Название: Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868
Автор: Hector Berlioz
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066088897
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En fait de critique, on a généreusement prêté à Berlioz les opinions les plus saugrenues; il aimait les Huguenots, il aimait Guillaume Tell; il n'a jamais écrit sur le Pré aux Clercs le fameux article qu'on lui a tant reproché. En veut-on la preuve? Qu'on se donne la peine d'ouvrir le Journal des Débats du 15 mars 1869, Jules Janin s'y avoue coupable du méfait dont un innocent, pendant un quart de siècle, a été victime:
«Certains critiques ont reproché à Berlioz d'avoir mal parlé d'Hérold et du Pré aux Clercs. Ce n'est pas Berlioz, c'est un autre, un jeune homme ignorant et qui ne doutait de rien en ce temps-là, qui, dans un feuilleton misérable, a maltraité le chef-d'œuvre d'Hérold. Il s'en repentira toute sa vie. Or cet ignorant s'appelait (j'en ai honte!) il faut bien en convenir... Monsieur, Jules Janin.»
Malgré cette déclaration formelle, on trouvera encore des obstinés qui parleront avec horreur du feuilleton sur le Pré aux Clercs.
Mais Berlioz n'aimait pas Mozart?
Il ne l'aimait pas?... Nous allons citer ses propres paroles au sujet d'Idoménée: «Mozart... Raphael!... Quel miracle de beauté qu'une telle musique! comme c'est pur! quel parfum d'antiquité! C'est grec, c'est incontestablement grec, comme l'Iphigénie de Gluck, et la ressemblance du style de ces deux maîtres est telle dans ces deux ouvrages qu'il est vraiment impossible de retrouver le trait individuel qui pourrait les faire distinguer[26]...» En fouillant dans la collection du Journal des Débats, nous rencontrerions bien d'autres témoignages de la fausseté des sentiments attribués au réformateur musical que M. Ingres et bien d'autres considéraient comme un monstre: immanissimum et foedissimum monstrum. Une fois pour toutes, établissons que Berlioz ne prétendait nullement au rôle que certains compositeurs ont tenu depuis. Il ne se vantait pas d'être le seul de son espèce et ne croyait point qu'avant lui, la musique fût une science ignorée, ténébreuse, inculte; loin de renier les anciens, il se prosternait avec vénération devant les dieux de la symphonie, il brûlait devant leurs autels l'encens le plus pur. Son unique prétention (et elle nous paraît justifiée) était de continuer la tradition musicale en l'agrandissant, en l'améliorant, grâce aux ressources modernes: «J'ai pris la musique où Beethoven l'a laissée», disait-il avec quelque orgueil à M. Fétis.—Il y avait du vrai dans cette assertion.
Dès 1835, les journaux annoncèrent que Berlioz s'occupait d'écrire un opéra sur un livret d'Alfred de Vigny; il s'agissait de Benvenuto sans doute, qui ne parut sur la scène que trois ans plus tard. En France, tout compositeur qui n'aborde pas le théâtre est condamné à l'obscurité; Berlioz se rendait bien compte de cet axiome et cherchait à se produire dans la musique dramatique. Un instant, il obtint le poste de directeur des Italiens[27]; mais la presse opposante cria au favoritisme et répandit le bruit que M. Bertin, des Débats, avait fait obtenir à son feuilletoniste le sceptre directorial, pour que mademoiselle Louise Bertin, qui composait, elle aussi, fît jouer, salle Ventadour, les ouvrages qu'on lui refusait ailleurs. Devant cette malveillance caractérisée, Berlioz se retira; il n'avait pas trop à se plaindre du Gouvernement qui lui commandait tantôt un Requiem, tantôt une Marche funèbre et triomphale, toutes les fois qu'il était question de célébrer les victimes de Juillet.
Le Requiem fut exécuté dans diverses villes de France, notamment à Lille, d'où Habeneck envoya à l'auteur une lettre de félicitation[28]. Mais ce n'étaient là que des succès relatifs. La grosse partie allait se jouer à l'Opéra, où les études de Benvenuto Cellini étaient poussées avec activité. Le soir de la première représentation, une horrible cabale fut organisée contre la pièce; le parterre siffla, grogna, hurla; les ennemis de la famille Bertin imitèrent les cris des animaux les plus divers pour faire payer à l'infortuné musicien l'honneur qu'il avait d'écrire dans une feuille ministérielle. Où la politique va-t-elle se nicher! Duprez, habituellement si applaudi, ne réussit pas à conjurer l'orage; madame Stoltz et madame Dorus-Gras eurent beau être charmantes, on leur tint rigueur; les musiciens de l'orchestre s'associèrent au ressentiment du public. Deux d'entre eux, pendant les répétitions, avaient été surpris jouant l'air J'ai du bon tabac, au lieu de jouer leur partie.
