Les pilotes de l'Iroise. Edouard Corbiere
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Название: Les pilotes de l'Iroise

Автор: Edouard Corbiere

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066087630

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СКАЧАТЬ battait comme dans une caserne; ces arsenaux immenses, où une multitude d'ouvriers préparaient les foudres qui devaient venger la France; les cris des matelots; les sifflets aigus des maîtres d'équipages; le bruit des chaînes des forçats; l'éclat des armes; le fracas des exercices à feu; tout éblouissait, fatiguait ou consternait ces hommes simples, dont le seul murmure des vagues et des vents avait agité le berceau et la vie.

      En se dirigeant dans les rues tumultueuses de Brest, pour arriver chez le maître de pension qu'on avait indiqué à Tanguy, les inconvénients de la célébrité, d'une célébrité pourtant bien nouvelle, vinrent assaillir notre pilote. La foule suivait avec curiosité, avec avidité, les six Ouessantins, dont la mise d'apparat ne laissait pas que d'être assez bizarre au milieu d'une grande ville.

      —Qu'est-ce que c'est que ça? s'écriait-on sur leur passage.

      —Mais c'est le pilote qui a mis la frégate anglaise à la côte.

      —Mais un peu! répondait Tanguy, impatienté. Est-ce que ça vous fait quelque chose, à vous?

      —Tiens, il a un oeil de moins!

      —Et vous autres, eu avez-vous un de plus? Ils arrivèrent, toujours la foule à leurs trousses, chez le maître de pension:

      —Monsieur le maître d'école, lui dit Tanguy, voilà un enfant que j'ai trouvé à la mer, il y a à peu près douze ans, et je me suis fait son père, comme de raison. C'est déjà marin comme les cordes, et pilote comme un rocher. Il est aussi bon pratique de la côte que moi; mais ça ne sait pas encore lire.

      Ici Cavet rougit jusqu'aux oreilles, et baissa sur le plancher des yeux remplis de grosses larmes.

      —Eh bien! est-ce qu'il faut pleurer pour ça? Crois-tu être déshonoré parce que tu ne sais pas lire? Est-ce que nous autres, nous sommes plus savants que toi? Et cependant nous sommes d'honnêtes gens. Lève donc ta tête, imbécile!... Tanguy continua.

      Nous nous serions bien présentés à un maître calfat ou à un maître voilier; mais on nous a dit qu'il était trop âgé pour devenir calfat ou pour apprendre la couture, et qu'il n'était plus bon qu'à faire un capitaine ou tout au plus un chirurgien. Il faut donc lui donner de l'éducation, et nous vous paierons ce qu'il faudra pour qu'il ne soit pas aussi borné que nous.

      Le professeur était un excellent homme, qui demanda peu, et qui se chargea avec plaisir de l'éducation du petit pilote. Nos loups de mer, enchantés du succès de leur démarche, emmenèrent pour le soir seulement avec eux leur élève, qu'ils grisèrent avant de se séparer de lui. Le lendemain ils appareillèrent pour retourner à Ouessant, tout émus de l'adieu qu'il avait fallu dire au jeune orphelin, mais très-contents d'avoir fait une bonne action.

      En trois semaines le jeune élève sut lire; au bout de trois mois, il écrivait déjà les petites leçons qu'il apprenait avec une ardeur infatigable. Cette vive et sûre intelligence surprenait et enchantait ses professeurs. C'était un sourd-muet, qui venait de recouvrer un sens et un organe nouveaux; mais à mesure que la sphère de ses idées s'agrandissait, son caractère prenait une teinte plus sombre. Le travail semblait être plutôt pour lui un besoin qu'un devoir; et loin de rechercher, comme les autres enfants de son âge, la récompense de ses progrès dans ces jouissances d'amour-propre que les professeurs réservent à leurs élèves, Cavet paraissait ne supporter qu'avec une espèce de honte les éloges qu'on prodiguait à son application et à ses rares facultés. Jamais on ne le voyait partager avec ses jeunes condisciples le plaisir de leurs bruyantes récréations. Il n'y avait enfin en lui rien d'ingénu ni d'expansif, et pourtant ses traits étaient vifs et doux, son regard innocent et paisible.

