Название: En famille
Автор: Hector Malot
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066088835
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«Il faut entrer à l'hôpital», dit-il.
La mère et la fille poussèrent un même cri d'effroi et de douleur.
«Petite, laisse-moi seul avec ta maman», dit le médecin d'un ton de commandement.
Perrine hésita une seconde; mais, sur un signe de sa mère, elle quitta la roulotte, dont elle ne s'éloigna pas.
«Je suis perdue? dit la mère à mi-voix.
— Qui est-ce qui parle de ça: vous avez besoin de soins que vous ne pouvez pas recevoir ici.
— Est-ce qu'à l'hôpital j'aurais ma fille?
— Elle vous verrait le jeudi et le dimanche.
— Nous séparer! Que deviendrait-elle Sans moi, seule à Paris? que deviendrai-je sans elle? Si je dois mourir, il faut que ce soit sa main dans la mienne.
— En tout cas on ne peut pas vous laisser dans cette voiture où le froid des nuits vous est mortel. Il faut prendre une chambre; le pouvez-vous?
— Si ce n'est pas pour longtemps, oui peut-être.
— Grain de Sel en loue qu'il ne vous fera pas payer cher. Mais la chambre n'est pas tout, il faut des médicaments, une bonne nourriture, des soins: ce que vous auriez à l'hôpital.
— Monsieur, c'est impossible, je ne peux pas me séparer de ma fille. Que deviendrait-elle?
— Comme vous voudrez, c'est votre affaire, je vous ai dit ce que je devais.»
Il appela:
«Petite.»
Puis, tirant un carnet de sa poche, il écrivit au crayon quelques lignes sur une feuille blanche, qu'il détacha:
«Porte cela chez le pharmacien, dit-il, celui qui est auprès de l'église, pas un autre. Tu donneras à ta mère le paquet nº 1; tu lui feras boire d'heure en heure la potion nº 2; le vin de quinquina en mangeant, car il faut qu'elle mange; ce qu'elle voudra, surtout des oeufs. Je reviendrai ce soir.»
Elle voulut l'accompagner pour le questionner:
«Maman est bien malade?
— Tâche de la décider à entrer à l'hôpital.
— Est-ce que vous ne pouvez pas la guérir?
— Sans doute, je l'espère; mais je ne peux pas lui donner ce qu'elle trouverait à l'hôpital. C'est folie de n'y pas aller; c'est pour ne pas se séparer de toi qu'elle refuse: tu ne serais pas perdue, car tu as l'air d'une fille avisée et délurée.»
Marchant à grands pas, il était arrivé à sa voiture; Perrine eût voulu le retenir, le faire parler, mais-il monta et partit.
Alors elle revint à la roulotte.
«Qu'a dit le médecin? demanda la mère.
— Qu'il te guérirait.
— Va donc vite chez le pharmacien, et rapporte aussi deux oeufs; prends tout l'argent.»
Mais tout l'argent ne fut pas suffisant; quand le pharmacien eut lu l'ordonnance, il regarda Perrine en la toisant;
«Vous avez de quoi payer?» dit-il.
Elle ouvrit la main.
«C'est sept francs cinquante», dit le pharmacien qui avait fait son calcul.
Elle compta ce qu'elle avait dans la main et trouva six francs quatre-vingt-cinq centimes en estimant le florin d'Autriche à deux francs; il lui manquait donc treize sous.
«Je n'ai que six francs quatre-vingt-cinq centimes, dont un florin d'Autriche, dit-elle; le voulez-vous, le florin?
— Ah! non par exemple.»
Que faire? Elle restait au milieu de la boutique la main ouverte, désespérée, anéantie.
«Si vous vouliez prendre le florin, il ne me manquerait que treize sous, dit-elle enfin; je vous les apporterais tantôt.»
Mais le pharmacien ne voulut d'aucune de ces combinaisons, ni faire crédit de treize sous, ni accepter le florin:
«Comme il n'y a pas urgence pour le vin de quinquina, dit-il, vous viendrez le chercher tantôt; je vais tout de suite vous préparer les paquets et la potion qui ne vous coûteront que trois francs cinquante.»
Sur l'argent qui lui restait elle acheta des oeufs, un petit pain viennois, qui devait provoquer l'appétit de sa mère, et revint toujours courant au Champ Guillot.
«Les oeufs sont frais, dit-elle, je les ai mirés; regarde le pain, comme il est bien cuit; tu vas manger, n'est-ce pas, maman?
— Oui, ma chérie.»
Toutes deux étaient pleines d'espérance et Perrine d'une foi absolue; puisque le médecin avait promis de guérir sa mère, il allait accomplir ce miracle: pourquoi l'aurait-il trompée? quand on demande la vérité à un médecin, il doit la dire.
C'est un merveilleux apéritif que l'espoir; la malade, qui depuis deux jours n'avait pu rien prendre, mangea un oeuf et la moitié du petit pain.
«Tu vois, maman, disait Perrine.
— Cela va aller.»
En tout cas, son irritabilité nerveuse s'émoussa; elle éprouva un peu de calme, et Perrine en profita pour aller consulter Grain de Sel sur la question de savoir comment elle devait s'y prendre pour vendre la voiture et Palikare. Pour la roulotte, rien de plus facile, Grain de Sel pouvait l'acheter comme il achetait toutes choses: meublés, habits, outils, instruments de musique, étoffes, matériaux, le neuf, le vieux; mais, pour Palikare, il n'en était pas de même, parce qu'il n'achetait pas de bêtes, excepté les petits chiens, et son avis était qu'on devait attendre au mercredi pour le vendre au Marché aux chevaux.
Le mercredi c'était bien loin, car, dans sa surexcitation d'espérance, Perrine s'imaginait qu'avant ce jour-la, sa mère aurait repris assez de forces pour pouvoir partir; mais, à attendre ainsi, il y avait au moins cela de bon, qu'elles pourraient avec le produit de la vente de la roulotte s'arranger des robes pour voyager en chemin de fer, et aussi cela de meilleur encore, qu'on pourrait peut-être ne pas vendre Palikare, si le prix payé par Grain de Sel était assez élevé; Palikare resterait au Champ Guillot, et quand elles seraient arrivées à Maraucourt, elles le feraient venir. Comme elle serait heureuse de ne pas le perdre, cet ami, qu'elle aimait tant! et comme il serait heureux de vivre, désormais dans le bien-être, logé dans une belle écurie, se promenant toute la journée à travers de grasses prairies avec ses deux maîtresses auprès de lui!
Mais il fallut en rabattre des visions qui en quelques secondes avaient traversé son esprit, car, au lieu de la somme qu'elle imaginait sans la préciser, Grain de Sel n'offrit que quinze francs de la roulotte et de tout ce qu'elle contenait, après l'avoir longuement examinée.
«Quinze СКАЧАТЬ