Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi
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Название: Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï

Автор: León Tolstoi

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066446673

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СКАЧАТЬ deux marches du parvis que les herbes envahissaient. Il n’y avait d’ordinaire à cette heure-là dans l’église guère plus d’une dizaine de personnes, paysans et droroviés, se préparant à faire leurs dévotions; je m’appliquais à répondre avec une humilité empressée à leurs saluts, et j’approchais moi-même, ce que je regardais comme un exploit, du tiroir des cierges pour en prendre quelques-uns des mains du vieux soldat qui faisait fonction de staroste, puis j’allais les placer devant les images. Au travers de la porte du sanctuaire j’apercevais la nappe d’autel que maman avait brodée, et au-dessus de l’iconostase deux anges parsemés d’étoiles, que je trouvais bien grands alors que j’étais petite fille, et une colombe entourée d’une auréole dorée qui, à cette même époque, absorbait souvent mon attention. Derrière le chœur j’entrevoyais les fonts baptismaux tout bosselés sur lesquels j’avais tant de fois tenu les enfants de nos droroviés, et où moi-même j’avais été baptisée. Le vieux prêtre paraissait, portant une chasuble taillée dans le drap du cercueil de mon père, et il entonnait l’office de cette même voix qui, aussi loin que je me souvenais de moi-même, avait chanté dans notre maison les offices de l’église, et au baptême de Sonia, et au service funèbre de mon père, et aux funérailles de ma mère. Puis j’entendais retentir dans le chœur cette autre voix fêlée du chantre, pour moi aussi familière; je voyais, comme je l’avais toujours vue, une certaine vieille courbée en deux qui, à tous les offices, adossée contre la muraille et serrant entre ses mains jointes un mouchoir tout déteint, contemplait avec des yeux pleins de larmes une des images du chœur et marmottait je ne sais quelles prières de sa bouche édentée. Et tous ces objets, tous ces êtres, ce n’était plus la simple curiosité ou les seules réminiscences qui les rapprochaient de moi: tous se montraient à mes yeux grands et saints, tous remplis d’un sens profond.

      Je prêtais une oreille attentive à chacune des paroles de la prière dont j’écoutais la lecture, je cherchais à mettre mon sentiment d’accord avec elles, et si je ne les comprenais pas, je demandais mentalement à Dieu de m’éclairer, ou bien je substituais ma propre prière à celle que je n’avais pas bien entendue. Quand on lisait les prières de la pénitence, je me rappelais mon passé, et ce passé de mon innocente enfance me semblait si noir, en regard de l’état de sérénité où mon âme était en ce moment, qu’épouvantée, je pleurais sur moi-même; mais je sentais en même temps que tout m’était pardonné, et qu’alors même que j’aurais eu beaucoup plus de fautes encore à me reprocher, le repentir en aurait été d’autant plus doux.

      À la fin de l’office, au moment où le prêtre prononçait ces paroles: « Que la bénédiction du Seigneur soit sur vous, » je croyais éprouver instantanément en moi et se communiquer à toute ma personne un sentiment de bien-être même physique, comme si un courant de lumière et de chaleur m’eût tout à coup pénétrée jusqu’au cœur.

      L’office terminé, si le prêtre venait à moi et me demandait s’il ne devrait pas venir célébrer les vêpres chez nous, et quand il le faudrait, je le remerciais avec émotion de ce qu’il voulait faire à mon intention, et je lui disais que je viendrais moi-même, à pied ou en voiture.

      — Ainsi vous voulez vous-même en prendre la peine? Me répondait-il.

      Je ne savais que répondre, de peur de pécher par orgueil.

      De l’église, je renvoyais toujours la voiture, si je n’étais pas avec Macha, et je revenais seule à pied, saluant profondément et humblement tous ceux que je rencontrais, cherchant les occasions de les secourir, de leur donner des conseils, de me sacrifier pour eux en quelque façon, aidant à relever une voiture, berçant un enfant, entrant dans la boue pour livrer le passage.

      Un soir j’entendis dire à l’intendant, qui en faisait le rapport à Macha, qu’un paysan, Simon, était venu demander une volige pour le cercueil de sa fille, et en argent un rouble pour son office mortuaire, et qu’il le lui avait donné.

      — Est-ce qu’ils sont si pauvres? Demandai-je.

