Название: Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel
Автор: Marcel Proust
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066373511
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«La vie est triste, c’est idiot» (ce dernier mot était souligné d’un geste sec du bras droit et il remarqua le brusque mouvement de sa canne). Il se dit avec tristesse que ces paroles machinales étaient une bien banale traduction de pareilles visions qui, pensa-t-il, n’étaient peut-être pas exprimables.
«Hélas! sans doute l’intensité de mon plaisir ou de mon regret est seule centuplée, mais le contenu intellectuel en reste le même. Mon bonheur est nerveux, personnel, intraduisible à d’autres, et si j’écrivais en ce moment, mon style aurait les mêmes qualités, les mêmes défauts, hélas! la même médiocrité que d’habitude.» Mais le bien-être physique qu’il éprouvait le garda d’y penser plus longtemps et lui donna immédiatement la consolation suprême, l’oubli. Il était arrivé sur les boulevards. Des gens passaient, à qui il donnait sa sympathie, certain de la réciprocité. Il se sentait leur glorieux point de mire; il ouvrit son paletot pour qu’on vît la blancheur de son habit, qui lui seyait, et l’oeillet rouge sombre de sa boutonnière. Tel il s’offrait à l’admiration des passants, à la tendresse dont il était avec eux en voluptueux commerce.
Les Regrets, Rêveries Couleur Du Temps
«La manière de vivre du poète devrait être si simple que les influences les plus ordinaires le réjouissent, sa gaieté devrait pouvoir être le fruit d’un rayon de soleil, l’air devrait suffire pour respirer et l’eau devrait suffire pour l’enivrer»
I – Tuileries
Au jardin des Tuileries, ce matin, le soleil s’est endormi tour à tour sur toutes les marches de pierre comme un adolescent blond dont le passage d’une ombre interrompt aussitôt le somme léger. Contre le vieux palais verdissent de jeunes pousses. Le souffle du vent charmé mêle au parfum du passé la fraîche odeur des lilas. Les statues qui sur nos places publiques effrayent comme des folles, rêvent ici dans les charmilles comme des sages sous la verdure lumineuse qui protège leur blancheur. Les bassins au fond desquels se prélasse le ciel bleu luisent comme des regards. De la terrasse du bord de l’eau, on aperçoit, sortant du vieux quartier du quai d’Orsay, sur l’autre rive et comme dans un autre siècle, un hussard qui passe. Les liserons débordent follement des vases couronnés de géraniums. Ardent de soleil, l’héliotrope brûle ses parfums. Devant le Louvre s’élancent des roses trémières, légères comme des mâts, nobles et gracieuses comme des colonnes, rougissantes comme des jeunes filles. Irisés de soleil et soupirant d’amour, les jets d’eau montent vers le ciel. Au bout de la Terrasse, un cavalier de pierre lancé sans changer de place dans un galop fou, les lèvres collées à une trompette joyeuse, incarne toute l’ardeur du Printemps.
Mais le ciel s’est assombri, il va pleuvoir. Les bassins, où nul azur ne brille plus, semblent des yeux vides de regards ou des vases pleins de larmes. L’absurde jet d’eau, fouetté par la brise, élève de plus en plus vite vers le ciel son hymne maintenant dérisoire. L’inutile douceur des lilas est d’une tristesse infinie. Et là-bas, la bride abattue, ses pieds de marbre excitant d’un mouvement immobile et furieux le galop vertigineux et fixé de son cheval, l’inconscient cavalier trompette sans fin sur le ciel noir.
II – Versailles
«Un canal qui fait rêver les plus grands parleurs sitôt qu’ils s’en approchent et où je suis toujours heureux, soit que je sois joyeux, soit que je sois triste.»
L’automne épuisé, plus même réchauffé par le soleil rare, perd une à une ses dernières couleurs. L’extrême ardeur de ses feuillages, si enflammés que toute l’après-midi et la matinée elle-même donnaient la glorieuse illusion du couchant, s’est éteinte. Seuls, les dahlias, les oeillets d’inde et les chrysanthèmes jaunes, violets, blancs et roses, brillent encore sur la face sombre et désolée de l’automne. A six heures du soir, quand on passe par les Tuileries uniformément grises et nues sous le ciel aussi sombre, où les arbres noirs décrivent branche par branche leur désespoir puissant et subtil, un massif soudain aperçu de ces fleurs d’automne luit richement dans l’obscurité et fait à nos yeux habitués à ces horizons en cendres une violence voluptueuse. Les heures du matin sont plus douces. Le soleil brille encore parfois, et je peux voir encore en quittant la terrasse du bord de l’eau, au long des grands escaliers de pierre, mon ombre descendre une à une les marches devant moi.
Je ne voudrais pas vous prononcer ici après tant d’autres, Versailles, grand nom rouillé et doux, royal cimetière de feuillages, de vastes eaux et de marbres, lieu véritablement aristocratique et démoralisant, ou ne nous trouble même pas le remords que la vie de tant d’ouvriers n’y ait servi qu’à affiner et qu’à élargir moins les joies d’un autre temps que la mélancolie du nôtre. Je ne voudrais pas vous prononcer après tant d’autres, et pourtant que de fois, à la coupe rougie de vos bassins de marbre rose, j’ai été boire jusqu’à la lie et jusqu’à délirer l’enivrante et amère douceur de ces suprêmes jours d’automne. La terre mêlée de feuilles fanées et de feuilles pourries semblait au loin une jaune et violette mosaïque ternie. En passant près du hameau, en relevant le col de mon paletot contre le vent, j’entendis roucouler des colombes. Partout l’odeur du buis, comme au dimanche des Rameaux, enivrait. Comment ai-je pu cueillir encore un mince bouquet de printemps, dans ces jardins saccagés par l’automne. Sur l’eau, le vent froissait les pétales d’une rose grelottante.
Dans ce grand effeuillement de Trianon, seule la voûte légère d’un petit pont de géranium blanc soulevait au-dessus de l’eau glacée ses fleurs à peine inclinées par le vent. Certes, depuis que j’ai respiré le vent du large et le sel dans les chemins creux de Normandie, depuis que j’ai vu briller la mer à travers les branches de rhododendrons en fleurs, je sais tout ce que le voisinage des eaux peut ajouter aux grâces végétales. Mais quelle pureté plus virginale en ce doux géranium blanc, penché avec une retenue gracieuse sur les eaux frileuses entre leurs quais de feuilles mortes.
O vieillesse argentée des bois encore verts, à branches éplorées, étangs et pièces d’eau qu’un geste pieux a posés çà et là, comme des urnes offertes à la mélancolie des arbres!
III – Promenade
Malgré le ciel si pur et le soleil déjà chaud, le vent soufflait encore aussi froid, les arbres restaient aussi nus qu’en hiver. Il me fallut, pour faire du feu, couper une de ces branches que je croyais mortes et la sève en jaillit, mouillant mon bras jusqu’au coude et dénonçant, sous l’écorce glacée de l’arbre, un coeur tumultueux. Entre les troncs, le sol nu de l’hiver s’emplissait d’anémones, de coucous et de violettes, et les rivières, hier encore sombres et vides, de ciel tendre, bleu et vivant qui s’y prélassait jusqu’au fond. Non ce ciel pâle et lassé des beaux soirs d’octobre qui, étendu au fond des eaux, semble y mourir d’amour et de mélancolie, mais un ciel intense et ardent sur l’azur tendre et riant duquel passaient à tous moments, grises, bleues et roses, – non les ombres des nuées pensives, – mais les nageoires brillantes, et glissantes d’une perche, d’une anguille ou d’un éperlan. СКАЧАТЬ