Les pilotes de l'Iroise. Edouard Corbiere
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Название: Les pilotes de l'Iroise

Автор: Edouard Corbiere

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066087630

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СКАЧАТЬ à plus d'une longue dissertation parmi les marins de l'île. Les uns soutenaient que la peinture verte qui la couvrait et la forme des barreaux, indiquaient assez que cette cage appartenait à un bâtiment anglais. Les autres prétendaient que le linge fin et le manteau qui enveloppaient les deux orphelins, étaient d'étoffe française; les femmes d'Ouessant, dont les connaissances en fait de toilette sont assez bornées, pensaient que les petites chemises n'avaient pu être cousues, et taillées que par une main étrangère. Enfin survint un pauvre cordonnier qui avait été marin, et qui soutint que les souliers des jeunes naufragés avaient été confectionnes aux Colonies, tant ils étaient mal cousus et de mauvaise qualité. Le curé à ce propos voulut lui appliquer le ne sutor ultra crepidam. Le cordonnier fit la grimace au curé, qui riait de ne pas être compris, et la discussion en resta là. Mais un fait sur lequel tout le monde tomba d'accord, c'était la ressemblance prodigieuse qui existait entre la mignonne petite fille et le joli petit garçon. Plus de doute, c'étaient le frère et la soeur. Malheureux enfants! s'écriait-on: ils n'ont ni père ni mère, et Tanguy alors de répondre, en montrant sa femme:—Pour qui donc nous prenez-vous, vous autres? Voyons, qu'on leur donne vite le baptême en double ration, et que tout cela finisse!

      Le baptême arriva. Deux pilotes et deux grosses paysannes servirent de parrains et de marraines aux néophytes. Tanguy et Jean-Marie devinrent leurs pères adoptifs. L'un, pendant la cérémonie, se tenait dans un coin de l'église, impatienté de voir le curé prodiguer le sel et l'eau aux deux pauvres enfants qui criaient de toute la force de leurs petits poumons. Le brave homme ne concevait pas bien que l'on fit souffrir autant d'aussi faibles créatures, pour leur mettre sur les lèvres une vilaine eau salée, quand il venait de les retirer à moitié noyés du milieu de la mer. Le meilleur baptême qu'ils aient reçu, disait-il en lui-même, c'est celui d'avant-hier: ce petit garçon-là sera marin, ou que le diable m'emp—!

      —Et quel nom lui donnez-vous, maître Tanguy? demanda le curé.

      —Mais le mien d'abord, et puis un nom de circonstance, puisqu'il ne peut avoir un nom de famille.

      —Quel nom de circonstance, encore?

      On nomma la petite fille Jeannette, comme la femme de Jean-Marie, sa mère adoptive.

      Le soir de la cérémonie, tout Ouessant était dans la joie et dans l'ivresse, mais dans l'ivresse du vin, car dans ces pays on boit pour célébrer chaque solennité. Les peuples auxquels sourit sans cesse un beau ciel, peuvent bien se passer de ce véhicule de gaîté que les Bas-Bretons vont puiser au fond d'un verre, et quelquefois dans les flancs d'un tonneau rempli de lie. Mais au milieu de ces rochers sauvages, toujours battus par la mer, et recouverts d'une froide et brumeuse atmosphère, comment se trouver assez de gaîté naturelle dans le coeur, pour rire au milieu d'un festin, et pour danser au bruit des vagues sur un rivage aride! Ne faut-il pas que les Bas-Bretons oublient tout ce qui les entoure, quand ils veulent se réchauffer l'imagination et se créer d'heureuses illusions? Vous trouvez que leur joie est brutale et leur rire frénétique, au sein des orgies qui les rassemblent; mais plaignez plutôt la destinée qui les force à ne jouir que d'un délire factice, et à n'éprouver que des plaisirs qui s'envolent, hélas, si vite avec ce délire d'un jour que le vin allume dans leurs sens.

      Tous les instants du festin, auquel présidait maître Tanguy, ne furent pas cependant consacrés à une stupide joie: le sentiment, qui inspire quelquefois les buveurs, eut son tour. L'un des convives proposa, au sein de l'enthousiasme général, de se rendre en grand cortége autour de la barque des trois pilotes, pour procéder à une nouvelle inauguration du bateau, et clouer solennellement sur son étrave la petite croix qui passait pour avoir été le palladium des deux enfants trouvés. Cette proposition fut accueillie avec une faveur unanime par la joyeuse assemblée, qui se mit en marche, autant qu'il lui fut possible. De longs manches de gaffe, au bout desquels brûlaient des morceaux de toile à voile goudronnés, servirent de flambeaux à cette procession d'un nouveau genre. Le curé marchait en tête, car il était de la partie. Les pilotes chantaient des cantiques et des couplets à boire. On arriva au bateau, qui se trouvait à sec sur le rivage, à cet instant de la marée; et tous les assistants se mirent à danser autour de cette nouvelle arche sainte, pendant que le curé, muni de quelques longues pointes et d'un marteau, clouait avec respect la croix garnie d'or, sur l'étrave du bateau de Tanguy.—«Au nom du père, du fils et du saint Esprit, s'écria le pasteur, en s'adressant à l'embarcation, je te nomme la Croix-du-bon-Dieu!» et depuis ce temps-là, le bateau des trois pilotes ne fut connu à Ouessant, que sous le nom de la Croix-du-bon-Dieu. Le syndic des gens de mer prit note de la nouvelle appellation de la barque bénie, pour que le commissaire-général eu fût informé, afin de demander à son excellence le ministre de la marine, qu'elle voulût bien autoriser un changement de nom, qui s'était fait, et très-bien fait même, sans l'intervention de l'autorité maritime.

      Le curé d'Ouessant était, au reste, un excellent pasteur, jouant aux quilles avec ses paroissiens, buvant avec eux et mieux qu'eux; les battant quelquefois, mais les aimant tous comme ses propres enfants.

      Après l'orgie de la consécration du bateau de maître Tanguy, tous les assistants s'endormirent pêle-mêle, les femmes à côté des hommes, les enfants couchés sur les vieillards, et monsieur le curé entre la robuste moitié de son bedeau et celle d'un débitant d'eau-de-vie.

      Partout ailleurs, on en aurait beaucoup médit le lendemain. Les pilotes ne songèrent seulement pas à s'en égayer, quand vint l'aurore, et que chacun se leva pour retourner chez soi, ou pour s'embarquer dans les bateaux que la marée bruyante faisait déjà flotter.

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