Voyage autour du monde par la frégate du roi La Boudeuse et la flûte L'Étoile, en 1766, 1767, 1768 & 1769.. Louis-Antoine de Bougainville
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СКАЧАТЬ contre les incursions des Paulistes, brigands sortis du Brésil et qui s’étaient formés en république vers la fin du XVIe siècle. La révolte éclata sans qu’aucun jésuite parût jamais à la tête des Indiens.

      On dit même qu’ils furent retenus par force dans les villages pour y exercer les fonctions du sacerdoce. Le gouverneur général de la province de La Plata, dom Joseph Andonaighi, marcha contre les rebelles, suivi de dom Joachim de Viana, gouverneur de Montevideo.

      Il les défit dans une bataille où il périt plus de deux mille Indiens. Il s’achemina ensuite à la conquête du pays; et dom Joachim, voyant la terreur qu’une première défaite y avait répandue, se chargea avec six cents hommes de le réduire en entier. En effet, il attaqua la première peuplade, s’en empara sans résistance et, celle-là prise, toutes les autres se soumirent.

      Sur ces entrefaites la cour d’Espagne rappela dom Joseph Andonaighi et dom Pedro Cevallos arriva à Buenos Aires pour le remplacer. En même temps Viana reçut ordre d’abandonner les missions et de ramener ses troupes. Il ne fut plus question de l’échange, projeté entre les deux couronnes, et les Portugais, qui avaient marché contre les Indiens avec les Espagnols, revinrent avec eux. C’est dans le temps de cette expédition que s’est répandu en Europe le bruit de l’élection du roi Nicolas, Indien dont en effet les rebelles firent un fantôme de royauté.

      Dom Joachim de Viana m’a dit que, quand il eut reçu l’ordre de quitter les missions, une grande partie des Indiens, mécontents de la vie qu’ils menaient, voulaient le suivre. Il s’y opposa, mais il ne put empêcher que sept familles ne l’accompagnassent, et il les établit aux Maldonades où elles donnent aujourd’hui l’exemple de l’industrie et du travail. Je fus surpris de ce qu’il me dit au sujet de ce mécontentement des Indiens. Comment l’accorder avec tout ce que j’avais lu sur la manière dont ils étaient gouvernés? J’aurais cité les lois des missions, comme le modèle d’une administration faite pour donner aux humains le bonheur et la sagesse.

      En effet, quand on se représente de loin et en général ce gouvernement magique fondé par les seules armes spirituelles, et qui n’était lié que par les chaînes de la persuasion, quelle institution plus honorable à l’humanité! C’est une société qui habite une terre fertile sous un climat fortuné, dont tous les membres sont laborieux et où personne ne travaille pour soi; les fruits de la culture commune sont rapportés fidèlement dans les magasins publics, d’où l’on distribue à chacun ce qui lui est nécessaire pour sa nourriture, son habillement et l’entretien de son ménage; l’homme dans la vigueur de l’âge nourrit par son travail l’enfant qui vient de naître; et lorsque le temps a usé ses forces, il reçoit de ses concitoyens les mêmes services dont il leur a fait l’avance; les maisons particulières sont commodes, les édifices publics sont beaux; le culte est uniforme et scrupuleusement suivi; ce peuple heureux ne connaît ni rangs ni conditions, il est également à l’abri des richesses et de l’indigence. Telles ont dû paraître et telles me paraissaient les missions dans le lointain et l’illusion de la perspective. Mais, en matière de gouvernement, un intervalle immense sépare la théorie de l’administration. J’en fus convaincu par les détails suivants que m’ont faits unanimement cent témoins oculaires.

