Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel Proust
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Название: Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel

Автор: Marcel Proust

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066373511

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СКАЧАТЬ style="font-size:15px;">      Une femme ne se cache pas d’aimer le bal, les courses, le jeu même. Elle le dit, ou l’avoue simplement, ou s’en vante. Mais n’essayez pas de lui faire dire qu’elle aime le chic, elle se récrierait, se fâcherait tout de bon. C’est la seule faiblesse qu’elle cache soigneusement, sans doute parce que seule elle humilie la vanité. Elle veut bien dépendre des cartes, non des ducs. Parce qu’elle fait une folie, elle ne se croit inférieure à personne; son snobisme implique au contraire qu’il y a des gens à qui elle est inférieure, ou le peut devenir, en se relâchant, Aussi l’on voit telle femme qui proclame le chic une chose tout à fait stupide, y employer une finesse, un esprit, une intelligence, dont elle eût pu écrire un joli conte ou varier ingénieusement les plaisirs et les peines de son amant.

      II

      Les femmes d’esprit ont si peur qu’on puisse les accuser d’aimer le chic qu’elles ne le nomment jamais; pressées dans la conversation, elles s’engagent dans une périphrase pour éviter le nom de cet amant qui les compromettrait. Elles se jettent au besoin sur le nom d’Élégance, qui détourne les soupçons et qui semble attribuer au moins à l’arrangement de leur vie une raison d’art plutôt que de vanité. Seules, celles qui n’ont pas encore le chic ou qui l’ont perdu, le nomment dans leur ardeur d’amantes inassouvies ou délaissées. C’est ainsi que certaines jeunes femmes qui se lancent ou certaines vieilles femmes qui retombent parlent volontiers du chic que les autres ont, ou, encore mieux, qu’ils n’ont pas. À vrai dire, si parler du chic que les autres n’ont pas les réjouit plus, parler du chic que les autres ont les nourrit davantage, et fournit à leur imagination affamée comme un aliment plus réel. J’en ai vu, à qui la pensée des alliances d’une duchesse donnait des frissons de plaisir avant que d’envie. Il y a, paraît-il, dans la province, des boutiquières dont la cervelle enferme comme une cage étroite des désirs de chic ardents comme des fauves. Le facteur leur apporte le Gaulois. Les nouvelles élégantes sont dévorées en un instant. Les inquiètes provinciales sont repues. Et pour une heure des regards rassérénés vont briller dans leurs prunelles élargies par la jouissance et l’admiration.

      III – Contre une snob

      Si vous n’étiez pas du monde et si l’on vous disait qu’Elianthe, jeune, belle, riche, aimée d’amis et d’amoureux comme elle est, rompt avec eux tout d’un coup, implore sans relâche les faveurs et souffre sans impatience les rebuffades d’hommes, parfois laids, vieux et stupides; qu’elle connaît à peine, travaille pour leur plaire comme au bagne, en est folle, en devient sage, se rend à force de soins leur amie, s’ils sont pauvres leur soutien, sensuels leur maîtresse, vous penseriez: quel crime a donc commis Elianthe et qui sont ces magistrats redoutables qu’il lui faut à tout prix acheter, à qui elle sacrifie ses amitiés, ses amours, la liberté de sa pensée, la dignité de sa vie, sa fortune, son temps, ses plus intimes répugnances de femme? Pourtant Elianthe n’a commis aucun crime. Les juges qu’elle s’obstine à corrompre ne songeaient guère à elle et l’auraient laissée couler tranquillement sa vie riante et pure. Mais une terrible malédiction est sur elle: elle est snob.

