Название: Les vrais mystères de Paris
Автор: Eugène François Vidocq
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066080952
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—Comment! vous ne savez pas, répondit le comte palatin, que le digne monsieur Bénazet a transporté sur le territoire hospitalier du grand-duché de Bade ses tapis verts, ses râteaux et ses croupiers, et que l'impôt qu'il paye au souverain de ce pays, forme la partie la plus claire du revenu du prince Léopold.
—Je le savais, mais je n'y pensais pas, s'écria Roman qui partit avec la rapidité d'une flèche, après avoir souhaité le bonsoir à ses deux compagnons.
Roman, lorsqu'il quitta le comte palatin et son ami, était déterminé à aller tenter la fortune à Baden. Comme tous ceux qui se laissent dominer par la passion du jeu, il n'attribuait pas à un hasard qui pouvait bien ne pas changer, les nombreuses pertes qu'il venait de faire, il n'accusait que sa maladresse, et il était aussi persuadé qu'il est possible de l'être, qu'une martingale qu'il venait de combiner amènerait la ruine de la banque. Après avoir fait les préparatifs de son départ, préparatifs qui ne lui prirent pas un temps considérable; car, ainsi qu'il a été facile de s'en apercevoir, il était ennemi du faste et des grandeurs, Roman alla voir Salvador qu'il trouva dans son hôtel du faubourg Saint-Honoré, entouré de toutes les recherches du luxe, et d'une foule de fournisseurs, marchands de chevaux, carrossiers et tapissiers, dont il soldait les mémoires.
—Ainsi tu ne renonces pas à cette funeste passion? dit Salvador à son ami, lorsque celui-ci lui eût fait part de son projet.
—Mon cher ami, l'amour du luxe et des jolies femmes, l'ambition et l'orgueil constituent une passion aussi coûteuse au moins que celle du jeu.
—Tu as peut-être raison; mais qu'y faire? Nous obéissons à notre destinée, et nous arriverons probablement au même but après avoir suivi une route différente.
—Allons, encore ces folles idées; je te quitte: je n'aime pas à entendre parler de ce que l'avenir me réserve; adieu, mon ami.
—Adieu, et fais en sorte de revenir millionnaire.
Roman, avant de quitter Salvador, lui demanda cinquante mille francs, avec lesquels il voulait, disait-il, tenter la fortune une dernière fois. Salvador, qui de son côté, avait fait d'énormes dépenses pour monter sa maison et celle de sa maîtresse, qui plus que lui, peut-être était dominée par un amour effréné du luxe, et qui ne pouvait se dissimuler, que les droits de son complice, sur l'héritage sanglant d'Alexis de Pourrières, étaient au moins égaux aux siens, lui remit cette somme, sans se permettre d'autres observations que celles qu'il lui avait déjà faites à Pourrières, et les deux amis se quittèrent en apparence satisfaits l'un de l'autre.
Il n'en était rien cependant. Salvador s'était peu à peu habitué à ne considérer son complice que comme un subalterne, et ce n'était pas sans éprouver un vif sentiment de contrariété, sentiment, dont après quelques instants de réflexion, il reconnaissait l'injustice, mais auquel il obéissait à son insu, qu'il le voyait agir avec indépendance. Roman, pour sa part, ne voyait pas avec plaisir la liaison qui existait entre son ami et Silvia, et il trouvait assez peu convenable, qu'une fortune, qui ne devait appartenir qu'à deux individus, fût devenue la proie de trois.
Salvador, après le départ de Roman, fut pendant quelques jours soucieux et taciturne. Silvia saisit cette occasion pour tâcher d'apprendre quelque chose.
—Pourquoi donc? dit-elle à son amant, ce bon monsieur Lebrun vous a-t-il quitté; vous l'avez sans doute renvoyé sans motifs; vous êtes si vif quelquefois; vous avez eu tort de le laisser partir; on ne rencontre pas tous les jours un... intendant aussi fidèle, aussi dévoué.
Elle appuyait sur ces derniers mots avec une sorte d'affectation dont Salvador saisissait parfaitement l'intention, mais dont il ne voulait pas avoir l'air de s'apercevoir; et comme il lui faisait observer que son intendant ne s'était absenté que pour terminer quelques affaires, et qu'il serait de retour dans quelques jours, Silvia fit semblant de ne pas le croire.
