Название: Les vrais mystères de Paris
Автор: Eugène François Vidocq
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066080952
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—En v'là une de loffitude[76]. Si c'étaient des rousses[77], est-ce qu'ils seraient marquis et intendant? Ah! que j'marronne[78] de n'avoir pas pu les remoucher[79].
—As-tu remarqué comme ils parlent? qu'on dirait des charabias ou des Gascons.
—En tout cas, y sont vicieux, les coquins, d'avoir si bien planqué[80] leur camelotte[81].
—T'as raison; mais quand on est si de la bonne[82], s'exposer à aller au pré[83], c'est pavillonner[84].
—C'est peut-être une passion; mais quand on a des chopins de cinquante mille balles à fourguer[85], on peut bien risquer quelque chose. C'est-y ça un grinchissage[86]! Sont-y heureux les scélérats!
—T'auras beau te morfiller le dardant[87], tu n'empêcheras pas que ça ne soit comme ça; l'eau va toujours à la rivière.
Tout en conversant, Délicat et Coco-Desbraises avaient parcouru la maison dans tous les sens; mais à leur grand regret, ils n'avaient rien trouvé de bon à prendre; seulement Délicat, ayant découvert dans une remise une redingote et un pantalon oubliés depuis longtemps et couverts de poussière, voulut absolument s'en vêtir.
Délicat et Coco-Desbraises employèrent, pour sortir du pavillon, le moyen qui leur avait servi pour y entrer; et, après avoir suivi quelques instants un petit sentier tracé à travers les terres labourées, ils se trouvèrent sur la route pavée qui conduit à Paris.
—Nous avons un bon ruban de queue d'ici à Pantin[88], dit Coco-Desbraises.
—C'est égal, répondit Délicat; je n'ai plus taffetas du vert[89], et je puis aller jusqu'au bout du monde, maintenant que j'ai un montant[90] et une bonne pelure[91] sur les andosses[92].
Le marquis et son intendant qui avaient pris le chemin de fer pour revenir à Paris se quittèrent à la station; l'intendant était monté dans un cabriolet, et le marquis avait continué sa route à pied, le visage à moitié couvert par un cache-nez et le corps bien enveloppé dans son manteau. Arrivé sur le boulevard de l'Hôpital, il s'arrêta quelques minutes; puis il revint sur ses pas. Après avoir recommencé plusieurs fois la même manœuvre, il entra dans une maison sans portier, dont la porte était fermée par une serrure à secret; il gravit lestement quatre étages, et entra dans une petite pièce carrée dont il ferma soigneusement la porte.
Sans perdre de temps, il quitta le costume assez élégant dont il était couvert pour se revêtir de celui que portent habituellement les patrons ou conducteurs de bateaux; cela fait, il sortit, et après avoir traversé le quai, il descendit sur la berge, puis détacha un bateau du piquet auquel il était retenu, et s'abandonna au cours de la Seine. Arrivé à la hauteur de la place de l'hôtel de ville, et après avoir solidement amarré son bateau à un des gros anneaux de fer scellés dans le parapet, il s'engagea dans l'étroite et sombre ruelle à laquelle on a donné le nom de rue des Teinturiers.
II.—Chez la mère Sans-Refus.
Chaque jour, Paris perd quelques-uns des traits de sa physionomie primitive; grâce aux soins de notre édilité, des voies larges et aérées, viennent à chaque instant remplacer les ruelles étroites et sombres de la vieille cité parisienne, les artistes regrettent les vieilles maisons à pignon, les fenêtres en ogive, les légères tournelles du moyen âge, dont bientôt les dernières traces seront effacées; nos nouvelles constructions, à peu près semblables entre elles, nos rues larges bordées de trottoirs et éclairées par le gaz, n'ont pas, nous devons en convenir, cette couleur fantastique qui plaît tant aux imaginations rêveuses, aussi nous comprenons les regrets des amateurs du pittoresque et des archéologues, mais nous avouerons, dût-on nous trouver quelque peu prosaïque, que nous préférons les choses d'aujourd'hui à celles d'autrefois.
