Lélia. George Sand
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Название: Lélia

Автор: George Sand

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066074708

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СКАЧАТЬ de l’intimité qui règne entre lui et vous, vous si froide, si réservée, si méfiante parfois, et qui ne l’êtes jamais pour lui. S’il est votre frère, Lélia, quel droit a-t-il de plus que moi sur vous? Croyez-vous que je vous aime moins purement que lui? Croyez-vous que je pourrais vous aimer avec plus de tendresse, de sollicitude et de respect, si vous étiez ma sœur? Oh! que ne l’êtes-vous! vous n’auriez de moi nulle défiance, vous ne méconnaîtriez pas à chaque instant le sentiment chaste et profond que vous m’inspirez! N’aime-t-on pas sa sœur avec passion, quand on a l’âme passionnée et une sœur comme vous, Lélia! Les liens du sang, qui ont tant de poids sur les natures vulgaires, que sont-ils au prix de ceux que nous forge le ciel dans le trésor de ses mystérieuses sympathies?

      Non, s’il est votre frère, il ne vous aime pas mieux que moi, et vous ne lui devez pas plus de confiance qu’à moi. Qu’il est heureux, le maudit, si vous vous plaisez à lui dire vos souffrances, et s’il a le pouvoir de les adoucir! Hélas! vous ne m’accordez pas seulement le droit de les partager! Je suis donc bien peu de chose! Mon amour a donc bien peu de prix! Je suis donc un enfant bien faible et bien inutile encore, puisque vous avez peur de me confier un peu de votre fardeau! Oh! je suis malheureux, Lélia! car vous l’êtes, vous, et vous n’avez jamais versé une larme dans mon sein. Il y a des jours où vous vous efforcez d’être gaie avec moi, comme si vous aviez peur de m’être à charge en vous livrant à votre humeur. Ah! c’est une délicatesse bien insultante, Lélia, et qui m’a fait souvent bien du mal! Avec lui vous n’êtes jamais gaie. Voyez si j’ai sujet d’être jaloux!

       Table des matières

      J’ai montré votre lettre à l’homme qu’on nomme ici Trenmor, et dont moi seule connais le vrai nom. Il a pris tant d’intérêt à votre souffrance, et c’est un homme dont le cœur est si compatissant (ce cœur que vous croyez mort!) qu’il m’a autorisée à vous confier son secret. Vous allez voir que l’on ne vous traite pas comme un enfant, car ce secret est le plus grand qu’un homme puisse confier à un autre homme.

      Et d’abord sachez la cause de l’intérêt que j’éprouve pour Trenmor. C’est que cet homme est le plus malheureux que j’aie encore rencontré; c’est que, pour lui, il n’est point resté au fond du calice une goutte de lie qu’il n’ait fallu épuiser; c’est qu’il a sur vous une immense, une incontestable supériorité, celle du malheur.

      Savez-vous ce que c’est que le malheur, jeune enfant? Vous entrez à peine dans la vie, vous en supportez les premières agitations, vos passions se soulèvent, accélèrent les mouvements de votre sang, troublent la paix de votre sommeil, éveillent en vous des sensations nouvelles, des inquiétudes, des tourments, et vous appelez cela souffrir! Vous croyez avoir reçu le grand, le terrible, le solennel baptême du malheur! Vous souffrez, il est vrai, mais quelle noble et précieuse souffrance que celle d’aimer! De combien de poésie n’est-elle pas la source! Qu’elle est chaleureuse, qu’elle est productive, la souffrance qu’on peut dire et dont on peut être plaint!

      Mais celle qu’il faut renfermer sous peine de malédiction, celle qu’il faut cacher au fond de ses entrailles comme un amer trésor, celle qui ne vous brûle pas, mais qui vous glace; qui n’a pas de larmes, pas de prières, pas de rêveries; celle qui toujours veille froide et paralytique au fond du cœur! celle que Trenmor a épuisée, c’est celle-là dont il pourra se vanter devant Dieu au jour de la justice! car devant les hommes il faut s’en cacher. Écoutez l’histoire de Trenmor.

      Il entra dans la vie sous de funestes auspices, quoique aux yeux des hommes son destin fût digne d’envie. Il naquit riche, mais riche comme un prince, comme un favori, comme un juif. Ses parents s’étaient enrichis par l’abjection du vice; son père avait été l’amant d’une reine galante; sa mère avait été la servante de sa rivale; et comme ces turpitudes étaient habillées de pompeuses livrées, comme elles étaient revêtues de titres pompeux, ces courtisans abjects avaient causé beaucoup plus d’envie que de mépris.

