Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel Proust
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Название: Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel

Автор: Marcel Proust

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066373511

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СКАЧАТЬ il y a un an, conduite, elle s’efforçait à se rappeler les lèvres tendues d’Honoré, ses yeux verts à demi fermés, ses regards voyageurs comme des rayons et qui venaient poser sur elle un peu de chaude lumière vivante. Et par les nuits douces, par les nuits vastes et secrètes, quand la certitude que personne ne pouvait la voir exaltait son désir, elle entendait la voix d’Honoré lui dire à l’oreille les choses défendues. Elle l’évoquait tout entier, obsédant et offert comme une tentation. Un soir à dîner, elle regarda en soupirant l’intendant qui était assis en face d’elle.

      «Je suis bien triste, mon Augustin, dit Violante. Personne ne m’aime, dit-elle encore.

      – Pourtant, repartit Augustin, quand, il y a huit jours, j’étais allé à Julianges ranger la bibliothèque, j’ai entendu dire de vous: “Qu’elle est belle! “

      – Par qui?» dit tristement Violante.

      Un faible sourire relevait à peine et bien mollement un coin de sa bouche comme on essaye de relever un rideau pour laisser entrer la gaieté du jour.

      «Par ce jeune homme de l’an dernier, M, Honoré – Je le croyais sur mer, dit Violante, – Il est revenu», dit Augustin, Violante se leva aussitôt, alla presque chancelante jusqu’à sa chambre écrire à Honoré qu’il vînt la voir. En prenant la plume, elle eut un sentiment de bonheur, de puissance encore inconnu, le sentiment qu’elle arrangeait un peu de sa vie selon son caprice et pour sa volupté, qu’aux rouages de leurs deux destinées qui semblaient les emprisonner mécaniquement loin l’un de l’autre, elle pouvait tout de même donner un petit coup de pouce, qu’il apparaîtrait la nuit, sur la terrasse, autrement que dans la cruelle extase de son désir inassouvi, que ses tendresses inentendues – son perpétuel roman intérieur – et les choses avaient vraiment des avenues qui communiquaient et où elle allait s’élancer vers l’impossible qu’elle allait rendre viable en le créant.

      Le lendemain elle reçut la réponse d’Honoré, qu’elle alla lire en tremblant sur le banc où il l’avait embrassée.

      «Mademoiselle, Je reçois votre lettre une heure avant le départ de mon navire. Nous n’avions relâché que pour huit jours, et je ne reviendrai que dans quatre ans. Daignez garder le souvenir de

      Votre respectueux et tendre HONORÉ.»

      Alors, contemplant cette terrasse où il ne viendrait plus, où personne ne pourrait combler son désir, cette mer aussi qui l’enlevait à elle et lui donnait en échange, dans l’imagination de la jeune fille, un peu de son grand charme mystérieux et triste, charme des choses qui ne sont pas à nous, qui reflètent trop de cieux et craignent trop de rivages, Violante fondit en larmes.

      «Mon pauvre Augustin, dit-elle le soir, il m’est arrivé un grand malheur.» Le premier besoin des confidences naissait pour elle des premières déceptions de sa sensualité, aussi naturellement qu’il naît d’ordinaire des premières satisfactions de l’amour. Elle ne connaissait pas encore l’amour. Peu de temps après; elle en souffrit, qui est la seule manière dont on apprenne à le connaître.

      Chapitre III – Peines d’amour

      Violante fut amoureuse, c’est-à-dire qu’un jeune Anglais qui s’appelait Laurence fut pendant plusieurs mois l’objet de ses pensées les plus insignifiantes, le but de ses plus importantes actions. Elle avait chassé une fois avec lui et ne comprenait pas pourquoi le désir de le revoir assujettissait sa pensée, la poussait sur les chemins à sa rencontre, éloignait d’elle le sommeil, détruisait son repos et son bonheur. Violante était éprise, elle fut dédaignée. Laurence aimait le monde, elle l’aima pour le suivre. Mais Laurence n’y avait pas de regards pour cette campagnarde de vingt ans. Elle tomba malade de chagrin et de jalousie, alla oublier Laurence aux Eaux de***, mais elle demeurait blessée dans son amour-propre de s’être vu préférer tant de femmes qui ne la valaient pas, et, décidée à conquérir, pour triompher d’elles, tous leurs avantages.

