Voyage autour du monde par la frégate du roi La Boudeuse et la flûte L'Étoile, en 1766, 1767, 1768 & 1769.. Louis-Antoine de Bougainville
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СКАЧАТЬ témoigna le plus grand désir de forcer la clôture. Au reste, les jésuites nous représentaient ces Indiens comme une espèce d’hommes qui ne pouvait jamais atteindre qu’à l’intelligence des enfants; la vie qu’ils menaient empêchait ces grands enfants d’avoir la gaieté des petits.

      La Compagnie s’occupait du soin d’étendre les missions lorsque le contrecoup d’événements passés en Europe vint renverser dans le Nouveau Monde l’ouvrage de tant d’années et de patience. La cour d’Espagne, ayant pris la résolution de chasser les jésuites, voulut que cette opération se fît en même temps dans toute l’étendue de ses vastes domaines. Cevallos fut rappelé de Buenos Aires et don Francisco Bucarelli nommé pour le remplacer. Il partit instruit de la besogne à laquelle on le destinait et prévenu d’en différer l’exécution jusqu’à de nouveaux ordres qu’il ne tarderait pas à recevoir. Le confesseur du roi, le comte d’Aranda et quelques ministres étaient les seuls auxquels fut confié le secret de cette affaire. Bucarelli fit son entrée à Buenos Aires au commencement de 1767.

      Lorsque dom Pedro Cevallos fut arrivé en Espagne, on expédia au marquis de Bucarelli un paquebot chargé des ordres tant pour cette province que pour le Chili, où ce général devait les faire passer par terre. Ce bâtiment arriva dans la rivière de la Plata au mois de juin 1767 et le gouverneur dépêcha sur-le-champ deux officiers, l’un au vice-roi du Pérou, l’autre au président de l’audience du Chili, avec les paquets de la cour qui les concernaient. Il songea ensuite à répartir ses ordres dans les différents lieux de sa province où il y avait des jésuites, tels que Cordoue, Mendoze, Corrientes, Santa Fe, Salta, Montevideo et le Paraguay. Comme il craignit que, parmi les commandants de ces divers endroits, quelques-uns n’agissent pas avec la promptitude, le secret et l’exactitude que la cour désirait, il leur enjoignit, en leur adressant ses ordres, de ne les ouvrir que le jour qu’il fixait pour l’exécution, et de ne le faire qu’en présence de quelques personnes qu’il nommait: gens qui occupaient dans les mêmes lieux les premiers emplois ecclésiastiques et civils. Cordoue surtout l’intéressait; c’était dans ces provinces la principale maison des jésuites et la résidence habituelle du provincial.

      C’est là qu’ils formaient et qu’ils instruisaient dans la langue et les usages du pays les sujets destinés aux missions et à devenir chefs des peuplades; on y devait trouver leurs papiers les plus importants. Le marquis de Bucarelli se résolut à y envoyer un officier de confiance qu’il nomma lieutenant du roi de cette place, et que, sous ce prétexte, il fit accompagner d’un détachement de troupes.

      Il restait à pourvoir à l’exécution des ordres du roi dans les missions, et c’était le point critique. Faire arrêter les jésuites au milieu des peuplades, on ne savait pas si les Indiens voudraient le souffrir, et il eût fallu soutenir cette exécution violente par un corps de troupes assez nombreux pour parer à tout événement.

      D’ailleurs n’était-il pas indispensable, avant que de songer à en retirer les jésuites, d’avoir une autre forme de gouvernement prête à substituer au leur et d’y prévenir ainsi les désordres de l’anarchie? Le gouvernement se détermina à temporiser et se contenta pour le moment d’écrire dans les missions qu’on lui envoyât sur-le-champ le corrégidor et un cacique de chaque peuplade pour leur communiquer des lettres du roi. Il expédia cet ordre avec la plus grande célérité afin que les Indiens fussent en chemin et hors des réductions avant que la nouvelle de l’expulsion de la Société pût y parvenir. Par ce moyen il remplissait deux vues, l’une de se procurer des otages qui l’assureraient de la fidélité des peuplades lorsqu’il en retirerait les jésuites; l’autre, de gagner l’affection des principaux Indiens par les bons traitements qu’on leur prodiguerait à Buenos Aires et d’avoir le temps de les instruire du nouvel état dans lequel ils entreraient lorsque, n’étant plus tenus par la lisière, ils jouiraient des mêmes privilèges et de la même propriété que les autres sujets du roi.

