Название: En famille
Автор: Hector Malot
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066088835
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Tout ce qu'elle put obtenir après beaucoup de paroles, ce fut une augmentation de deux francs cinquante sur le prix offert, et l'engagement que la roulotte ne serait dépecée qu'après leur départ, de façon à pouvoir jusque-là l'habiter pendant la journée, ce qui, imaginait-elle, vaudrait mieux pour sa mère que de rester enfermée dans la maison.
Quand, sous la direction de Grain de Sel, elle visita les chambres qu'il pouvait leur louer, elle vit combien la roulotte leur serait précieuse, car, malgré l'orgueil avec lequel il parlait de ses appartements, et qui n'avait d'égal que son mépris pour la roulotte, elle était si misérable, si puante, cette maison, qu'il fallait leur détresse pour l'accepter.
À la vérité, elle avait un toit et des murs qui n'étaient pas en toile, mais sans aucune autre supériorité sur la roulotte: tout à l'entour se trouvaient amoncelées les matières dont Grain de Sel faisait commerce et qui pouvaient supporter les intempéries: verres cassés, os, ferrailles: tandis qu'à l'intérieur le couloir et. des pièces sombres, où les yeux se perdaient, contenaient celles qui avaient besoin d'un abri: vieux papiers, chiffons, bouchons, croûtes de pain, bottes, savates, ces choses innombrables, détritus de toutes sortes, qui constituent les ordures de Paris; et de ces divers tas s'exhalaient d'âcres odeurs qui prenaient à la gorge.
Comme elle restait hésitante se demandant si sa mère ne serait pas empoisonnée par ces odeurs, Grain de Sel la pressa:
«Dépêchez-vous, dit-il, les biffins vont rentrer; il faut que je sois là pour recevoir et «triquer» ce qu'ils apportent.
— Est-ce que le médecin connaît ces chambres? demanda-t-elle.
— Bien sûr qu'il les connaît; il est venu plus d'une fois à côté quand il a soigné la Marquise.»
Ce mot la décida: puisque le médecin connaissait ces chambres, il savait ce qu'il disait en conseillant d'en prendre une; et puisqu'une marquise, habitait l'une d'elles, sa mère pouvait bien en habiter une autre.
«Cela vous coûtera huit sous par jour, dit Grain de Sel, ajoutés aux trois sous pour l'âne et aux six sous pour la roulotte.
— Vous l'avez achetée?
— Oui, mais puisque vous vous en servez, il est juste de la payer,»
Elle ne trouva rien à répondre; ce n'était pas la première fois qu'elle se voyait ainsi écorchée; bien souvent elle l'avait été plus durement encore dans leur long voyage, et elle finissait par croire que c'est la loi de nature pour ceux qui ont, au détriment de ceux qui n'ont pas.
IV
Perrine employa une bonne partie de la journée à nettoyer la chambre où elles allaient s'installer, à laver le plancher, à frotter les cloisons, le plafond, la fenêtre qui depuis que la maison était construite n'avait jamais été bien certainement à pareille fête.
Pendant les nombreux voyages qu'elle fit de la maison au puits où elle tirait de l'eau pour laver, elle remarqua qu'il ne poussait pas seulement de l'herbe et des chardons dans l'enclos: des jardins environnants le vent ou les oiseaux avaient apporté des graines; par-dessus le palis, les voisins avaient jeté des plants de fleurs dont ils ne voulaient plus; de sorte que quelques-unes de ces graines, quelques-uns de ces plants, tombant sur un terrain qui leur convenait, avaient germé ou poussé, et maintenant fleurissaient tant bien que mal. Sans doute leur végétation ne ressemblait en rien à celle qu'on obtient dans un jardin, avec des soins de tous les instants, des engrais, des arrosages; mais pour sauvage qu'elle fût, elle n'en avait pas moins son charme de couleur et de parfum.
