La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle. Marie Catherine d'Aulnoy
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СКАЧАТЬ où nous courûmes, mille dangers différents. Nous y vîmes les restes antiques d'un vieux château, où l'on ne fait pas moins revenir de lutins qu'à celui de Guebare; il est proche de Gargançon, et comme il nous y fallut arrêter pour montrer mon passe-port, parce que l'on paye là les droits du Roi, j'appris de l'alcade du bourg, qui s'approcha de ma litière pour lier conversation avec moi, que l'on disait dans le pays qu'il y avait autrefois un roi et une reine qui avaient pour fille une princesse si belle et si charmante, qu'on la prenait plutôt pour une divinité que pour une simple mortelle. On l'appelait Mira, et c'est de son nom qu'est venu le Mira des Espagnols, qui veut dire regarde; parce que, aussitôt qu'on la voyait, tout le monde attentif s'écriait: Mira, Mira; voilà l'étymologie d'un nom tirée d'assez loin. On ne voyait point cette princesse sans en devenir éperdument amoureux; mais sa fierté et son indifférence faisaient mourir tous ses amants. Le basilic n'avait jamais tant tué de monde que la belle et trop dangereuse Mira. Elle dépeupla ainsi le royaume de son père et toutes les contrées d'alentour. Ce n'était que morts et mourants. Après s'être adressé inutilement à elle, on s'adressait au ciel pour demander justice de sa rigueur. Les dieux s'irritèrent enfin, et les déesses ne furent pas les dernières à se fâcher; de sorte que, pour la punir, les fléaux du ciel achevèrent de ravager le royaume de son père. Dans cette affliction générale, il consulta l'oracle, qui dit que tant de malheurs ne cesseraient point jusqu'à ce que Mira eût expié les maux que ses yeux avaient faits, et qu'il fallait qu'elle partît; que les destins la conduiraient dans le lieu fatal où elle devait perdre son repos et sa liberté. La princesse obéit, croyant qu'il était impossible qu'elle fût touchée de tendresse. Elle ne mena avec elle que sa nourrice; elle était vêtue en simple bergère, de peur qu'on la remarquât, soit par mer, soit par terre. Elle parcourut les deux tiers du monde, faisant chaque jour trois où quatre douzaines d'homicides, car sa beauté n'était point diminuée par les fatigues du voyage. Elle arriva proche de ce vieux château qui était à un jeune comte appelé Nios, doué de mille perfections, mais le plus farouche de tous les hommes. Il passait sa vie dans les bois; dès qu'il apercevait une femme, il la fuyait, et, de toutes les choses qu'il voyait sur la terre, c'était celle qu'il haïssait davantage. La belle Mira se reposait un jour au pied de quelques arbres, lorsque Nios vint à passer, vêtu de la peau d'un lion, un arc à sa ceinture et une massue sur l'épaule. Il avait ses cheveux tout mêlés et il était barbouillé comme un charbonnier (cette circonstance est du conte). La princesse ne laissa pas que de le trouver le plus beau et le plus charmant des hommes. Elle courut après lui comme une folle; il s'enfuit comme un fou. Elle le perdit de vue; elle ne sut où le trouver; la voilà au désespoir, pleurant jour et nuit avec sa nourrice. Nios revint à la chasse; elle le vit encore, elle voulut le suivre; dès qu'il l'eut aperçue, il fit comme la première fois, et Mira de pleurer amèrement. Mais sa passion lui donnant des forces, elle courut mieux que lui, elle l'arrêta par ses longs cheveux et le pria de la regarder; elle croyait que cela suffisait pour le toucher. Il jeta les yeux sur elle avec autant d'indifférence que si elle eût été de bois. Jamais fille n'a été si surprise; elle ne voulut point le quitter; elle vint malgré lui à son château. Dès qu'elle y fut entrée, il l'y laissa et ne parut plus. La pauvre Mira, inconsolable, mourut de douleur, et depuis, l'on dit que l'on entend de longs gémissements qui sortent du château de Nios. Les jeunes filles de la contrée y allaient et lui portaient de petits présents de fruits, de lait et d'œufs, qu'elles posaient à la porte d'une cave où personne ne veut entrer. Elles disaient que c'était pour la consoler; mais cette coutume a été abolie comme une superstition. Bien que je n'aie rien cru de tout ce que l'on me dit à Gargançon de Mira et de Nios, je ne laissai pas de prendre plaisir au récit de ce conte dont j'omets mille particularités, dans la crainte de vous ennuyer par sa longueur.

