

      – Allons, messieurs, donnez-moi un million à 160! qui veut me le vendre?

      Personne ne répondit. L'heure était venue où chacun, à son insu, laisse tomber son masque, grimaces d'enfants mal élevés ou corrects, mais toujours hypocrites. En doutez-vous? Regardez leur roi Bloch: pour reprendre haleine, il est sorti de la mêlée; adossé au comptoir d'Aélis, il écoute une voix plus forte que les hurlements de ses troupes, car elle chante l'or arraché aujourd'hui par brassées: c'est elle qui, malgré ses efforts, fait battre son cœur trop vite, reçoit et lance à torrents le sang qui brûle les veines et les artères, les dessine enfin en ce hideux réseau sur son visage de bête à l'image de Dieu. Et, tandis qu'il prête l'oreille, un des relais du comptoir se met à épeler au passage un télégramme de Washington: d'instinct, Bloch le déchiffre, au bruit, sans que personne s'en doute, pas même Aélis, attentive, elle aussi, à son poste. La dépêche, d'ailleurs, n'est pas destinée à la Bourse: elle ne fait que la traverser sur ses fils et passer plus loin, comme des milliers d'autres chaque jour.

      Mais il était écrit que cet heureux homme l'attraperait au passage. Elle arrêta net dans ses veines ce sang de spéculateur si enfiévré tout à l'heure. Car elle disait:

      Secrétaire du Trésor, Washington, à sous-secrétaire du Trésor, New-York. —Mettez en vente vingt millions d'or du gouvernement.

      – Dites donc, Bloch, quel feu d'artifice! crie Tom Tildenn, très excité. Ça va merveilleusement! J'ai gagné mon million! Je le rejoue: il m'en faut trois autres à la clôture!.. 160½! Bravo! 160¾!.. Go ahead, boys!

      L'artillerie des fins de bataille tire partout à la fois, autour de la corbeille, aux quatre coins de la salle, sous le péristyle et jusque dans les rues voisines, où se masse maintenant New-York. Le relais télégraphique s'est tu. Bloch se redresse, un peu pâle:

      – Parbleu! c'est ce que j'ai toujours prédit. Nous clôturerons à 170, vous verrez, par Jupiter!

      Il s'éloigne rapidement, appelle son secrétaire, l'envoie à Belden, fonce lui-même sur Edgar, les poings en avant, puisque le salut de la conspiration dépend tout entier de sa hâte. Il arrive enfin à ses côtés, lui passe les mains autour du cou, pour ne rien laisser échapper des nouveaux ordres d'achat qu'il lui donne – sans doute – dans le tuyau de l'oreille… et c'est fait.

      C'est fait. Pendant ce temps, Tom, qui vient de crayonner ses dernières dépêches, retourne acheter ce qu'on offre dans la corbeille. L'aiguille à 160¾ lui fait oublier Aélis. Ah! s'il la regardait une fois! Deux yeux de femme qui aime ou qui a pitié le suivent, le rappellent, lui crient, mieux que la bouche frémissante qui voudrait parler, qui ne peut pas:

      «Par grâce! ne faites rien: restez avec moi!»

      Mais, grisé qu'il est par le souffle de la Bête, il ne comprend pas, il n'entend plus, il s'en va droit à son destin. Aélis se lève, fait un geste, ouvre les lèvres:

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