Cela lui donna l'idée de recueillir quelques-unes de ces fleurs, des giroflées rouges et violettes, des oeillets, et d'en faire des bouquets qu'elle placerait dans leur chambre d'où ils chasseraient la mauvaise odeur en même temps qu'ils l'égayeraient. Il semblait que ces fleurs n'appartenaient à personne, puisque Palikare pouvait les brouter si le coeur lui en disait; cependant elle n'osa pas en cueillir le plus petit rameau, sans le demander à Grain de Sel.
«Est-ce pour les vendre? répondit celui-ci.
— C'est pour en mettre quelques branches dans notre chambre.
— Comme ça, tant que tu voudras; parce que si c'était pour les vendre, je commencerais par te les vendre moi-même. Puisque c'est pour toi, ne te gêne pas, la petite: tu aimes l'odeur des fleurs, moi j'aime mieux celle du vin, même il n'y a que celle-la que je sente.»
Le tas des verres plus ou moins cassés étant considérable, elle y trouva facilement des vases ébréchés dans lesquels elle disposa ses bouquets, et comme ces fleurs avaient été cueillies au soleil, la chambre se remplit bientôt du parfum des giroflées et des oeillets, ce qui neutralisa les mauvaises odeurs de la maison, en même temps que leurs fraîches couleurs éclairaient ses murs noirs.
Tout en travaillant ainsi elle fit la connaissance des voisins qui habitaient de chaque côté de leur chambre: une vieille femme qui sur ses cheveux gris portait un bonnet orné de rubans tricolores aux couleurs du drapeau français; et un grand bonhomme courbé en deux, enveloppé dans un tablier de cuir si long et si large qu'il semblait constituer son unique vêtement. La femme aux rubans tricolores était une chanteuse des rues, lui dit le bonhomme au tablier, et rien moins que la Marquise dont avait parlé Grain de Sel; tous les jours elle quittait le Champ Guillot avec un parapluie rouge et une grosse canne dans laquelle elle le plantait aux carrefours des rues ou aux bouts des ponts, pour chanter et vendre à l'abri le répertoire de ses chansons. Quant au bonhomme au tablier, c'était, lui apprit la Marquise, un démolisseur de vieilles chaussures, et du matin au soir il travaillait muet comme un poisson, ce qui lui avait valu le nom de Père la Carpe, sous lequel on le connaissait; mais pour ne pas parler il n'en faisait pas moins un tapage assourdissant avec son marteau.
Au coucher du soleil son emménagement fut achevé, et elle put alors amener sa mère qui, en apercevant les fleurs, eut un moment de douce surprise:
«Comme tu es bonne pour ta maman, chère fille! dit-elle.
— Mais c'est pour moi que je suis bonne, ça me rend si heureuse de te faire plaisir!»
Avant la nuit il fallut mettre les fleurs dehors, et alors l'odeur de la vieille maison se fit sentir terriblement, mais sans que la malade osât s'en plaindre; à quoi cela eût-il servi, puisqu'elles ne pouvaient pas quitter le Champ Guillot pour aller autre part?
Son sommeil fut mauvais, fiévreux, troublé, agité, halluciné, et quand le médecin vint le lendemain matin il la trouva plus mal, ce qui lui fit changer le traitement et obligea Perrine à retourner chez le pharmacien, qui cette fois lui demanda cinq francs. Elle ne broncha pas et paya bravement; mais en revenant elle ne respirait plus. Si les dépenses continuaient ainsi, comment gagneraient-elles le mercredi qui leur mettrait aux mains le produit de la vente du pauvre Palikare? Si le lendemain le médecin prescrivait une nouvelle ordonnance coûtant cinq francs, ou plus, où trouverait-elle cette somme? Au temps où avec ses parents elle parcourait les montagnes, ils avaient plus d'une fois été exposés à la famine, et plus d'une fois aussi, depuis qu'ils avaient quitté la Grèce pour venir en France, ils avaient manqué de pain. Mais ce n'était pas du tout la même chose. Pour la famine dans les montagnes, ils avaient toujours l'espérance, qui se réalisait souvent, de trouver quelques fruits, des légumes, un gibier qui leur apporteraient СКАЧАТЬ