      «Je te quitte, mon bon Augustin, dit-elle, pour aller près de la cour d’Autriche.

      – Dieu nous en préserve, dit Augustin. Les pauvres du pays ne seront plus consolés par vos charités quand vous serez au milieu de tant de personnes méchantes.

      Vous ne jouerez plus avec nos enfants dans les bois. Qui tiendra l’orgue à l’église? Nous ne vous verrons plus peindre dans la campagne, vous ne nous composerez plus de chansons.

      – Ne t’inquiète pas, Augustin, dit Violante, garde-moi seulement beaux et fidèles mon château, mes paysans de Styrie, Le monde ne m’est qu’un moyen. Il donne des armes vulgaires, mais invincibles, et si quelque jour je veux être aimée, il me faut les posséder. Une curiosité m’y pousse aussi et comme un besoin de mener une vie un peu plus matérielle et moins réfléchie que celle-ci. C’est à la fois un repos et une école que je veux. Dès que ma situation sera faite et mes vacances finies, je quitterai le monde pour la campagne, nos bonnes gens simples et ce que je préfère à tout, mes chansons. A un moment précis et prochain, je m’arrêterai sur cette pente et je reviendrai dans notre Styrie, vivre auprès de toi, mon cher.

      – Le pourrez-vous? dit Augustin.

      – On peut ce qu’on veut, dit Violante.

      – Mais vous ne voudrez peut-être plus la même chose, dit Augustin.

      – Pourquoi? demanda Violante,

      – Parce que vous aurez changé», dit Augustin.

      Chapitre IV – La mondanité

      Les personnes du monde sont si médiocres, que Violante n’eut qu’à daigner se mêler à elles pour les éclipser presque toutes, les seigneurs les plus inaccessibles, les artistes les plus sauvages allèrent au-devant d’elle et la courtisèrent. Elle seule avait de l’esprit, du goût, une démarche qui éveillait l’idée de toutes les perfections, Elle lança des comédies, des parfums et des robes. Les couturières, les écrivains, les coiffeurs mendièrent sa protection, La plus célèbre modiste d’Autriche lui demanda la permission de s’intituler sa faiseuse, le plus illustre prince d’Europe lui demanda la permission de s’intituler son amant. Elle crut devoir leur refuser à tous deux cette marque d’estime qui eût consacré définitivement leur élégance. Parmi les jeunes gens qui demandèrent à être reçus chez Violante, Laurence se fit remarquer par son insistance. Après lui avoir causé tant de chagrin, il lui inspira par là quelque dégoût, Et sa bassesse l’éloigna d’elle plus que n’avaient fait tous ses mépris, «Je n’ai pas le droit de m’indigner, se disait-elle. Je ne l’avais pas aimé en considération de sa grandeur d’âme et je sentais très bien, sans oser me l’avouer, qu’il était vil. Cela ne m’empêchait pas de l’aimer, mais seulement d’aimer autant la grandeur d’âme. Je pensais qu’on pouvait être vil et tout à la fois aimable. Mais dès qu’on n’aime plus, on en revient à préférer les gens de coeur. Que cette passion pour ce méchant était étrange puisqu’elle était toute de tête, et n’avait pas l’excuse d’être égarée par les sens.

      L’amour platonique est peu de chose.» Nous verrons qu’elle put considérer un peu plus tard que l’amour sensuel était moins encore.

      Augustin vint la voir, voulut la ramener en Styrie.

      «Vous avez conquis une véritable royauté, lui dit-il, Cela ne vous suffit-il pas? Que ne redevenez-vous la Violante d’autrefois.

      – Je viens précisément de la conquérir, Augustin, repartit Violante, laisse-moi au moins l’exercer quelques mois.»

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