      Ma fille était si aise qu'il ne tint pas à elle que nous ne retournassions sur nos pas, pour mettre à la porte de la cave quelques perdrix rouges que mes gens venaient d'acheter. Elle comprenait que les mânes de la princesse seraient fort consolées de recevoir ce témoignage de notre bonne volonté; mais pour moi je compris que je serais plus contente qu'elle d'avoir ces perdrix à mon souper. Nous passâmes la rivière d'Urola sur un grand pont de pierre; et, après en avoir traversé un autre à gué assez difficilement, à cause des neiges fondues, nous arrivâmes à Miranda d'Ebro. C'est un gros bourg ou une fort petite ville. Il y a une grande place ornée de fontaines. La rivière de l'Èbre, qui est une des plus considérables de l'Espagne, la traverse; l'on voit sur le haut d'une montagne le château avec plusieurs tours. Il paraît être de quelque défense, et il sort une si grosse fontaine d'un rocher sur lequel il est bâti, que dès sa source elle fait moudre des moulins. Du reste, je n'y remarquai rien qui mérite de vous être écrit. Les trois chevaliers, dont je vous ai déjà parlé, étaient arrivés avant moi et ils avaient donné tous les ordres nécessaires pour le souper. Ainsi nous mangeâmes ensemble, et bien que la nuit parût avancée, parce que les jours sont courts en cette saison, il n'était pas tard. De sorte que ces Messieurs, qui ont beaucoup d'honnêteté et de complaisance pour moi, me demandèrent ce que je voulais faire. Je leur proposai de jouer à l'hombre, et dis que je me mettrais de moitié avec Don Fernand de Tolède. Ils acceptèrent la partie. Don Frédéric de Cardone dit qu'il aimerait mieux m'entretenir que de jouer. Ainsi les trois autres commencèrent, et je m'arrêtai quelque temps à les voir avec beaucoup de plaisir, car leurs manières sont tout à fait différentes des nôtres. Ils ne prononcent jamais un mot, je ne dis pas pour se plaindre (cela serait indigne de la gravité espagnole), mais je dis pour demander un gano, pour couper de plus haut ou pour faire entendre que l'on peut prendre quelque autre avantage. Enfin il semble des statues qui agissent par le moyen d'un ressort, et il est vrai qu'ils se reprocheraient à eux-mêmes le moindre geste.

      Après les avoir examinés, je passai vers le brasier et Don Frédéric s'y plaça près de moi; il me demanda en quel état étaient les affaires lorsque j'étais partie de Paris; qu'il m'avouait que les grandes qualités du roi de France faisaient bien souvent le sujet de ses plus agréables réflexions; qu'il avait eu l'honneur de le voir, que son idée lui était toujours présente et que, depuis ce temps-là, il en avait parlé comme d'un monarque digne de l'amour de ses sujets et de la vénération de tout le monde. Je lui répliquai que les sentiments qu'il avait pour le Roi me confirmaient la bonne opinion que j'avais déjà de son esprit et de ses lumières; qu'il était certain que nos ennemis et les étrangers ne pouvaient, sans admiration, entendre parler des grandes actions de ce monarque, de sa conduite, de sa bonté pour ses peuples et de sa clémence. Que, quelque temps avant mon départ, on avait reçu les nouvelles de la ratification de la paix avec la Hollande; qu'il savait assez combien la guerre, qui avait commencé en 1672, avait intéressé de princes; que les Hollandais, mieux conseillés que les autres, avaient fait leur paix, et que le traité qui venait d'être conclu à Nimègue était su de toute l'Europe, et lui rendait la tranquillité qu'elle avait perdue.

      J'ajoutai à cela que le roi venait de réduire ses compagnies de cavalerie à trente-sept maîtres et celles de dragons à quarante-cinq; que cette réforme allait à quatre mille chevaux, et que celle qu'il avait encore faite de quinze soldats par compagnie d'infanterie, montait à quarante-cinq mille hommes; qu'il avait aussi retranché dix hommes par chaque compagnie de cavalerie, ce qui allait à douze mille chevaux; que tout cela faisait voir ses dispositions pour entretenir les traités de bonne foi.

      Il me répondit que le Roi son maître n'y était pas moins disposé; qu'il l'en avait entendu parler plusieurs fois, et qu'il y avait peu qu'il l'avait quitté; qu'il s'était rendu auprès de lui parce qu'il avait été député par la principauté de Catalogne, avec ceux du royaume de Valence, pour le supplier de faire sortir de leur pays les troupes qui y sont en quartier d'hiver; que bien loin de l'obtenir, ils s'estimaient heureux qu'on ne leur eût pas donné quelques-unes de celles qui étaient venues de Naples et de Sicile; qu'ils avaient paré les coups avec bien de la peine; qu'on les avait envoyées sur les frontières du Portugal et dans les royaumes de Galice et de Léon. Mais, continua-t-il, si on nous avait secondés, ce ne serait pas, à présent, au roi d'Espagne que nous nous adresserions pour être soulagés. Les peuples de Catalogne, accablés de l'oppression et de la violence inouïe des Castillans, cherchèrent, en 1640, les moyens de s'en affranchir. Ils se mirent sous la protection du Roi Très-Chrétien et, pendant l'espace de douze ans, СКАЧАТЬ