La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle. Marie Catherine d'Aulnoy
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СКАЧАТЬ il réunit Barcelone, avec la plus grande partie de cette principauté, sous son obéissance17. Je lui demandai s'il retournerait bientôt en ce pays-là; il me dit que la duchesse de Medina-Celi, sa proche parente, venait de gagner un grand procès contre la duchesse de Frias, sa belle-mère, femme du connétable de Castille; qu'il s'agissait du duché de Segorbe, dans le royaume de Valence, et du duché de Cardone, dans la principauté de Catalogne; que madame de Medina-Celi prétendait à ces deux terres, comme fille aînée et héritière du duc de Cardone; que la duchesse de Frias, l'ayant épousé en premières noces, en était en possession par le testament de son mari, qui lui en avait laissé la jouissance sa vie durant; mais qu'enfin madame de Frias avait été condamnée à rendre les terres à la duchesse de Medina-Celi, avec les jouissances de neuf ans, qui montaient à quarante mille écus par an18; qu'elle voulait l'engager d'aller, en son nom, prendre possession du duché de Cardone et qu'il ne pensait pas qu'il pût la refuser.

      Il me dit ensuite qu'il y avait deux choses assez singulières dans ce duché, dont l'une est une montagne de sel, en partie blanche comme la neige, et l'autre plus claire et plus transparente que du cristal; qu'il y en a de bleu, de vert, de violet, d'incarnat, d'orangé et de mille couleurs différentes, qui ne laisse pas de perdre sa teinture et de devenir tout blanc quand on le lave; il s'y forme et y croît continuellement, et bien qu'il soit salé, et que d'ordinaire les endroits où l'on trouve le sel soient si stériles que l'on n'y voit pas même de l'herbe, il y a dans ce lieu-là des pins d'une grande hauteur et des vignobles excellents. Lorsque le soleil darde ses rayons sur cette montagne, il semble qu'elle soit composée des plus belles pierreries du monde, et le meilleur, c'est qu'elle est d'un revenu considérable19.

      L'autre particularité dont il me parla, c'est d'une fontaine dont l'eau est très-bonne et la couleur pareille à du vin clairet. On ne m'a rien dit de celle-là, interrompis-je; mais un de mes parents, qui a été en Catalogne, m'a assuré qu'il y en a une, près de Balut, dont l'eau est de sa couleur naturelle, et cependant tout ce que l'on y met est comme de l'or. Je l'ai vue, Madame, continua Don Frédéric, et je me souviens qu'un homme fort avare et encore plus fou y allait tous les jours jeter son argent, parce qu'il croyait qu'il se changerait en or; mais il se ruinait, bien loin de s'enrichir, car quelques paysans plus fins et plus habiles que lui, ayant aperçu ce qu'il faisait, attendaient un peu plus bas, et le coulant de l'eau leur conduisait cet argent. Si vous retourniez en France par la Catalogne, ajouta-t-il, vous verriez cette fontaine. Ce ne serait pas elle qui pourrait m'y attirer, lui dis-je, mais l'envie de passer par le Montserrat me ferait faire un plus long voyage. Il est situé, dit-il, proche de Barcelone, et c'est un lieu d'une grande dévotion: il semble que le rocher est scié par la moitié; l'église est un peu plus haut, petite et obscure. A la clarté de quatre-vingt-six lampes d'argent, on aperçoit l'image de la Vierge qui est fort brune, et que l'on tient pour miraculeuse. L'autel a coûté trente mille écus à Philippe second, et l'on y voit chaque jour des pèlerins de toutes les parties du monde. Ce saint lieu est rempli de plusieurs ermitages, habités par des solitaires d'une grande piété.

