Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi
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Читать онлайн книгу Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï - León Tolstoi страница 12

Название: Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï

Автор: León Tolstoi

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066446673

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СКАЧАТЬ n’y a pas une autre fin? Demandai-je, effrayée de ce que je disais.

      — Si, il y en a une. Et il découvrit son visage troublé et en me regardant en face: Il y a même deux fins différentes. Seulement, pour l’amour de Dieu, ne m’interrompez plus et écoutez-moi tranquillement. Les uns disent, recommença-t-il en se levant et en souriant d’un sourire douloureux et pénible; les uns disent que A est devenu fou, qu’il aime B d’un amour insensé et qu’il le lui a dit… Mais elle s’est contentée d’en rire. Pour elle, ce n’avait été que badinage; pour lui, l’affaire entière de sa vie.

      Je frissonnai et voulus l’interrompre, dire qu’il ne devait point oser parler pour moi; mais il me retint, et posant sa main sur la mienne:

      — Attendez, acheva-t-il d’une voix tremblante: d’autres disent qu’elle a eu pitié de lui, qu’elle s’imagina, la malheureuse qui ne connaissait pas le monde, pouvoir effectivement l’aimer et qu’elle consentit à être sa femme. Et lui, comme un insensé, il crut, il crut que toute sa vie commençait à nouveau; mais elle-même s’aperçut qu’elle le trompait et qu’il la trompait… Ne parlons pas de cela plus longtemps, conclut-il, évidemment hors d’état de parler en effet davantage; et il vint en silence se replacer en face de moi.

      Il disait: « N’en parlons plus », et il était manifeste que, de toutes les forces de son âme, il attendait un mot de moi. Je voulais effectivement parler et je ne le pouvais pas; quelque chose me comprimait la poitrine. Je le regardai, il était pâle et sa lèvre inférieure tremblait. Il me faisait une peine extrême. Je fis un nouvel effort, et tout à coup, réussissant à rompre le silence qui me paralysait, je dis d’une voix lente, concentrée, que je craignais à chaque instant de voir se briser.

      ― Il y a une troisième fin à l’histoire (je m’arrêtai, mais il resta muet), et cette troisième fin, c’est qu’il n’aimait pas, qu’il lui fit mal, grand mal, qu’il croyait en avoir le droit, qu’il partit, et bien mieux, qu’il s’en montra fier. Ce n’est pas de mon côté, mais du vôtre qu’il y a eu badinage; du premier jour je vous aimai; je vous aimai, répétai-je, et sur ce mot « j’aimai » ma voix passa involontairement de son expression lente et concentrée à une sorte de cri sauvage qui m’effraya moi-même.

      Il se tenait pâle et debout devant moi, sa lèvre tremblait de plus en plus fort, et deux larmes jaillirent le long de ses joues.

      — C’est mal! Eus-je peine à m’écrier, me sentant étouffer de courroux et de pleurs inassouvis. Et pourquoi?… continuai-je en me levant pour m’éloigner.

      Mais il se précipita vers moi. Bientôt sa tête reposait sur mes genoux, ses lèvres baisaient et rebaisaient mes mains tremblantes, et il les baignait de ses larmes.

      — Mon Dieu, si j’avais su! Murmurait-il.

      — Pourquoi? Pourquoi? Répétais-je machinalement, et mon âme était remplie d’un de ces bonheurs qui ensuite s’évanouissent pour jamais, d’un de ces bonheurs qui ne reviennent plus.

      Au bout de cinq minutes, Sonia courait en haut auprès de Macha et par toute la maison, criant que Katia allait épouser Serge Mikaïlovitch.