      — Très-pauvres, mademoiselle, ils vivent sans sel, répondit l’intendant.

      J’eus le cœur serré, et en même temps je me réjouis, en quelque sorte, de l’avoir appris. Faisant croire à Macha que j’allais me promener, je courus en haut, je pris tout ce que j’avais d’argent (il y en avait très-peu, mais c’était tout ce que je possédais), puis, ayant fait le signe de la croix, je partis seule, à travers la terrasse et le jardin, vers le village, pour gagner la chaumière de Simon. Elle était tout à l’extrémité, et, n’ayant été vue de personne, je m’approchai de la fenêtre, sur cette fenêtre je déposai l’argent et j’y heurtai. Alors la porte grinça, quelqu’un sortit de la chaumière et m’appela; mais moi, toute glacée et tremblante de peur, comme une criminelle, je m’enfuis à la maison. Macha me demanda d’où je venais, ce que j’avais? Mais je ne compris même pas ce qu’e1le disait et je ne lui répondis point. Tout, en ce moment, me paraissait si peu de chose et de si peu de conséquence! Je m’enfermai dans ma chambre et j’y marchai longtemps, seule, en long et en large, ne me sentant dans la disposition de rien faire, de rien penser, et incapable de me rendre aucun compte de mes propres sentiments. Je me représentais la joie de toute une famille, les paroles échappées de leur bouche à l’adresse de celui qui avait déposé l’argent, et cela me faisait de la peine maintenant de ne le leur avoir point donné moi-même. Je me demandais ce qu’aurait dit Serge Mikaïlovitch, s’il avait appris cette démarche, et je me réjouissais de ce qu’il ne la connaîtrait jamais. Et j’étais saisie d’une telle joie, si pénétrée de l’imperfection de tous et de moi-même, je considérais moi et tous les autres avec tant de douceur, que la pensée de la mort s’offrait à moi comme une vision de bonheur. Je souriais, je priais, je pleurais, et dans cet instant j’aimai tout à coup tous les êtres qui sont au monde, et je m’aimai moi-même d’une étrange ardeur. En cherchant dans les offices, je lus beaucoup de passages de l’Évangile, et tout ce que je lisais de ce livre me devenait de plus en plus intelligible; plus touchante et plus simple me paraissait l’histoire de cette vie divine, plus terribles et plus impénétrables ces profondeurs de sentiments et de pensées que je découvrais au travers de cette lecture. Mais aussi, combien tout me parut clair et facile quand, en quittant le livre, j’envisageai de nouveau la vie où j’étais jetée et que je méditai sur elle. Il me sembla impossible de ne point bien vivre, et très-simple d’aimer tout le monde comme d’être aimée de chacun. Tout le monde d’ailleurs était bon et doux avec moi, même Sonia, dont je continuais les leçons, et qui était devenue tout autre, qui s’efforçait de tout comprendre, de me satisfaire et de ne pas me chagriner. Ce que je cherchais à être pour les autres, les autres l’étaient pour moi.

      Passant ensuite à mes ennemis, de qui je devais obtenir le pardon avant le grand jour, je me souvins seulement d’une demoiselle du voisinage dont, il y avait un an de cela, je m’étais moquée devant des visiteurs et qui avait cessé de venir nous voir. Je lui écrivis une lettre où je reconnaissais ma faute et où je lui demandais son pardon. Elle me répondit en sollicitant le mien, elle aussi, et en me pardonnant elle-même. Je versai des larmes de plaisir en lisant ces simples lignes, qui me parurent alors remplies d’un sentiment si profond et si touchant. Ma bonne pleura quand je lui demandai également pardon. Pourquoi tous étaient-ils si bons pour moi! Comment avais-je mérite tant d’affection? Me demandai-je.

      Je me souvins alors involontairement de Serge Mikaïlovitch et je pensai à lui. Je ne pouvais faire autrement, et je ne comptai même point du tout cette distraction pour une légèreté. Il est vrai, je ne pensai aucunement à lui de la façon dont je l’avais fait cette nuit où, pour la première fois, je découvris que je l’aimais; je pensais à lui tout comme à moi-même, l’associant, malgré moi, à chacune des préoccupations de mon avenir. L’influence dominante que sa présence avait exercée sur moi s’effaçait complètement dans mon imagination. Je me sentais aujourd’hui son égale, et, du СКАЧАТЬ