Название: Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868
Автор: Hector Berlioz
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066088897
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Après l'exécution de son chef-d'œuvre, Berlioz était ruiné; il devait une somme considérable qu'il n'avait pas. Grâce à la générosité de quelques amis, il put aller moissonner des roubles, en Russie, et s'acquitter enfin envers les personnes qui l'avaient aidé dans l'infortune. «Vous gagnerez là-bas cent cinquante mille francs!» lui avait dit Balzac.—On sait qu'en imagination l'auteur de la Comédie humaine remuait les millions à la pelle; Berlioz ne gagna pas la somme annoncée, mais il rapporta de quoi faire honneur à ses engagements. A ce moment-là, la direction de l'Opéra de Paris était sur le point de devenir vacante; le directeur, M. Léon Pillet, parlait de se retirer, et sa succession était briguée par MM. Duponchel et Roqueplan, qui, malgré leur zèle, malgré leurs démarches, n'avaient pas obtenu l'appui du ministère de l'intérieur. Ces messieurs recommandèrent leur candidature à Berlioz; ils furent nommés, par l'influence du Journal des Débats. Avant cette nomination, les solliciteurs, comme on pense, étaient tout feu, tout flammes; ils comptaient reprendre Benvenuto Cellini, jouer la Nonne sanglante, confier à l'homme auquel ils devaient leur titre de directeurs un poste important; une fois le décret ministériel signé, ces belles résolutions s'évanouirent comme par enchantement. Les relations devinrent de plus en plus froides entre MM. Duponchel, Roqueplan, et leur ancien ami; celui-ci, comprenant qu'ils étaient gênés avec lui, qu'on le prenait pour un malfaiteur auquel il ne fallait pas ouvrir les portes de l'Académie de musique, écrivit à ses obligés qu'il les dégageait de toute reconnaissance à son égard et qu'il était engagé par l'impresario Jullien pour conduire l'orchestre du théâtre de Drury-Lane, à Londres. Cette détermination terminait la crise; enchantés d'être débarrassés d'un importun qu'ils ne voulaient ni accueillir ni mécontenter, MM. Roqueplan et Duponchel feignirent l'étonnement en public, mais, en particulier, ils ne dissimulèrent pas leur joie.
«Votre lettre, répondirent-ils, nous a causé de la surprise et du regret. Les termes affectueux dans lesquels vous l'avez conçue ne nous permettent pas de vous supposer le moindre ressentiment des lenteurs involontaires qui ont retardé la conclusion de nos conventions. Nous aimons à penser que vous n'avez pas voulu étouffer votre génie musical dans les limites d'une place qui a quelque chose d'administratif, et que vous préférez, à votre âge, dans toute la force de votre talent, courir toujours les nobles aventures de l'art. Quant à notre regret, il est sincère; cela nous servait et nous honorait de mettre à la tête d'un de nos services les plus importants le nom d'un homme qui rattache à lui toutes les idées de progrès et de rénovation. Nous perdons un de nos plus glorieux drapeaux pour la campagne que nous entreprenons; il nous reste à compter sur les bonnes promesses qui terminent votre lettre et à espérer qu'elles ne seront pas vaines[37].»
De quelles promesses était-il question? Nous l'ignorons; elles furent emportées avec tant d'autres dans le tourbillon de la révolution de 1848. La saison musicale, à Drury-Lane, s'ouvrit par une représentation de Lucia de Lammermoor, jouée par madame Dorus Gras, le baryton Pischek, le ténor Reeves et la basse Withworth. En même temps, on donnait le Génie du Globe, ballet de la composition de M. Maretzek, maître du chant, audit théâtre[38]. La salle était peu garnie; Lucia, opéra fort démodé, même en Angleterre, n'attirait plus la foule, et Berlioz, qui avait fait une mauvaise affaire en liant sa destinée à celle de Jullien, devina que cette équipée se terminerait par une banqueroute. Ses prévisions ne tardèrent pas à se réaliser; pour comble de malheur, les événements politiques, en France, tournèrent à la tragédie des barricades et aux massacres de juin. Berlioz faillit perdre sa modeste place de bibliothécaire au Conservatoire; si cette catastrophe était arrivée en un pareil moment, il n'aurait plus eu qu'à se suicider. Mais il connaissait Victor Hugo, et le grand poëte, alors au pouvoir, réussit à congédier les affamés qui flairaient d'un peu trop près les rogatons d'appointements que le Conservatoire alloue à ses bibliothécaires.
