Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868. Hector Berlioz
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Название: Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868

Автор: Hector Berlioz

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066088897

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СКАЧАТЬ des sacrifices tels, qu'ils pesèrent sur sa vie entière. Voilà ce qu'il ne faut pas oublier.»

      Ce n'est pas à nous à le lui reprocher et personne n'oserait le faire.

      Les Troyens avaient été la suprême espérance de Berlioz; leur chute causa sa longue agonie de six ans. A partir de ce moment, ses idées devinrent de plus en plus sombres; les souffrances physiques ne lui laissèrent plus aucun repos. Il avait tant compté sur son opéra! Au sortir de la répétition générale, il était allé chez madame d'Ortigue, la digne femme d'un de ses plus vieux amis. Il lui avait fait l'effet d'un spectre, tant il était pâle, maigre, décharné: «Qu'y a-t-il, s'écria-t-elle effrayée? Est-ce que la répétition aurait mal tourné, par hasard?...—Au contraire, dit l'autre en se laissant tomber sur une chaise. C'est beau, c'est sublime!...»—Et il se mit à pleurer[46].

      Il était déjà affaibli et malade; dans sa jeunesse, il s'était quelquefois amusé à se laisser avoir faim pour connaître les maux par lesquels le génie pouvait passer; son estomac, plus tard, dut payer ces coûteuses fantaisies. Il vécut dans son appartement de la rue de Calais, retiré et dégoûté de tout, entouré de passereaux effrontés auxquels il donnait du pain qu'ils venaient picorer sur sa fenêtre, près de son immense piano à queue, de sa harpe et du portrait de sa première femme, Henriette Smithson. Sa belle-mère, madame Récio, le soigna avec une vigilance et un dévouement exceptionnels; ses amis prirent à tâche de lui faire oublier les injustices du sort et personne n'en a eu de plus attentifs, de plus fidèles que lui: Édouard Alexandre, Ernest Reyer, M. et madame Massart, M. et madame Damcke, la famille Ritter, et combien d'autres que je ne puis citer; la liste en serait trop longue. Il s'était mis à apprendre le français à un jeune compositeur danois, M. Asger Hammerik, aujourd'hui directeur du Conservatoire de Baltimore. «Je suis bien à plaindre, disait-il quelquefois; voilà ma belle-mère qui me parle en espagnol, ma bonne en allemand, et vous, avec votre danois, vous me déchirez les oreilles[47]!...»

      La mort de son fils unique, Louis Berlioz, emporté par la fièvre, aux colonies, acheva de terrasser le glorieux vaincu. Louis Berlioz avait choisi la carrière de marin; son père l'adorait avec une passion dont on retrouvera la trace dans les Lettres. Il y avait eu entre eux des brouilles passagères; mais elles finissaient toujours par une réconciliation où le pauvre père cédait. Ce Berlioz, si hautain, si rogue, si absolu, avec la plupart des gens qu'il coudoyait dans la vie, il devenait tendre et humble avec son fils, il descendait aux supplications, il avait des raffinements d'amour paternel. Que de bons conseils il donnait à son enfant chéri: «Tu es jeune, tu es fort, ne te laisse pas aller à l'ennui, au découragement, et songe qu'avec les avantages que tu as et la santé, on peut surmonter bien des obstacles[48].»—«Cher Louis, écrivait-il encore à propos de certaines fredaines de jeune homme, tu ne trouveras jamais en moi un censeur tartufe de morale[49]...»»Figure-toi que je t'ai aimé même quand tu étais tout petit; et il m'est si difficile d'aimer les petits enfants! Il y avait quelque chose en toi qui m'attirait. Ensuite cela s'est affaibli à ton âge bête, quand tu n'avais pas le sens commun; et, depuis lors, cela est revenu, cela s'est accru, et je t'aime comme tu sais, cela ne fera qu'augmenter... Ah! mon pauvre Louis, si je ne t'avais pas[50]!...» L'année suivante, hélas! il le perdait, ce fils adoré, et il se replongeait, fou de douleur, dans l'anéantissement, dans le silence, dans la nuit.

      Vainement essayait-on de lui proposer des distractions: «Mon cher Damcke, répondait-il à une invitation, je me donne le luxe de rester couché. Ainsi, excusez-moi auprès de S... si vous le voyez. J'ai pris mon parti; je ne veux plus subir aucun genre de servitude; je ne veux plus rien entendre de force; rien louer de force. Qu'on me laisse mourir tranquille. Je vous pardonne seulement de me forcer à vous aimer[51]...»