      V

      Il n’y avait aucun motif de différer notre noce, et ni lui ni moi ne le désirions. À la vérité, Macha aurait voulu aller à Moscou pour acheter et commander le trousseau, et la mère de Serge demandait à son fils qu’avant de se marier, il achetât une nouvelle voiture et des meubles, et fit tapisser la maison de tentures fraîches; mais nous insistâmes tous les deux pour que cela se fit plus tard, et que notre mariage eût lieu deux semaines après l’anniversaire de ma naissance, sans bruit, ni trousseau, ni hôtes, ni garçons de noce, ni souper, ni champagne et sans aucun des attributs traditionnels d’un mariage. Il me raconta combien sa mère était mécontente que la noce dut ainsi se passer sans musique et sans une avalanche de caisses, et sans que toute la maison se trouvât remise à neuf, comme lors de ses propres noces, qui avaient coûté trente mille roubles; combien, à son insu, elle avait fouillé de coffres dans les garde-meubles, et combien elle avait tenu de sérieux conseils avec Mariouchka la ménagère, au sujet de certains tapis, rideaux, plateaux indispensables à notre bonheur. De notre côté, Macha en faisait autant avec ma bonne Kouzminichna. Et là-dessus elle n’entendait pas raillerie; elle était fermement persuadée que quand Serge et moi parlions ensemble de notre avenir, nous ne faisions pas autre chose que nous dire des douceurs, comme il convenait dans notre position mutuelle; mais que la substance même de notre bonheur futur dépendait uniquement de la bonne coupe et des broderies de mes vêtements, ainsi que de l’ourlet régulier des nappes et des serviettes. Entre Pokrovski et Nikolski, chaque jour et plusieurs fois par jour, on se communiquait mystérieusement des informations sur la manière dont les choses se préparaient, et bien qu’entre Macha et la mère de Serge il y eût tous les dehors des plus tendres rapports, on sentait cependant percer de l’une à l’autre une certaine diplomatie hostile et raffinée.

      Tatiana Semenovna, sa mère, avec qui maintenant j’avais fait plus ample connaissance, était une femme de l’ancien régime, guindée et maîtresse de maison sévère. Serge l’aimait non-seulement par devoir comme un fils, mais aussi par sentiment, comme un homme qui voyait en elle la meilleure, la plus intelligente, la plus tendre et la plus aimable femme du monde. Tatiana Semenovna avait toujours été bonne pour nous et pour moi en particulier, et se montrait joyeuse que son fils se mariât; mais quand je devins la fiancée de ce fils, il me sembla qu’elle voulait me faire sentir qu’il aurait pu trouver un meilleur parti et que je ne devais pas manquer de m’en souvenir toujours. Je l’avais parfaitement comprise et j’étais tout à fait de son avis.

      Pendant ces deux dernières semaines, nous nous vîmes chaque jour; il venait dîner et restait jusqu’à minuit; mais quoiqu’il me dît souvent, et je savais qu’il disait vrai, qu’il ne pourrait vivre sans moi, jamais il ne passait auprès de moi la journée entière, et il faisait en sorte de poursuivre le soin de ses affaires. Nos relations demeurèrent au dehors, jusqu’à la noce, ce qu’elles avaient été auparavant; nous continuâmes à employer le vous l’un à l’égard de l’autre; il ne me baisait même pas la main, et non-seulement il ne cherchait pas, mais il évitait les occasions de se trouver tête à tête avec moi, comme s’il eût craint de trop se livrer à la grande et dangereuse tendresse qu’il portait en lui.

      Tous ces jours-là le temps fut mauvais, et nous en passions la plus grande partie dans la chambre; nos entretiens avaient lieu dans l’angle qui sépare le piano et la fenêtre.

      — Savez-vous qu’il y a une chose dont je veux vous parler depuis longtemps, me dit-il un jour que nous étions assis assez tard et en tête-à-tête dans ce même coin. Pendant que vous étiez au piano, je n’ai pas cessé d’y penser.

      — Ne me dites rien, je sais tout, répondis-je.

      — En effet, n’en parlons pas.

      — Non, au fait, parlez; qu’est-ce que c’est? Demandai-je.

      — Voilà ce que c’est. Vous vous souvenez, quand je vous ai raconté l’histoire de A et de B?

      — Comment ne pas me rappeler cette sotte histoire. C’est encore heureux qu’elle se soit terminée ainsi…

      — Un peu plus, et j’aurais détruit mon bonheur de mes propres mains; vous m’avez sauvé; mais le plus fort, c’est que je mentais alors; j’en ai conscience et je veux aujourd’hui tout vous dire.

      — Ah! De grâce, ne СКАЧАТЬ