      Une telle disposition d'humeur inquiétait l'homme instruit et bienveillant à qui son éducation avait été confiée. Il avait d'abord attribué à l'excès du travail la mélancolie qu'il remarquait dans son jeune élève; mais les lectures auxquelles se livrait celui-ci lui indiquèrent la pente de son esprit et la nature de son caractère. Plusieurs fois son professeur avait été réduit à écarter de lui ces livres où La Rochefoucauld, Helvétius et Jean-Jacques. ont calomnié trop souvent la nature humaine et la civilisation. Les jeunes gens élevés dans l'austérité de l'étude ne sont que trop disposés à se nourrir l'esprit, de ces productions éloquentes, dans lesquelles la misanthropie de plusieurs moralistes ardents offre de bonne heure un aliment à des âmes qui détestent la société avant de l'avoir connue. Lequel de nous n'a pas été à quinze ans l'ennemi des femmes, avec Juvénal ou Boileau, et le contempteur de la nature policée, avec Rousseau? Mais chez notre orphelin, cette disposition à haïr la société prenait une direction plus sérieuse que chez la plupart des enfants de collège, parce que cette direction avait chez lui un motif. Le pauvre Cavet était sans famille, sans nom, sans protecteur puissant. Cette éducation, qui tendait à lui faire connaître toute l'étendue de ses facultés, lui apprenait aussi à apprécier tout ce qui lui manquait du côté de la position que ses moyens devaient lui acquérir dans le monde. Lorsqu'au terme de l'année, il voyait d'heureuses mères venir chercher leurs enfants couronnés dans les concours, où il avait lui-même obtenu le premier prix, il gémissait de ne pouvoir faire l'hommage de ses succès à une famille qui en aurait été fière. Nourri par la charité de quelques pauvres pêcheurs, élevé par leur générosité, il sentait trop bien ce qu'il devait à leurs bienfaits, pour ne pas éprouver aussi tout ce qu'il aurait voulu devoir à une famille qui aurait été la sienne... Une soeur lui avait été laissée par ce sort cruel qui lui avait ravi tout hors la vie. Cette petite soeur avait partagé son infortune, l'innocence de ses premières années, la douceur de ses jeux, l'amertume même de leurs premières peines; mais un Anglais puissant, mais un monstre, avait arraché cette soeur bien aimée à sa tendresse... Un Anglais!.... Oh! qu'à ce nom, oh! qu'à cette idée de la violence et de la brutalité, le jeune orphelin sentait s'allumer de rage dans ce coeur, dont il cachait à tous les regards les mouvements impétueux!

      A chaque vacance, Cavet obtenait la permission d'aller voir à Ouessant ses parents adoptifs, qui ne le recevaient jamais sans se montrer orgueilleux de pouvoir dire: Celui-là aussi est notre fils! Oui, disait Tanguy, en allant visiter avec lui toutes les maisons de l'île, celui-là nous fera honneur dans peu. Il en sait déjà plus que nous tous. Quelle gloire pour l'île d'Ouessant, qui n'a fourni encore que des pilotes, s'il pouvait un jour devenir capitaine au long-cours!.... Un capitaine au long-cours!... Vous figurez-vous cela, vous autres? Je mourrai content si de l'oeil qui me reste je puis voir, dans quelques années, Tanguy-Cavet commander un navire de deux à trois cents tonneaux. C'est tout ce que je demande au bon Dieu pour la fin de mes jours.

      —Oui, répondait l'orphelin; mais pour devenir capitaine, il me faudrait naviguer, mon père, et vous ne voulez pas encore que je quitte mes classes. Cependant, si vous me laissiez battre un peu la mer dans les bateaux d'Argenton, de Labervrack et de l'Ile-de-Bas, je parviendrais à connaître bientôt la côte; et alors je pourrais m'embarquer utilement sur un des corsaires qui relâchent dans la Manche. Ils gagnent de l'argent, au moins les corsaires!

      —Et tu veux donc en gagner aussi, toi?

      —Sans doute. Ne faut-il pas que je vous rende un jour tout ce que je vous ai coûté?...

      —Eh bien! est-ce que tu as besoin de pleurer encore pour cela? Il pleure toujours ce petit diable, comme si on lui reprochait ce qu'on a fait pour lui!—Allons, puisque définitivement tu le veux, va-t'en patouiller dans les bateaux des pratiques; et apprends surtout à bien prendre tes marques à terre, car, vois-tu, c'est le marquage qui fait les bons pilotes; il n'y a que cela qui puisse former un homme. Mais, au surplus, je verrai bien, dans quelques mois, si tu en sais plus que tous ces lamaneurs, qui font le métier comme de vraies mécaniques à piloter les navires.

      Cavet quitta sa pension СКАЧАТЬ