      Trenmor aborda donc le monde de bonne heure et sans obstacle: mais, à l’âge où une sorte de honte naïve et de crainte modeste fait hésiter au seuil, son âme sans jeunesse s’approchait du banquet sans trouble et sans curiosité; c’était une âme inculte, ignorante, et déjà pleine d’insolents paradoxes et d’aveuglements superbes. On ne lui avait pas donné la connaissance du bien et du mal: sa famille s’en fût bien gardée, dans la crainte d’être par lui méprisée et reniée. On lui avait appris comment on dépense l’or en plaisirs frivoles, en ostentation stupide. On lui avait créé tous les faux besoins, enseigné tous les faux devoirs qui causent et alimentent la misère des riches. Mais si on put le tromper sur les vertus nécessaires à l’homme, on ne put du moins changer la nature de ses instincts. Là le travail démoralisateur fut forcé de s’arrêter; là le souffle humain de la corruption vint échouer contre la divine immortalité de la création intellectuelle. Le sentiment de la fierté, qui n’est autre que le sentiment de la force, se révolta contre les faits extérieurs. Trenmor vit le spectacle de la servitude, et il ne put le souffrir, parce que tout ce qui était faible lui faisait horreur. Forcé d’accepter l’ignorance de toute vertu, il trouva en lui-même de quoi repousser tout ce qui sentait le mensonge et la peur. Nourri dans les faux biens, il n’apprit que la débauche et la vanité qui servent à les perdre; il ne comprit ni ne toléra l’infamie qui les amasse et les renouvelle.

      La nature a ses mystérieuses ressources, ses trésors inépuisables. De la combinaison des plus vils éléments elle fait sortir souvent ses plus riches productions. Malgré l’avilissement de sa famille, Trenmor était né grand, mais âpre, rude et terrible comme une force destinée à la lutte, comme un de ces arbres du désert qui se défendent des orages et des tourbillons, grâce à leur écorce rugueuse, à leurs racines obstinées. Le ciel lui donna l’intelligence; l’instinct divin était en lui. Les influences domestiques s’efforcèrent d’anéantir cet instinct de spiritualité, et, chassant par la raillerie les fantômes célestes errant autour de son berceau, lui enseignèrent à chercher le sentiment de l’existence dans les satisfactions matérielles. On développa en lui l’animal dans toute sa fougue sauvage, on ne put pas faire autre chose. L’animal même était noble dans cette puissante créature: Trenmor était tel, que les amusements désordonnés produisaient plutôt chez lui l’exaltation que l’énervement. L’ivresse brutale lui causait une souffrance furieuse, un besoin inextinguible des joies de l’âme: joies inconnues et dont il ne savait même pas le nom! C’est pourquoi tous ses plaisirs tournaient aisément à la colère, et sa colère à la douleur. Mais quelle douleur était-ce? Trenmor cherchait vainement la cause de ces larmes qui tombaient au fond de sa coupe dans le festin, comme une pluie d’orage dans un jour brûlant. Il se demandait pourquoi, malgré l’audace et l’énergie d’une large organisation, malgré une santé inaltérable, malgré l’âpreté de ses caprices et la fermeté de son despotisme, aucun de ses désirs n’était apaisé, aucun de ses triomphes ne comblait le vide de ses journées.

      Il était si éloigné de deviner les vrais besoins et les vraies facultés de son être, qu’il avait dès son enfance une étrange folie. Il s’imaginait qu’une fatalité haineuse pesait sur lui, que le moteur inconnu des événements l’avait pris en aversion dans le sein de sa mère, et qu’il était destiné à expier des fautes dont il n’était pas coupable. Il rougissait de devoir la naissance à des courtisans, et il disait quelquefois que la seule vertu qu’il eût, la fierté, était une malédiction, parce que cette fierté serait fatalement brisée un jour par la haine du destin. Ainsi l’effroi et le blasphème étaient les seuls reflets qu’il eût gardés des lueurs célestes: reflets affreux, ouvrage des hommes, maladie d’un cerveau vaste et noble qu’on avait comprimé sous le diadème étroit et lourd de la mollesse. Les esprits vulgaires qui ont assisté à СКАЧАТЬ