Название: En famille
Автор: Hector Malot
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066088835
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Pendant qu'elle travaillait, Palikare attaché, à une courte distance d'elle, l'avait plusieurs fois regardée comme pour la surveiller, mais sans rien de plus. Quand il vit qu'elle avait fini, il allongea le cou vers elle et poussa cinq ou six braiments qui étaient des appels impérieux.
«Crois-tu que je t'oublie?» dit-elle.
Elle alla à lui, le changea de place et lui apporta à boire dans sa terrine qu'elle avait soigneusement rincée, car s'il se contentait de toutes les nourritures qu'on lui donnait ou qu'il trouvait lui-même, il était au contraire très difficile pour sa boisson, et n'acceptait que de l'eau pure dans des vases propres ou le bon vin qu'il aimait par-dessus tout.
Mais cela fait, au lieu de le quitter, elle se mit à le flatter de la main en lui disant des paroles de tendresse comme une nourrice à son enfant, et l'âne, qui tout de suite s'était jeté sur l'herbe nouvelle, s'arrêta de manger pour poser sa tête contre l'épaule de sa petite maîtresse et se faire mieux caresser: de temps en temps il inclinait vers elle ses longues oreilles et les relevait avec des frémissements qui disaient sa béatitude.
Le silence s'était fait dans l'enclos maintenant fermé, ainsi que dans les rues désertes du quartier, et on n'entendait plus, au loin, qu'un sourd mugissement sans bruits distincts, profond, puissant, mystérieux comme celui de la mer, la respiration et la vie de Paris qui continuaient actives et fiévreuses malgré la nuit tombante.
Alors, dans la mélancolie du soir, l'impression de ce qui venait de se dire étreignit Perrine plus fort, et, appuyant sa tête à celle de son âne, elle laissa couler les larmes qui depuis si longtemps l'étouffaient, tandis qu'il lui léchait les mains.
III
La nuit de la malade fut mauvaise: plusieurs fois, Perrine couchée prés d'elle, tout habillée sur la planche, avec un fichu roulé qui lui servait d'oreiller, dut se lever pour lui donner de l'eau qu'elle allait chercher au puits afin de l'avoir plus fraîche: elle étouffait et souffrait de la chaleur. Au contraire, à l'aube, le froid du matin, toujours vif sous le climat de Paris, la fit grelotter et Perrine dut l'envelopper dans son fichu, la seule couverture un peu chaude qui leur restât.
Malgré son désir d'aller chercher le médecin aussitôt que possible, elle dut attendre que Grain de Sel fût levé, car à qui demander le nom et, l'adresse d'un bon médecin, si ce n'était a lui?
Bien sûr qu'il connaissait un bon médecin, et un fameux qui faisait ses visites en voiture, non à pied comme les médecins de rien du tout.: M. Cendrier, rue Riblette, près de l'église; pour trouver la rue Riblette il n'y avait qu'à suivre le chemin de fer jusqu'à la gare.
En entendant parler d'un médecin fameux qui faisait les visites en voiture, elle eut peur de n'avoir pas assez d'argent pour le payer, et timidement, avec confusion, elle questionna Grain de Sel en tournant autour de ce qu'elle n'osait pas dire. À la fin il comprit:
«Ce que tu auras à payer? dit-il. Dame, c'est cher. Pas moins de quarante sous. Et pour être sûre qu'il vienne, tu feras bien de les lui remettre d'avance.»
En suivant les indications qui lui avaient été données, elle trouva assez facilement la rue Riblette, mais le médecin n'était point encore levé, elle dut attendre, assise sur une borne dans la rue, à la porte d'une remise derrière laquelle on était en train d'atteler un cheval: comme cela elle le saisirait au passage, et en lui remettant ses quarante sous, elle le déciderait a venir, ce qu'il ne ferait pas, elle en avait le pressentiment, si on lui demandait simplement une visite pour un des habitants du Champ Guillot.
Le temps fut éternel à passer, son angoisse se doublant de celle de sa mère qui ne devait rien comprendre à son retard; s'il ne la guérissait point instantanément, au moins allait-il l'empêcher de souffrir. Déjà elle avait vu un médecin entrer dans leur roulotte, lorsque son père avait été malade. Mais c'était en pleine montagne, dans un pays sauvage, et le médecin que sa mère avait appelé sans avoir le temps de gagner une ville, était plutôt un barbier avec une tournure de sorcier qu'un vrai médecin comme on en trouve à Paris, savant, maître de la maladie et de la mort, comme devait l'être celui-là, puisqu'on le disait fameux.
Enfin la porte de la remise s'ouvrit, et un cabriolet de forme ancienne, à caisse jaune, auquel était attelé un gros cheval de labour, vint se ranger devant la maison et presque aussitôt le médecin parut, grand, gros, gras, le visage rougeaud encadré d'une barbe grise qui lui donnait l'air d'un patriarche campagnard.
Avant qu'il fût monté en voiture, elle était près de lui et lui exposait sa demande.
«Le champ Guillot, dit-il, il y a eu de la batterie.
— Non monsieur, c'est ma mère qui est malade, très malade.
— Qu'est-ce que c'est ta mère?
— Nous sommes photographes.»
Il mit le pied sur le marchepied.
Vivement elle tendit sa pièce de quarante sous.
«Nous pouvons vous payer.
— Alors, c'est trois francs.»
Elle ajouta vingt sous à la pièce; il prit le tout et le fourra dans la poche de son gilet.
«Je serai près de ta mère d'ici un quart d'heure.»
Elle fît en courant le chemin du retour, joyeuse d'apporter la bonne nouvelle:
«Il va te guérir, maman, c'est un vrai médecin celui-là.»
Et vivement elle s'occupa de sa mère, lui lava le visage, les mains, lui arrangea les cheveux qui étaient admirables, noirs et soyeux, puis elle mit de l'ordre dans la roulotte; ce qui n'eut d'autre résultat que de la rendre plus vide et par là plus misérable encore.
Elles n'eurent pas une trop longue attente à endurer: un roulement de voiture annonça l'arrivée du médecin et Perrine courut au- devant de lui.
Comme en entrant il voulait se diriger vers la maison, elle lui montra la roulotte.
«C'est dans notre voiture que nous habitons», dit-elle.
Bien que cette maison n'eut rien d'une habitation, il ne laissa paraître aucune surprise, étant habitué à toutes les misères avec sa clientèle; mais Perrine qui l'observait remarqua sur son visage comme un nuage lorsqu'il vit la malade couchée sur son matelas, dans cet intérieur dénudé.
«Tirez la langue, donnez-moi la main.»
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