      Une artiste dont il aimait le talent, mademoiselle Bockholtz-Falconi, parvint cependant à l'arracher à la torpeur où il se complaisait en le mettant en relations avec M. Herbeck, maître de chapelle de la cour à Vienne, qui le demandait pour diriger la Damnation de Faust. Berlioz accéda aux désirs de M. Herbeck et n'eut pas à s'en repentir. D'autres propositions magnifiques l'attirèrent chez la grande-duchesse Hélène de Russie, qui le logea dans son propre palais, à Saint-Pétersbourg, et ne lui permit de partir que comblé de distinctions, de gloire et d'argent.

      En revenant des bords de la Néva, Berlioz éprouvait une grande fatigue; sa maladie nerveuse empirait. Il était allé trouver le célèbre docteur Nélaton, qui, après l'avoir ausculté, palpé, interrogé, lui avait dit: «Êtes-vous philosophe?—Oui, avait répondu le patient.—Eh bien, puisez du courage dans la philosophie, car vous ne guérirez jamais[52].» Assuré de mourir dans un assez bref délai et en proie à des tortures épouvantables, le vieux maître se décida à changer de lit de souffrances.—«Je vais m'étendre sur les gradins de marbre de Monaco... Le soleil me réchauffera peut-être... Oh! la belle Méditerranée et les orangers aux doux parfums!...» Telles étaient ses pensées—nous allions dire ses rêves—en prenant le chemin de fer. On l'accueille à l'hôtel des Étrangers de Nice comme une ancienne connaissance, on l'accable de témoignages de respect et de sympathie. Des bouffées de jeunesse lui remontent au cerveau; il se rappelle sans doute cette tour crevassée, pleine de rats et de chats-huants, ouverte à tous les vents du ciel, dénudée, romantique, dont il avait fait autrefois son domicile légal. Il veut se promener encore dans ces jardins embaumés, sur ces falaises qui contrastent par leur immobile blancheur avec l'azur des vagues. Le voilà à Monaco, près des buissons de cactus, s'enivrant des senteurs d'une végétation presque orientale. Mais son regard se trouble, son pied chancelle; il tombe, on le relève, la face ensanglantée. Le lendemain, même accident. Deux Anglais qui passaient sur la terrasse de Nice le ramènent à son appartement, où il reste huit jours soigné par les gens de l'hôtel. Dès qu'il peut prendre le train, il retourne à Paris où l'attendaient sa belle-mère, madame Récio, et sa fidèle servante, qui poussent des cris d'horreur en le revoyant défiguré.

      Le séjour à Nice ne fut pas le dernier voyage de Berlioz. Quelque temps après sa chute dans les rochers, il fut invité à se rendre à un festival orphéonique qui se donnait dans sa province natale, à Grenoble. Ce dernier épisode rappelle vraiment le dénoûment des pièces de Shakespeare et l'homme qui avait le mieux compris le génie du poëte anglais devait avoir une fin assez semblable à celle du roi Lear, de Macbeth ou d'Othello. Pour bien peindre cette scène suprême, il faudrait que l'histoire empruntât les couleurs du drame. Qu'on se figure une salle resplendissante de lumières, ornée de tentures officielles, une table chargée de mets délicats, une réunion de joyeux convives attendant un des leurs qui tarde à venir. Tout à coup, une draperie s'entr'ouvre et un fantôme apparaît: le spectre de Banquo? non; mais Berlioz à l'état de squelette, le visage pâle et amaigri, les yeux vagues, le chef branlant, la lèvre contractée par un amer sourire. On s'empresse autour de lui, on l'acclame, on lui serre les mains,—ces mains tremblantes qui ont conduit à la victoire des armées de musiciens. Un assistant dépose une couronne sur les cheveux blancs du vieillard. Celui-ci contemple d'un œil étonné les amis, les compatriotes qui l'accablent d'hommages tardifs mais sincères. On le félicite, il ne paraît s'apercevoir de rien. Machinalement, il se lève pour répondre à des paroles qu'il n'a pas comprises; à ce moment, un vent furieux, venu des Alpes, s'engouffre dans la salle, soulève les rideaux, éteint les bougies; des rafales soufflent au dehors et des éclairs déchirent la nue, illuminant d'un fauve reflet les assistants muets et terrifiés. Au milieu de la tempête, Berlioz est resté debout; il ressemble, environné de lueurs, au génie de la symphonie, auquel la puissante nature ferait une apothéose, dans un décor de montagnes et avec l'aide du tonnerre, musicien gigantesque.

      Dès lors, tout fut fini.

      Le lundi, 8 mars 1869, dans la matinée, Hector Berlioz, de retour à Paris, rendait le dernier soupir. Ses obsèques eurent lieu à l'église de la Trinité, le jeudi suivant; l'Institut avait envoyé une nombreuse députation, les cordons du poêle étaient tenus par MM. Camille Doucet, Guillaume, Ambroise Thomas, Gounod, Nogent Saint Laurens, Perrin, le baron Taylor; la musique de la garde nationale СКАЧАТЬ