      Ce sont, pour la plupart, des personnes de naissance, qui n'ont quitté le monde qu'après l'avoir bien connu et qui paraissent charmés des douceurs de leur retraite, bien que le séjour en soit affreux et qu'il eût été impossible d'y aborder si l'on n'avait pas taillé un chemin dans les rochers. On ne laisse pas d'y trouver plusieurs beautés, une vue admirable, des sources de fontaine, des jardins très-propres, cultivés de la main de ces bons religieux, et partout un certain air de solitude et de dévotion qui touche ceux qui s'y rendent. Nous avons encore une autre dévotion fort renommée, ajouta-t-il: c'est Nuestra Señora del Pilar. Elle est à Saragosse, dans une chapelle, sur un pilier de marbre; elle tient le petit Jésus entre ses bras. On prétend que la Vierge apparut sur ce même pilier à saint Jacques, et l'on en vénère l'image avec beaucoup de respect. On ne peut la remarquer fort bien, parce qu'elle est élevée et dans un lieu si obscur que, sans les flammes qui l'éclairent, on ne s'y verrait pas. Il y a toujours plus de cinquante lampes allumées; l'or et les pierreries brillent de tous côtés, et les pèlerins y viennent en foule20. Mais, continua-t-il, je puis dire, sans prétention pour Saragosse, que c'est une des plus belles villes qu'on puisse voir. Elle est située le long de l'Èbre, dans une vaste campagne; elle est ornée de grands bâtiments, de riches églises, d'un pont magnifique, de belles places et des plus jolies femmes du monde, agréables, vives, qui aiment la nation française et qui n'oublieraient rien pour vous obliger à dire du bien d'elles, si vous y passiez. Je lui dis que j'en avais déjà entendu parler d'une manière très-avantageuse. Mais, continuai-je, ce pays est fort stérile, et les soldats n'y subsistent qu'avec beaucoup de peine. En effet, répliqua-t-il, soit que l'air n'y soit pas sain, ou qu'il leur manque quelque chose, les Flamands et les Allemands n'y peuvent vivre; et s'ils n'y meurent pas tous, ils tâchent de trouver les moyens de déserter. Les Espagnols et les Napolitains sont encore plus portés qu'eux à cet esprit de désertion. Ces derniers passent par la France et retournent en leur pays; les autres côtoient les Pyrénées, le long du Languedoc et rentrent dans la Castille par la Navarre ou par la Biscaye. C'est une route que les vieux soldats ne manquent guère de tenir; pour les nouveaux, ils périssent dans la Catalogne, parce qu'ils n'y sont pas accoutumés, et l'on peut assurer qu'il n'y a pas de lieu où la guerre embarrasse tant le Roi d'Espagne qu'en celui-là. Il ne s'y soutient qu'avec beaucoup de dépense, et les avantages que les ennemis y remportent sur lui ne peuvent être petits. Je sais aussi que l'on est plus sensible à Madrid sur la moindre perte qui se fait en Catalogne, qu'on ne le serait sur la plus grande qui se ferait en Flandre, à Milan ou ailleurs. Mais à présent, continua-t-il, nous allons être plus tranquilles que nous ne l'avons été; l'on espère, à la Cour, que la paix sera de durée, parce que l'on y parle fort d'un mariage qui ferait une nouvelle alliance; et comme le marquis de Los Balbazes, plénipotentiaire à Nimègue, a reçu ordre de se rendre promptement auprès du Roi Très-Chrétien, pour demander Mademoiselle d'Orléans, l'on ne doute point que le mariage ne se fasse, et l'on pense déjà aux charges de sa maison. Il est vrai que l'on est surpris que don Juan d'Autriche consente à ce mariage. Vous me feriez un plaisir singulier, lui dis-je en l'interrompant, de m'apprendre quelques particularités de ce prince; il est naturel d'avoir de la curiosité pour les personnes de son caractère; et quand on se trouve dans une Cour où l'on n'a jamais été, pour n'y paraître pas trop neuve, on a besoin d'être un peu instruite. Il me témoigna que ce serait avec plaisir qu'il me dirait les choses qui étaient venues à sa connaissance, et il commença ainsi:

      Vous ne serez peut-être pas fâchée, Madame, que je prenne les choses dès leur source, et que je vous dise que ce prince était fils d'une des plus belles filles qui fût en Espagne, nommée Maria Calderona. Elle était comédienne, et le duc de Medina-de-las-Torres en devint éperdument amoureux. Ce cavalier avait tant d'avantages au-dessus des autres, que la Calderona ne l'aima pas moins qu'elle en était aimée. Dans la force de cette intrigue, Philippe IV la vit et la préféra à une fille de qualité qui était à la Reine et qui demeura si piquée du changement du Roi, qu'elle aimait de bonne foi et dont elle avait eu un fils, qu'elle se retira à Las Descalzas Reales, où elle prit l'habit de religieuse. Pour la Calderona, comme son inclination se tournait toute du côté du duc de Medina, elle ne voulut point écouter le Roi qu'elle ne sût auparavant si le duc y consentirait. Elle lui en parla et lui offrit de se retirer secrètement en quelque lieu qu'il voudrait; mais le duc craignit d'encourir la disgrâce du Roi, et il lui répondit qu'il était résolu à céder à Sa Majesté un bien qu'il n'était pas en état de lui disputer. Elle lui en fit mille reproches; elle l'appela traître à son amour, ingrat pour sa maîtresse, et elle lui dit encore que s'il était assez heureux pour disposer de son cœur comme il le voulait, elle n'était pas dans les mêmes circonstances, et qu'il fallait absolument qu'il continuât de la voir, ou qu'il se préparât à la voir mourir de désespoir. Le duc, touché d'une si grande passion, lui promit de feindre un voyage en Andalousie et de rester chez elle, caché dans un cabinet. Effectivement, il partit de la Cour et fut ensuite s'enfermer chez elle, comme il en était convenu, quelque risque qu'il y eût à courir par une conduite si imprudenteСКАЧАТЬ



<p>17</p>

La licence de la soldatesque fut la cause de ce soulèvement; mais elle ne saurait expliquer à elle seule l'hostilité persistante de la Catalogne, hostilité qu'atteste une longue suite de révoltes. Nous croyons devoir en signaler la cause réelle, car elle ajoute un trait à la physionomie de l'Espagne:

Les couronnes d'Aragon et de Castille se trouvèrent réunies par le mariage de Ferdinand et d'Isabelle, mais ce fut là un fait purement politique. Isolés par leurs âpres montagnes, les Aragonais, les Catalans surtout, demeurèrent complétement étrangers aux Castillans. Ils nourrissaient contre eux les mêmes sentiments d'animosité qui signalèrent longtemps les relations des Anglais et des Écossais après l'avènement du roi Jacques au trône d'Angleterre. Bien qu'ils se gouvernassent par eux-mêmes et qu'ils n'eussent ainsi guère à se plaindre de l'autorité royale, ils étaient toujours disposés à entrer en lutte avec elle. L'esprit qui les animait devait se révéler encore une dernière fois, lorsque Philippe V monta sur le trône. Ils ne manquèrent pas de prendre parti contre le souverain qu'ils considéraient comme le souverain des Castillans, et nous ne serions pas étonné qu'on trouvât encore chez eux des traces de cette haine.

<p>18</p>

Nous avons eu la curiosité de vérifier ce fait, qui en lui-même n'avait pas d'importance, mais qui pouvait nous donner la mesure de la véracité de madame d'Aulnoy. Il s'est trouvé parfaitement exact. En effet, Don Luis d'Aragon Cordova y Cardona, sixième duc de Segorbe et septième duc de Cardona, avait eu de son premier mariage avec Dona Maria de Sandoval y Roxas, duchesse de Lerme, une fille unique, Dona Catarina Antonia, qui épousa le duc de Medina-Celi et lui apporta, par la suite, tous les biens de sa maison. Le duc de Cardona épousa en secondes noces Dona Maria Teresa de Benavides, fille du comte de San Estevan, dont il n'eut point d'enfant. Dona Maria Teresa, restée veuve, épousa Don Inigo Melchior de Velasco, duc de Frias, et engagea le procès dont il est question contre la duchesse de Medina-Celi.

<p>19</p>

Le duché de Cardona comprend, en effet, le territoire de Solsona, où se trouvent de célèbres carrières de sel.

<p>20</p>

Lors de sa fuite en Espagne, le cardinal de Retz passa par Saragosse, où il arriva accompagné de cinquante mousquetaires montés sur des ânes. Il visita l'église de Notre-Dame del Pilar. Il y vit un homme qui, au su de toute la ville, n'avait jamais eu qu'une jambe et s'en était trouvé deux, grâce à l'intercession de la Vierge et à des onctions répétées faites avec de l'huile des lampes qui brûlaient devant son image. On célébrait à cette occasion une fête qui attirait plus de vingt mille personnes. (Collection des Mémoires relatifs à l'histoire de France, t. XXV, p. 450.)