La capitale, surtout depuis une dizaine d'années, s'est singulièrement embellie, cependant il existe encore çà et là, quelques constructions, quelques rues même, qui rappellent le Paris de nos bons aïeux, ces constructions, ces rues, pressées de tous les côtés par la ville nouvelle, ne tarderont pas sans doute à disparaître à leur tour.
Quel est celui de nos lecteurs qui, après avoir parcouru le soir un quartier bien bâti, populeux, éclairé par les mille rayons lumineux du gaz, ne s'est pas senti frappé d'étonnement en se trouvant tout à coup, au détour d'une rue, dans une de ces ruelles où l'on ne passe que par hasard et dont personne ne sait le nom; rues du Clos-Georgeot, des Trois-Sabres, de la Masure, de la Tuerie de la Vieille-Lanterne, Grenier-sur-l'Eau, Saint-Bon, Brise-Miche, etc., etc.
La rue de la Tannerie est une de ces rues dans lesquelles on ne peut passer sans éprouver une sensation de malaise inexplicable, qui fait que l'on presse le pas, sans que pourtant on cherche à se rendre compte du sentiment auquel on obéit, le soir elle est à peine éclairée par la flamme pâle et douteuse d'un antique réverbère, le jour elle est plus triste encore.
Toutes les maisons de cette rue paraissent si peu solides sur leurs fondements, qu'au moindre choc, au plus léger coup de vent, on est étonné de ne pas les voir tomber l'une sur l'autre, comme ces capucins de cartes sur lesquels vient de souffler un enfant.
Ces masures ne ressemblent pas à ces ruines que l'on rencontre parfois au milieu d'une belle campagne, qui, à de certaines heures, sont dorées par les rayons du soleil et sur lesquelles s'épanouissent le lierre aux larges feuilles d'un vert sombre et le liseron aux clochettes bleues qui semblent avoir été mis là par la main du Créateur, pour nous rappeler que rien de ce qui existe ici-bas ne peut périr sans être immédiatement remplacé par autre chose; les masures de la rue de la Tannerie, n'ont rien de vénérable, elles rappellent la décrépitude du vice.
On y entre par des portes basses et difformes, elles sont éclairées par des baies fermées de cette espèce de fenêtre que le peuple, pendant notre première révolution, a nommées fenêtres à guillotine, sans doute parce que leur forme lui rappelait celle du terrible instrument qui fonctionnait alors sur la place publique.
L'humidité qui décime les malheureux habitants de ces bouges, (des individus naissent, vivent, aiment et meurent dans la rue de la Tannerie et dans toutes celles qui lui ressemblent), suinte à travers des murs mal recrépis et s'écoule en gouttelettes noirâtres qui exhalent une odeur nauséabonde.
Dans la rue de la Tannerie, il n'y a pas un seul atelier, pas un seul magasin consacré à une industrie s'exerçant au grand jour. Les espèces de caves auxquelles de présomptueux propriétaires ont donné le nom de boutique, sont toutes occupées par des gens qui exercent des industries douteuses, des marchands fripiers du dernier étage, des marchands de vieilles chaussures, des chiffonniers, des ferrailleurs, des rogomistes.
Si l'on excepte celui qui occupe le coin de la rue Planche-Mibray, il n'y a pas dans la rue de la Tannerie un seul marchand de vin; on ne boit pas de vin dans la rue de la Tannerie, de l'eau-de-vie, à la bonne heure.
La rue de la Tannerie, est coupée par une ruelle assez étroite, pour que deux hommes ne puissent y passer de front; c'est la rue des Teinturiers: Cette rue commence à celle de la Vannerie et débouche sur la Seine, en passant sous le quai de Gèvres; mais depuis quelques années, l'administration a fait fermer par de fortes grilles, la partie qui de la rue de la Tannerie conduisait sur la rive du fleuve.
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