Les deux reines, Catherine de Médicis, et Marie Stuart, étaient avec les dames de la cour, dans une galerie du château d'où l'on découvrait toute la place; et, pour amuser davantage les spectateurs, les bourreaux avaient soin de varier les supplices, ou l'attitude des victimes.
Telle était l'école où se formait Charles IX; tel était l'atelier où s'aiguisaient les poignards de la Saint-Barthélemi.
Grand Dieu! voilà comme on a souillé plus de deux cents ans tes autels; voilà comme des êtres raisonnables ont cru devoir t'honorer; c'est en arrosant ton temple du sang de tes créatures, c'est en se souillant d'horreurs et d'infamies, c'est par des férocités dignes des cannibales, que plusieurs races d'hommes sur la terre ont cru remplir tes vœux, et plaire à ta justice. Être des êtres, pardonne-leur cet aveuglement; il fut la peine dont tu crus devoir punir leur dépravation et leurs crimes; tant d'atrocités ne peuvent naître dans le cœur de l'homme, que, lorsqu'abandonné de tes lumières, il est comme Nabuchodonosor, réduit par ta main même au stupide esclavage des bêtes.
La seule Anne d'Est cette respectable épouse du duc de Guise, cette femme intéressante qu'il était prêt de sacrifier à ses passions, elle seule eut l'horreur de ces monstrueuses barbaries.
Elle s'évanouit un jour dans les gradins de la sanglante arêne, on la rapporta chez elle baignée de larmes; Catherine y vole, elle lui demande la cause de son accident.
—Hélas! madame, répondit la duchesse, jamais mère eut-elle plus de raison de s'affliger. Quel affreux tourbillon de haine, de sang et de vengeance s'élève sur la tête de mes malheureux enfants[4].
Le comte de Sancerre dont la blessure n'était rien, et qui allait mieux de jour en jour, tint à mademoiselle de Castelnau la parole qu'il lui avait donnée; il fut trouver le duc de Guise, dont il était chéri, et dont il devait être respecté à toute sorte d'égards, et ne lui déguisant que le séjour de Raunai dans Amboise, il ne lui cacha rien de ce qu'il avait appris de Juliette.
—Quel est votre objet, monsieur, lui dit fermement le comte: est-ce à celui qui gouverne l'état de se livrer à des passions.... toujours dangereuses, quand on a la possibilité de faire autant de mal? Oserez-vous immoler Castelnau pour vous rendre maître de Juliette? et ferez-vous dépendre le sort de ce malheureux père de l'ignominie de la fille?
Le duc un peu surpris de voir monsieur de Sancerre si parfaitement au fait, lui fit entrevoir, que quoiqu'il eût des enfants d'Anne d'Est, il pourrait néanmoins trouver des moyens de rupture à son mariage avec elle....
—Ô mon cher duc! interrompit le comte, voilà comme les passions déraisonnent toujours! Quoi! vous romprez l'alliance contractée avec une princesse, pour épouser la fille d'un homme, contre lequel vous faites la guerre; vous vous brouillerez avec François II, dont ces nœuds vous rendent l'oncle; avec le duc de Ferrare dont ils vous font devenir le gendre, vous culbuterez l'édifice d'une fortune où vous travaillez depuis tant d'années, et tout cela pour le vain plaisir d'un moment, pour une passion qui s'éteindra sitôt qu'elle sera satisfaite, et qui ne vous laissera que des remords? Sont-ce là les sentiments qui doivent animer un héros? Est-ce à l'amour à nuire à l'ambition? vous avez déjà beaucoup trop d'ennemis, monsieur; ne cherchez point à en accroître le nombre. Excusez ma franchise, j'ai acquis le droit, par mon âge et par mes travaux, de vous parler comme je le fais; l'estime dont vous m'honorez m'y autorise......
Ah! croyez-moi, gardez-vous de laisser soupçonner que l'amour puisse entrer pour quelque chose dans les troubles que vos rigueurs excitent. Le Français courbe avec peine sous le joug d'un ministre étranger; quelque grand que vous puissiez être, le sang de sa nation ne coule pas dans vos veines, et c'est un grand tort à ses yeux quand on veut prétendre à le régir; amis, ennemis, tout vous condamne, tout attribue au désir de vous élever les malheurs dont vous affligez la France.
