Название: La main froide
Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066086527
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—Oui, Monsieur, répondit-elle, sans paraître embarrassée, c'est moi qui étais assise, là-bas, sous les grands marronniers, quand votre ami s'est permis de m'adresser la parole.
—Je vous prie de croire, Madame, que j'ai fait ce que j'ai pu pour l'empêcher de commettre cette inconvenance.
—Je le sais, Monsieur; j'ai très bien vu que vous avez essayé de le retenir et j'ai deviné que vous le désapprouviez.
—Oh! absolument!
—Je n'en doute pas. C'est ce qui m'a fait désirer de vous connaître.
L'explication ne laissait pas que d'être flatteuse pour Paul Cormier; mais elle n'excusait pas l'allure, pour le moins excentrique, de cette dame qui, pour faire connaissance avec un jeune homme qu'elle venait de voir pour la première fois, n'imaginait rien de mieux que d'envahir un fiacre où il montait et de lui commander de l'accompagner à l'autre bout de Paris.
Il n'aurait plus manqué que de baisser les stores.
Elle ne s'en avisa point, ni Paul non plus, car il avait beau se dire qu'il était tombé sur une chercheuse de rencontres, il ne parvenait pas à se le persuader, tant l'air de cette blonde énigmatique était en désaccord avec sa conduite.
Il y avait dans toute sa personne et dans le ton qu'elle avait pris un je ne sais quoi qui commandait, sinon le respect, au moins des égards, et au risque d'être dupe, Paul ne put pas se décider à lui parler autrement qu'il ne l'aurait fait dans un salon.
—Quel dommage, reprit-elle, qu'un homme si bien né soit si mal élevé!
—Comment savez-vous qu'il est bien né? demanda Paul.
—Il ne s'est assis près de moi qu'un instant et il a trouvé le temps de dire son nom… je crois même qu'il y a ajouté son adresse.
—Et son nom vous était connu? demanda Paul, très étonné.
—Oh! depuis bien des années. Sa famille est une des plus anciennes et une des plus illustres du Languedoc.
Cormier pensa tristement que la sienne ne remontait pas si loin et que sa notoriété ne s'était jamais étendue au-delà du quartier des Halles, mais il ne laissa pas voir à la dame qu'elle venait de l'humilier, sans le vouloir.
Il se contenta de répondre:
—Jean eût été bien fier, s'il avait su que, pour vous, il n'était pas le premier venu. Pourquoi ne le lui avez-vous pas dit?
—Je n'avais garde… pour plusieurs raisons… la première, c'est qu'il aurait fallu me nommer… Or, si j'ai entendu parler de lui, il n'a jamais entendu parler de moi… Mon nom ne lui aurait rien appris… et d'ailleurs, menant la vie qu'il mène, il doit se soucier fort peu de me connaître.
—Il mène la même vie que tous les étudiants… la même que moi.
—Permettez-moi, Monsieur, de n'en rien croire. Je vous regardais quand vous avez rencontré sur la terrasse les demoiselles qui l'ont emmené… et j'ai vu que vous avez refusé de les suivre.
—J'ai refusé, parce que je ne pensais qu'à vous.
—Vraiment?… alors, vous n'en avez que plus de mérite à ne pas vous être conduit avec moi comme l'a fait M. de Mirande… mais, quel plaisir peut-il prendre à s'entourer de ces créatures?
L'une d'elles est sa maîtresse, n'est-ce pas?
—Je devrais vous répondre que je n'en sais rien, mais je veux bien vous dire la vérité… Jean n'a rien de commun avec le lierre… il ne s'attache pas.
—Il n'y a que demi-mal.
—Alors, vous l'approuvez de n'aimer sérieusement aucune femme?
—Je ne dis pas cela, répliqua vivement la dame; je l'approuve de ne pas aimer à tort et à travers, mais je ne désespère pas d'apprendre un jour qu'il a trouvé enfin une femme digne de lui… et qu'il l'aime.
—C'est la grâce que je lui souhaite. Elle ne l'a pas encore touché et elle pourra se faire attendre.
Maintenant, Madame, oserai-je vous demander en quoi sa conversion vous intéresse?
Et comme elle ne paraissait pas disposée à répondre, Paul reprit:
—Je me permets de vous poser cette question parce que vous ne m'avez encore parlé que de lui.
—N'êtes-vous pas son meilleur ami?
—Je le crois, mais avouez que je pousserais l'amitié jusqu'à l'abnégation la plus invraisemblable, si je ne vous disais pas que je serais heureux de vous plaire et que je m'étonne d'être appelé à l'honneur de vous fournir des renseignements sur Jean de Mirande.
Vous auriez pu les lui demander à lui-même, au lieu de l'éconduire… et je pourrais ajouter: pour qui me prenez-vous?
La dame rougit et ce fut d'un ton peiné qu'elle répondit:
—Pardonnez-moi, Monsieur, si je vous ai offensé. J'avais cru, en m'adressant à vous, que je pourrais, sans vous blesser, vous interroger sur M. de Mirande… et je n'ai pas craint de tenter une démarche… que j'espère ne pas avoir à regretter.
—Oh! protesta Paul Cormier, je n'abuserai pas de la situation.
Elle n'a cependant rien de flatteur ni d'agréable pour moi, convenez-en. Me voilà réduit au rôle de confident… et encore!… jusqu'à présent vous ne m'avez pas confié grand'chose…
J'espérais mieux et quand vous avez bien voulu m'inviter à monter dans cette voiture, si j'avais pu prévoir qu'il ne serait question que de Mirande et de sa famille…
—Ne vous repentez pas d'avoir fait une bonne action, interrompit la blonde inconnue.
—Une bonne action, dites-vous?… voilà un bien gros mot!… je n'aperçois pas encore quel service j'ai pu vous rendre.
—Un grand service… vous le reconnaîtrez plus tard et… pourquoi ne l'avouerais-je pas?… je compte vous en demander d'autres…
—Je vous reverrai donc!
—Oui… si vous voulez me promettre de ne pas chercher à savoir qui je suis…
—Voilà une condition un peu dure!
—Et de ne rien dire à votre ami.
—Il ne m'en coûtera guère d'être discret, mais… quelle sera ma récompense, si je me soumets à l'autre condition?
—Fiez-vous-en à ma reconnaissance et comptez qu'un jour vous saurez tout.
—Soit! j'accepte; mais comment vous reverrai-je? Vous ne m'avez pas dit votre nom… je suppose que vous ne voulez pas me le dire… et vous ne savez pas le mien.
—Il ne tient qu'à vous de me l'apprendre. Je m'en souviendrai, je vous le jure.
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