Sous la seconde République, les artistes, presque tous enrôlés dans la garde nationale, n'eurent guère d'occasions de se distinguer. En ce qui concerne le musicien dont nous écrivons la vie, nos notes, si abondantes parfois, sont insignifiantes ici; nous trouvons à peine à signaler un concert au palais de Versailles (29 octobre 1848), un autre concert à Londres, après lequel, dans un souper, miss Dolby, miss Lyon et Reeves chantèrent, en l'honneur du maître, des glees ou anciens madrigaux anglais[39]. L'année suivante, le baron Taylor offrit à Berlioz la médaille d'or que certains admirateurs de la Damnation de Faust avaient fait frapper en souvenir de cette œuvre trop rarement entendue. Le goût de la symphonie commençait à se répandre à Paris. On essaya de fonder une société, avec deux cents exécutants et choristes, donnant ses séances dans la salle Sainte-Cécile, rue de la Chaussée-d'Antin: ce fut là que Berlioz fit exécuter la seconde partie de son Enfance du Christ, attribuée (sur le programme) à Pierre Ducré, musicien imaginaire, chimérique, ayant vécu, disait-on, au XVIe siècle; il fallait bien détourner les soupçons et désarmer la critique hostile. Le secret avait été bien gardé; tout le monde fut pris à cette plaisanterie. Léon Kreutzer, qui n'était pas dans la confidence, écrivait deux jours après: «Cette pastorale m'a paru assez jolie et modulée assez heureusement, pour un temps où l'on ne modulait jamais...» Une dame enthousiasmée disait à un journaliste: «Ce n'est pas votre Berlioz qui ferait cela!»
Le faux Pierre Ducré ressentit quelque amertume de ce succès calomnieux pour ses œuvres antérieures. L'Enfance du Christ, complétée et remaniée, fit recette à la salle Herz, pendant plusieurs soirées de suite[40]. Ce triomphe ne consola pas Berlioz du second échec que Benvenuto venait de subir à Londres, où les partisans de la musique italienne et de la vieille Société philharmonique dominaient encore. Le public de Weimar fut d'un avis contraire à celui du public anglais. Benvenuto, à Weimar, prit une revanche éclatante de ses autres déconvenues. Berlioz, étant venu à la représentation, on le célébra en langue allemande, en français, et même en latin. Nous avons découvert les paroles d'un toast, mis en musique par Raff, et chanté en chœur par l'élite des Weimarquois: c'est à pouffer de rire:
Nostrum desiderium
Tandem implevisti:
Venit nobis gaudium
Quia tu venisti.
Sicuti coloribus
Pingit nobis pictor;
Pictor es eximius,
Harmoniæ victor.
Vives, crescas, floreas,
Hospes Germanorum
Et amicus maneas
Neo-Wimarorum[41].
Vives, crescas, floreas, répétait le chœur des convives, en buvant du vin de Champagne: il n'y a que les Allemands pour s'amuser de la sorte. Berlioz, triste et préoccupé, ne retrouvait un peu de gaieté que hors de chez lui, au milieu de ces populations étrangères qui lui décernaient des honneurs dignes d'un proconsul mené au Capitole. Il venait de perdre sa femme, Henriette Smithson, et de se remarier avec mademoiselle Récio, l'ex-cantatrice de Bruxelles, dont le talent n'était pas toujours à la hauteur de l'ambition, si nous en jugeons par ce fragment de correspondance: «Plaignez-moi, mon cher Morel; Marie a voulu chanter à Mannheim et à Stuttgart et à Heckingen. Les deux premières fois, cela a paru supportable, mais la dernière!... et l'idée seule СКАЧАТЬ