—Si vous voulez me dire où il s'est retiré, continua-t-elle, je me charge de le faire revenir sans blesser en rien les convenances. De grâce, mon ami, accordez-moi cette faveur. J'aime beaucoup monsieur Lebrun, et si je ne dois plus le voir près de vous, je vous assure que cela me fera beaucoup de peine.
Toute l'adresse diplomatique de Silvia, échoua contre la réserve de Salvador, et cette fois encore, elle dépensa sans obtenir de résultats, tous les trésors de son éloquence.
Une chaise de poste, attelée de deux vigoureux chevaux, attendait Roman à la porte de l'hôtel de Salvador. Le misérable se berçait de si étranges illusions; il était si bien convaincu de l'infaillibilité des calculs auxquels il avait soumis la chose la moins susceptible d'être calculée, le hasard, qu'il aurait voulu pouvoir franchir d'un seul bond, l'espace qui le séparait des tapis verts de Baden-Baden, et que la seule crainte qu'il éprouvait était celle qu'un autre, plus diligent que lui, et possesseur d'un secret semblable au sien, n'arrivât avant lui et ne fit sauter la banque de l'administration des jeux, qu'il regardait déjà comme sa propriété.
Après avoir traversé le Rhin sur un pont de bateaux, on arrive à Bischofshein, première poste sur la grande chaussée de Rastadt et de Francfort, dont un embranchement conduit à Baden-Baden.
Cette route est d'abord aussi monotone qu'un sentier tracé au milieu des guérets de la Beauce, ou des plaines crayeuses de la Champagne Pouilleuse; elle est étroite, sablonneuse, et se prolonge à travers une ligne interminable de peupliers, et la rive droite du Rhin, qu'on entrevoit de temps à autre.
Ce n'est qu'après avoir traversé Stollhofen que le paysage change d'aspect, et que la route, jusque-là monotone, change tout à coup et offre à la vue des collines couronnées à leur sommet par des villages ou de simples hameaux, dont la pierre blanche contraste avec le vert éclatant d'une végétation vigoureuse, couvertes à leur pied de vignes, de vergers, et de riches moissons, et dominées par les sommets bleus d'une chaîne de hautes montagnes qui se confondent à l'horizon avec la cime toujours verte des sapins de la Forêt-Noire; forêt dont le nom rappelle à la mémoire une foule de vieilles chroniques, d'antiques traditions de mélodrames oubliés et de refrains populaires.
Cette longue et sombre chaîne de hautes montagnes court parallèlement au Rhin depuis les frontières du nord de la Suisse jusqu'à l'Enz, près Pforzheim, et renferme dans son sein un nombre considérable de belles vallées. C'est dans la plus belle de ces belles vallées qu'est située la petite ville de Baden-Baden, à deux lieues de Rastadt, où furent assassinés les plénipotentiaires français en 1793, et à sept de Carlsrhue, capitale des Etats du grand-duc de Bade.
On arrive à Baden-Baden par une chaussée bien entretenue, tracée au milieu d'une riche prairie, bornée à droite par des champs couverts de riches moissons et de magnifiques vignobles, et les villas éparses des plus riches habitants de la ville, à gauche par des bois de sapin, de fortes masses de rochers et les ruines pittoresques du vieux Burg, berceau de l'antique maison des margraves de Bade.
Au centre, au bout de cette chaussée, est située l'ancienne Civitas Aurelia Aquensis, bains de l'empereur Aurélien, aujourd'hui Baden-Baden, nom que les Allemands lui donnèrent vers le milieu du septième siècle, et le château que les margraves, que jusqu'à cette époque, la nécessité d'être toujours en garde contre les attaques imprévues avaient forcé de résider au Burg, firent bâtir vers le commencement du treizième siècle.
Ce château a éprouvé des fortunes diverses. Il ne fut achevé qu'en 1417. Rebâti sur un meilleur plan par les soins du margrave Philippe de Bade, et complétement achevé en 1579, il fut peu de temps après incendié СКАЧАТЬ