On connaît vos prétentions à vous dire issu de la seconde race de nos rois, et à revendiquer la couronne à ce titre sur les descendants de Hugues Capet. Admettons un instant cette idée, la favoriserez-vous en rompant d'illustres alliances pour en contracter une si forte au-dessous de vous?
Ainsi, soit que vous aspiriez au plus haut degré de gloire, soit que vous vous contentiez de celui où vous êtes, dans tous les cas, vos projets sont indignes de vous; monsieur le duc, vous devez aux Français l'exemple des vertus, peut-être avez-vous besoin d'en montrer plus qu'un autre pour effacer les torts dont on vous accuse. Que ce ne soit donc pas dans un moment tel que celui-ci, où la plus répréhensible des faiblesses vienne achever de répandre sur vos actions, un louche, dont vos ennemis ne profiteraient que trop vite. C'est à la postérité, monsieur, qu'un homme comme vous répond de ses démarches, et il ne doit pas en être une seule dans tout le cours de sa vie qui puisse le faire rougir un instant.
—Comte, répondit monsieur de Guise, si vous aviez jamais éprouvé les sentiments que Juliette m'inspire, vous auriez un peu plus d'indulgence pour moi: jamais, mon ami, jamais aucune passion ne s'introduisit plus vivement dans un cœur; ses yeux ont changé mon existence entière, il n'est pas une seule minute dans la journée où je ne sois rempli de son image; et si quelquefois la reine ou son époux veulent trouver en moi le ministre, anéanti du trouble qui me presse, je ne leur montre plus que l'amant. Avec l'âme que vous me connaissez, Sancerre, cette passion peut-elle être soumise à des devoirs? Et vous étonnerez-vous de tous les moyens que je prendrai pour m'assurer l'objet de mon idolâtrie?...... Non, il n'en sera aucun que je n'emploie pour devenir l'amant ou le mari de Juliette; fortune, honneur, considération, crédit, espoir, hymen, enfants, tout...... tout s'immolera dans l'instant aux genoux de celle que j'adore, je ne me plaindrai que de la médiocrité des sacrifices; et si comme vous le dites l'ambition pouvait me donner des remords, ce serait tout au plus ceux de ne pouvoir lui offrir que la seconde place de l'état.
Sancerre combattit vivement ces résolutions du délire, il employa tout ce qu'il crut de plus persuasif, et de plus éloquent; mais, monsieur de Guise fut inébranlable; et le comte n'osant plus insister se retira, content de rapporter au moins à sa protégée, la permission de voir le baron de Castelnau, promise depuis plusieurs jours, et retardée par les nouveaux troubles.
Juliette versa des larmes bien amères, en apprenant que rien au monde ne pouvait changer les résolutions de monsieur de Guise.
—Ô mon ami, dit-elle le même soir à Raunai! il n'est donc que trop sûr que le Ciel ne nous avait pas destinés l'un à l'autre! Quel horrible avenir se présente à mes yeux! il faudra que je devienne la femme de cet homme barbare, souillé du meurtre de nos frères!... Je serai réduite à l'horreur de partager son lit!.... Infortunée! il faut que je perde mon amant ou mon père; il faut que j'immole ou mon amour ou l'être précieux qui m'a donné la vie! voilà donc l'usage que ces hommes d'état font des pouvoirs qui leur sont confiés! et ces fers qui s'appesantissent sur nous, tous ces fléaux qui nous accablent...... au nom d'un souverain...... à chaque instant trompé lui-même, ne sont donc que les moyens des passions de ces hommes puissants.... que les armes secrètes dont ils usent pour les assouvir!..... Il faut qu'elles le soient ou que nous gémissions...; il faut qu'ils deviennent heureux, ou que le sang coule!..... Je voudrais que mes jours... Hélas! ils ne sauveraient rien.... nous n'en péririons pas moins tous les deux.
—Juliette, répondit Raunai, mille sentiments confus m'animent à la fois.... Je puis sortir d'Amboise comme j'y suis entré.... je puis rejoindre mes amis, revenir avec eux sous ces remparts délivrer et ton père et toi, trancher sans aucune pitié les jours de ces cruels despotes qui se font un jeu d'abréger les nôtres, les pulvériser tous au pied du trône que leur tyrannie déshonore, et mériter enfin ton cœur, après avoir immolé nos bourreaux.
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