RABOISSON. J'ai envoyé à la découverte, nous saurons bientôt à quoi nous en tenir. Le bruit du moment est que cette troupe est commandée par Saint-Gueltas.
LE COMTE. Qui appelez-vous ainsi? Je ne me souviens pas...
RABOISSON. Eh! c'est le petit nom du fameux marquis!
LOUISE. Le marquis de la Roche-Brûlée? Ah! mon père, on le dit si cruel!... Soyez prudent!
ROXANE. Et on le dit invincible! Mon frère, ne vous y risquez pas.
LE COMTE. Je ferai mon devoir; si cet homme agit de son chef et sans ordre de la cour, je conseillerai et j'organiserai la résistance.
RABOISSON. Mais s'il est en règle?... et il y est, je vous en réponds... Saint-Gueltas est aussi prudent que hardi.
LOUISE. Vous le connaissez, monsieur de Raboisson?
RABOISSON. Je l'ai connu beaucoup dans sa jeunesse.
ROXANE. Il n'est donc plus jeune?
RABOISSON, (souriant.) Si fait! une quarantaine d'années, comme nous!
ROXANE. On le dit charmant!
RABOISSON. Au contraire, il est laid, mais il plaît aux femmes.
LOUISE, (ingénument.) Pourquoi?
RABOISSON, (embarrassé.) Parce que... parce qu'il est laid, je ne vois pas d'autre raison.
ROXANE, (bas, à Raboisson.) Et parce qu'il les aime, n'est-ce pas?
RABOISSON, (de même.) Chut! il les adore!
ROXANE. Alors, c'est un héros! comme César, comme le maréchal de Saxe!
LE COMTE, qui a parlé avec le chevalier. Je ne vous demande qu'une chose, c'est de ne pas courir au-devant de l'insurrection. Ce serait m'exposer à des soupçons... Si elle vous entraîne et vous emporte en passant, je n'aurai de comptes à rendre à personne; mais n'oubliez pas qu'en vous donnant asile chez moi dans ces jours de persécution, j'ai répondu de vous sur mon propre honneur.
LE CHEVALIER. Je ne l'oublierai pas, monsieur.
RABOISSON. Quant à moi, mon cher comte, il y a une circonstance qui me rendra aussi sage que vous pouvez le désirer: c'est que l'insurrection est fomentée par les prêtres; or, je ne suis pas de ce côté-là: voltairien j'ai vécu, voltairien je mourrai.
LE CHEVALIER. Il n'y a pas de quoi se vanter, monsieur!
RABOISSON. Pardonnez-moi, jeune homme! Libre à vous de donner dans les idées contraires. Élevé pour l'Église, vous étiez abbé l'an passé. La mort de vos aînés vous remet l'épée au flanc, et vous êtes impatient de la tirer pour la cause que vous croyez sainte; mais, moi, j'aime la ligne droite et ne veux pas faire les affaires du fanatisme sous prétexte de faire celles de la monarchie.
LE CHEVALIER. Pourtant, monsieur...
ROXANE. Ah! mon Dieu! allez-vous encore vous quereller? C'est bien le moment! Parlez-nous plutôt du charmant Saint-Gueltas...
MÉZIÈRES, (entrant.) Monsieur le comte, il y a là M. Le Moreau, municipal de Puy-la-Guerche, avec M. Rebec, son adjoint..., celui qui est aubergiste à présent, votre ancien marchand de laines.
ROXANE. Fripon sous toutes les formes! (Au comte.) Est-ce que vous allez recevoir ces gens-là?
LE COMTE, (à Mézières.) Faites entrer. (Mézières sort. A sa soeur.) Le Moreau est un très-galant homme.
ROXANE. Ça? un abominable suppôt de la gironde, qui a approuvé le meurtre du roi?
LE COMTE. Ma soeur, soyez calme.
ROXANE. Non! je suis indignée!
LOUISE. Alors, ne restez pas ici.--Venez, ma tante.
ROXANE. Oui, oui, sortons! J'étouffe de rage! Mon frère, vous êtes un tiède, un... (Louise lui ferme la bouche par un baiser.) Tiens, sans toi, je crois que je deviendrais fratricide! (Elles sortent.)
RABOISSON. Devons-nous rester?
LE COMTE. Vous, certes; mais le chevalier est vif...
RABOISSON. Et jeune!
LE CHEVALIER, (au comte.) Je me retire, monsieur. (Il sort.)
SCÈNE III.--LE COMTE, RABOISSON, LE MOREAU, REBEC.
REBEC, (obséquieux, avec de grands saluts.) Nous nous sommes permis...
LE COMTE. Soyez les bienvenus, messieurs. Qu'y a-t-il pour votre service?
REBEC, (ému.) Voilà ce que c'est, citoyen comte. Les brigands sont à nos portes.
LE COMTE, (incrédule.) A vos portes?
REBEC. On a signalé l'apparition de plusieurs bandes éparses dans les bois, et même très-près d'ici on a trouvé des traces de bivac.
RABOISSON. On est sûr que c'étaient des brigands?
REBEC. Oui, citoyen baron, des paysans révoltés contre le tirage.
LE COMTE. Ont-ils fait quelque dégât?
REBEC. Aucun encore; mais...
LE COMTE. Vous vous pressez peut-être beaucoup de les traiter de brigands!
REBEC. Ah! dame! si M. le comte croit qu'ils n'en veulent pas à nos personnes et à nos biens..., c'est possible! moi, j'ignore... (Bas, à Le Moreau, qui se tient digne et froid, observant avec sévérité le comte et Raboisson.) Il ne faudrait pas le fâcher! (Haut.) Moi, j'ai des opinions modérées... J'ai toujours été dévoué à la famille de Sauvières.
LE COMTE, (avec un peu de hauteur.)--Il est blessé de l'examen que lui fait subir Le Moreau. Ma famille a toujours su reconnaître les preuves de respect et de fidélité; mais je vous sais alarmiste, monsieur Rebec, et je voudrais être sérieusement renseigné. Pourquoi M. Le Moreau garde-t-il le silence?
LE MOREAU, (prenant un siége et faisant sentir qu'on ne lui a pas encore dit de s'asseoir.) Monsieur le comte ne m'a pas encore fait l'honneur de m'interroger.
LE COMTE, (lui faisant signe de s'asseoir.) Veuillez parler, monsieur.
LE MOREAU. Je ne suis pas aussi persuadé que M. Rebec de l'approche de ces bandes; mais la population s'en émeut, et il faut la rassurer. Les paysans des districts voisins, gagnés par l'exemple des districts plus éloignés, commencent eux-mêmes à commettre des actes de brigandage, on n'en peut plus douter. La loi du recrutement est dure pour eux, j'en conviens, et ils n'en comprennent pas la nécessité; des suggestions coupables, des intrigues perverses que je n'ai pas besoin de vous signaler...
RABOISSON. Quant à cela, je ne vous dirai pas le contraire. Le clergé des campagnes...
LE СКАЧАТЬ