Vaincu dans cette bataille inégale, l'auteur de Benvenuto ne se découragea point; il avait la foi qui transporte les montagnes. Dès 1842, il commença par la Belgique la série de ces voyages à l'étranger qui furent pour lui la compensation et la revanche des insuccès parisiens. Si la France résistait au génie de Berlioz, l'Allemagne, la Russie, la Suisse, le Danemark pressentaient chez ce lutteur incompris une force bizarre et peut-être nouvelle: ainsi Cologne écoutait attentivement l'ouverture des Francs Juges, Mayence et Leipzig ne tardaient pas à acclamer le même morceau. Romberg, premier violon du Théâtre-Allemand à Saint-Pétersbourg, réussissait à faire entendre le Dies Iræ du Requiem et envoyait à l'éditeur Schlesinger un compte rendu enthousiaste; Hambourg, de son côté, se prononçait pour le maître; la contagion gagnait la ville de Copenhague, qui accourait au concert de M. et de madame Mortier Fontaine pour applaudir à l'ouverture de Waverley; Winterthur, dans le canton de Zurich, imitait Cologne, Copenhague et Hambourg. Cependant Winterthur est une ville si peu considérable, que nous avons eu quelque peine à la découvrir sur la carte.
Les siffleurs de Benvenuto, en apprenant ces nouvelles du dehors, commencèrent à réfléchir; si, par hasard, ils s'étaient trompés!... Il y eut une espèce de revirement dans le public et l'on vit, un jour, des conscrits entonner, dans la rue, le motif de la Marche funèbre et triomphale en se promenant du Palais-Royal aux Italiens et à l'Opéra. Le cortège se composait d'une centaine de jeunes gens précédés de vivandières, de sapeurs, de tambours-majors et de porte-drapeaux[29].
«A Bruxelles, nous dit le compositeur dans ses Mémoires, les opinions sur ma musique furent presque aussi divergentes qu'à Paris.» C'est là que nous nous trouvons pour la première fois en présence de mademoiselle Récio, que Berlioz devait épouser à la mort d'Henriette Smithson; mademoiselle Récio chanta dans les concerts de son futur mari; nous ignorons avec quel succès. Le voyage en Allemagne fut beaucoup plus décisif pour la gloire du musicien que l'excursion en Belgique; depuis longtemps, Berlioz était attendu de l'autre côté du Rhin. Nous osons à peine révéler la vérité, car elle est triste à dire; triste pour nous, Français, et pour notre goût artistique. Pendant que nous marchandions à notre compatriote de maigres applaudissements, la capitale de la Prusse le traitait en triomphateur; on lui accordait le théâtre royal et les premiers artistes de la ville, le roi accourait de Potsdam à franc étrier, se mêlait à l'enthousiasme de ses sujets (malgré l'étiquette), demandait pour ses bandes militaires la Fête chez Capulet[30]. Bien mieux: le maître de la chapelle ducale de Brunswick, M. Georges Muller, venait, après l'audition de Roméo et Juliette, déposer une couronne sur la partition[31]. Mendelssohn enfin, qui dédaignait tant son camarade de Rome, échangeait avec lui son bâton de chef d'orchestre, à propos du Sabbat de la Symphonie fantastique, exécuté presque en même temps que la Première Nuit du Sabbat, à Leipzig. Le compositeur parisien remercia par une lettre le compositeur allemand; nous avons eu la chance inespérée de retrouver le texte du billet:
Leipzig, 2 février 1843.
Au chef Mendelssohn.
«Grand chef, nous nous sommes promis d'échanger nos tomawacks! Voici le mien, il est grossier, le tien est simple!
»Les Squaws seules et les Visages-Pâles aiment les armes ornées. Sois mon frère, et, quand le Grand-Esprit nous aura envoyés chasser dans le pays des âmes, que nos guerriers suspendent nos tomawacks amis à la porte du conseil[32].»
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