      IV – À une snob

      Votre élue est bien, comme parle Tolstoï, une forêt obscure. Mais les arbres eux sont d’une espèce particulière, ce sont des arbres généalogiques. On vous dit vaine? Mais l’univers n’est pas vide pour vous, il est plein d’armoiries. C’est une conception du monde assez éclatante et symbolique. N’avez-vous pas aussi vos chimères qui ont la forme et la couleur de celles qu’on voit peintes sur les blasons? N’êtes-vous pas instruite? Le Tout-Paris, le Gotha, le High Life vous ont appris le Bouillet. En lisant le récit des batailles que les ancêtres avaient gagnées, vous avez retrouvé le nom des descendants que vous invitez à dîner et par cette mnémotechnie vous avez retenti toute l’histoire de France. De là une certaine grandeur dans votre liberté, vos rêve ambitieux auquel vous avez sacrifié votre liberté, vos heures de plaisir ou de réflexion, vos devoirs, vos amitiés, l’amour même. Par la figure de vos nouveaux amis s’accompagne dans votre imagination d’une longue suite de portraits d’aïeux, Les arbres généalogiques que vous cultivez avec tant de soin, dont vous cueillez chaque année les fruits avec tant de joie, plongent leurs racines dans la plus antique terre française. Votre rêve solidarise le présent au passé. L’âme des croisades anime pour vous de banales figures contemporaines et si vous relisez si fiévreusement vos carnets de visite, n’est-ce pas qu’à chaque nom vous sentez s’éveiller, frémir et presque chanter, comme une morte levée de sa dalle blasonnée, la fastueuse vieille France?

      VIII – Oranthe

      Vous ne vous êtes pas couché cette nuit et ne vous êtes pas encore lavé ce matin?

      Pourquoi le proclamer, Oranthe?

      Brillamment doué comme vous l’êtes, pensez-vous n’être pas assez distingué par là du reste du monde et qu’il vous faille jouer encore un aussi triste personnage?

      Vos créanciers vous harcèlent, vos infidélités poussent votre femme au désespoir, revêtir un habit serait pour vous endosser une livrée, et personne ne saurait vous contraindre à paraître dans le monde autrement qu’échevelé. Assis à dîner vous n’ôtez pas vos gants pour montrer que vous ne mangez pas, et la nuit si vous avez la fièvre, vous faites atteler votre victoria pour aller au bois de Boulogne.

      Vous ne pouvez lire Lamartine que par une nuit de neige et écouter Wagner qu’en faisant brûler du cinname.

      Pourtant vous êtes honnête homme, assez riche pour ne pas faire de dettes si vous ne les croyiez nécessaires à votre génie, assez tendre pour souffrir de causer à votre femme un chagrin que vous trouveriez bourgeois de lui épargner, vous ne fuyez pas les compagnies, vous savez y plaire, et votre esprit, sans que vos longues boucles fussent nécessaires, vous y ferait assez remarquer. Vous avez bon appétit, mangez bien avant d’aller dîner en ville, et enragez pourtant d’y rester à jeun. Vous prenez la nuit, dans les promenades où votre originalité vous oblige, les seules maladies dont vous souffriez. Vous avez assez d’imagination pour faire tomber de la neige ou brûler du cinname sans le secours de l’hiver ou d’un brûle-parfum, assez lettré et assez musicien pour aimer Lamartine et Wagner en esprit et en vérité. Mais quoi! à l’âme d’un artiste vous joignez tous les préjugés bourgeois dont, sans réussir à nous donner le change, vous ne nous montrez que l’envers.

      IX – Contre la franchise

      Il est sage de redouter également Percy, Laurence et Augustin. Laurence récite des vers, Percy fait des conférences, Augustin dit des vérités. Personne franche, voilà le titre de ce dernier, et sa profession, c’est ami véritable.

      Augustin entre dans un salon; je vous le dis en vérité, tenez-vous sur vos gardes et n’allez pas oublier qu’il est votre ami véritable. Songez qu’à l’instar de Percy et de Laurence, il ne vient jamais impunément, et qu’il n’attendra pas plus pour vous les dire que vous lui demandiez quelques-unes de vos vérités, que ne faisait Laurence pour vous dire un monologue ou Percy ce qu’il pense de Verlaine. Il ne se laisse ni attendre ni interrompre, parce qu’il est franc comme Laurence est conférencier, non dans votre intérêt, mais pour son plaisir.

      Certes votre déplaisir avive son plaisir, comme votre attention celui de Laurence. Mais ils s’en passeraient au besoin, Voilà donc trois impudents coquins à qui l’on devrait refuser tout encouragement, régal, sinon aliment de leur vice. Bien au contraire, ils ont leur public spécial qui les fait vivre. Celui d’Augustin le diseur de vérités est même très étendu. Ce public, égaré par la psychologie conventionnelle du théâtre et l’absurde maxime; «Qui aime bien châtie bien», se refuse à reconnaître que la flatterie n’est parfois que l’épanchement de la tendresse СКАЧАТЬ