      L’étendue du terrain que renferment les missions peut être de deux cents lieues du nord au sud, de cent cinquante de l’est à l’ouest, et la population y est d’environ trois cent mille âmes, des forêts immenses y offrent des bois de toute espèce, de vastes pâturages y contiennent au moins deux millions de têtes de bestiaux; de belles rivières vivifient l’intérieur de cette contrée et y appellent partout la circulation et le commerce. Voilà le local, comment y vivait-on? Le pays était, comme nous l’avons dit, divisé en paroisses, et chaque paroisse régie par deux jésuites, l’un curé, l’autre son vicaire. La dépense totale pour l’entretien des peuplades entraînait peu de frais, les Indiens étant nourris, habillés, logés du travail de leurs mains; la plus forte dépense allait à l’entretien des églises construites et ornées avec magnificence. Le reste du produit de la terre et tous les bestiaux appartenaient aux jésuites qui, de leur côté, faisaient venir d’Europe les outils des différents métiers, des vitres, des couteaux, des aiguilles à coudre, des images, des chapelets, de la poudre et des fusils. Leur revenu annuel consistait en coton, suifs, cuirs, miel et surtout en maté, plante mieux connue sous le nom d’herbe du Paraguay, dont la compagnie faisait seule le commerce, et dont la consommation est immense dans toutes les Indes espagnoles où elle tient lieu de thé.

      Les Indiens avaient pour leurs curés une soumission tellement servile que non seulement ils se laissaient punir du fouet à la manière du collège, hommes et femmes, pour les fautes publiques, mais qu’ils venaient eux-mêmes solliciter le châtiment des fautes mentales.

      Dans chaque paroisse les Pères élisaient tous les ans des corrégidors et des capitulaires chargés des détails de l’administration. La cérémonie de leur élection se faisait avec pompe le premier jour de l’an dans le parvis de l’église, et se publiait au son des cloches et des instruments de toute espèce. Les élus venaient aux pieds du Père curé recevoir les marques de leur dignité qui ne les exemptait pas d’être fouettés comme les autres.

      Leur plus grande distinction était de porter des habits, tandis qu’une chemise de toile de coton composait seule le vêtement du reste des Indiens de l’un et l’autre sexe.

      La fête de la paroisse et celle du curé se célébraient aussi par des réjouissances publiques, même par des comédies; elles ressemblaient sans doute à nos anciennes pièces qu’on nommait mystères.

      Le curé habitait une maison vaste, proche de l’église elle avait attenant deux corps de logis dans l’un desquels étaient les écoles pour la musique, la peinture, la sculpture, l’architecture et les ateliers de différents métiers; l’Italie leur fournissait les maîtres pour les arts, et les Indiens apprennent, dit-on, avec facilité; l’autre corps de logis contenait un grand nombre de jeunes filles occupées à divers ouvrages sous la garde et l’inspection des vieilles femmes: il se nommait le Guatiguasu ou le séminaire. L’appartement du curé communiquait intérieurement avec ces deux corps de logis.

      Ce curé se levait à cinq heures du matin, prenait une heure pour l’oraison mentale, disait sa messe à six heures et demie, on lui baisait la main à sept heures, et l’on faisait alors la distribution publique d’une once de maté par famille. Après sa messe, le curé déjeunait, disait son bréviaire, travaillait avec les corrégidors dont les quatre premiers étaient ses ministres, visitait le séminaire, les écoles et les ateliers; s’il sortait, c’était à cheval et avec un grand cortège; il dînait à onze heures seul avec son vicaire, restait en conversation jusqu’à midi, et faisait la sieste jusqu’à deux heures; il était renfermé dans son intérieur jusqu’au rosaire, après lequel il y avait conversation jusqu’à sept heures du soir; alors le curé soupait; à huit heures il était censé couché.

      Le peuple cependant était depuis huit heures du matin distribué aux divers travaux soit de la terre, soit des ateliers, et les corrégidors veillaient au sévère emploi du temps; les femmes filaient du coton; on leur en distribuait tous les lundis une certaine quantité qu’il fallait rapporter filé à la fin de la semaine; à cinq heures et demie du soir on se rassemblait pour réciter le rosaire et baiser encore la main du curé; ensuite se faisait la distribution d’une once de maté et de quatre livres de bœuf pour chaque ménage qu’on supposait être composé de huit personnes; on donnait aussi du maïs. Le dimanche on ne travaillait point, l’office divin prenait plus de temps; ils pouvaient ensuite se livrer à quelques jeux aussi tristes que le reste de leur vie.

      On voit par ce détail exact que les Indiens n’avaient en quelque sorte aucune propriété et qu’ils étaient assujettis à une uniformité de travail et de repos cruellement ennuyeuse. Cet ennui, qu’avec raison on dit mortel, suffit pour expliquer ce qu’on nous a dit: qu’ils СКАЧАТЬ