      Tout avait été concerté avec le plus profond secret et, quoiqu’on eût été surpris de voir arriver un bâtiment d’Espagne sans autres lettres que celles adressées au général, on était fort éloigné d’en soupçonner la cause.

      Le moment de l’exécution générale était combiné pour le jour où tous les courriers auraient eu le temps de se rendre à leur destination et le gouverneur attendait cet instant avec impatience, lorsque l’arrivée des deux chambekins du roi, l’Andatu et l’Aventurero, venant de Cadix, faillit à rompre toutes ses mesures. Il avait ordonné au gouverneur de Montevideo, au cas qu’il arrivât quelques bâtiments d’Europe, de ne pas laisser communiquer avec qui que ce fut, avant que de l’en avoir informé; mais l’un de ces deux chambekins s’étant perdu, comme nous l’avons dit, en entrant dans la rivière, il fallait bien en sauver l’équipage et lui donner les secours que sa situation exigeait.

      Les deux chambekins étaient sortis d’Espagne depuis que les jésuites y avaient été arrêtés: ainsi on ne pouvait empêcher que cette nouvelle ne se répandît.

      Un officier de ces bâtiments fut sur-le-champ envoyé au marquis de Bucarelli et arriva à Buenos Aires le 9 juillet à dix heures du soir. Le gouverneur ne balança pas: il expédia à l’instant à tous les commandants des places un ordre d’ouvrir leurs paquets et d’en exécuter le contenu avec la plus grande célérité. À deux heures après minuit, tous les courriers étaient partis et les deux maisons des jésuites à Buenos Aires investies, au grand étonnement de ces Pères qui croyaient rêver lorsqu’on vint les tirer du sommeil pour les constituer prisonniers et se saisir de leurs papiers. Le lendemain, on publia dans la ville un ban qui décernait peine de mort contre ceux qui entretiendraient commerce avec les jésuites et on y arrêta cinq négociants qui voulaient, dit-on, leur faire passer des avis à Cordoue.

      Les ordres du roi s’exécutèrent avec la même facilité dans toutes les villes. Partout les jésuites furent surpris sans avoir eu le moindre indice, et on mit la main sur leurs papiers. On les fit aussitôt partir de leurs différentes maisons, escortés par des détachements de troupes qui avaient ordre de tirer sur ceux qui chercheraient à s’échapper. Mais on n’eut pas besoin d’en venir à cette extrémité. Ils témoignèrent la plus parfaite résignation, s’humiliant sous la main qui les frappait et reconnaissant, disaient-ils, que leurs péchés avaient mérité le châtiment dont Dieu les punissait. Les jésuites de Cordoue, au nombre de plus de cent, arrivèrent à la fin d’août à la Encenada, où se rendirent peu après ceux de Corrientes, de Buenos Aires et de Montevideo. Ils furent aussitôt embarqués et ce premier convoi appareilla, comme nous l’avons déjà dit, à la fin de septembre. Les autres, pendant ce temps, étaient en chemin pour venir à Buenos Aires attendre un nouvel embarquement.

      On y vit arriver le 13 septembre tous les corrégidors et un cacique de chaque peuplade, avec quelques Indiens de leur suite. Ils étaient sortis des missions avant qu’on s’y doutât de l’objet qui les faisait mander.

      La nouvelle qu’ils en apprirent en chemin leur fit impression, mais ne les empêcha pas de continuer leur route. La seule instruction dont les curés eussent muni au départ leurs chers néophytes avait été de ne rien croire de tout ce que leur débiterait le gouverneur général. «Préparez-vous, mes enfants, leur avaient-ils dit, à entendre beaucoup de mensonges.» À leur arrivée, on les amena en droiture au gouvernement, où je fus présent à leur réception. Ils y entrèrent à cheval au nombre de cent vingt et s’y formèrent en croissant sur deux lignes: un Espagnol, instruit dans la langue des Guaranis, leur servait d’interprète. Le gouverneur parut à un balcon; il leur fit dire qu’ils étaient les bienvenus, qu’ils allassent se reposer, et qu’il les informerait du jour auquel il aurait résolu de leur signifier les intentions du roi. Il ajouta sommairement qu’il venait les tirer d’esclavage et les mettre en possession de leurs biens dont, jusqu’à présent, ils n’avaient pas joui. Ils répondirent par un cri général, en élevant la main droite vers le ciel et souhaitant mille prospérités au roi et au gouverneur. Ils ne paraissent pas СКАЧАТЬ