Название: Les etranges noces de Rouletabille
Автор: Гастон Леру
Издательство: Public Domain
Жанр: Классические детективы
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–Qu'est-ce que ça signifie? demanda La Candeur.
–Ça signifie, mon cher, que les Turcs ne doivent pas être loin et qu'ils reviennent en nombre!… répliqua Rouletabille… Allons! oust! sauvons-nous, s'il en est temps encore!… Un peu de courage, madame!… ajouta-t-il en se tournant vers Ivana… Il faut vous remettre d'une émotion aussi douloureuse!…
Elle eut encore son sourire navré; mais avec effort, elle s'était redressée… Il la vit pâle comme un spectre et titubante…
Rouletabille était bien aussi pâle qu'elle et il pensait:
«Comme elle l'aimait, ce bourreau de sa famille!»
Et il la méprisait et la détestait et eût voulu lui faire du mal… Car il souffrait atrocement et elle n'avait même pas l'air de s'en apercevoir.
Elle ne pensait qu'au mort, qu'à ce grand corps noir ensanglanté qui avait été abattu par Athanase et que les soldats avaient emporté comme un trophée après l'avoir traîné hideusement autour de la place.
–Vite!… s'écria Vladimir… Voilà les bachi-bouzoucks qui sortent de leur mosquée… Nous n'allons plus avoir affaire qu'à des Turcs…
Mais il était trop tard pour partir…
Les Turcs étaient déjà là… Les bachi-bouzoucks étaient revenus avec une troupe importante de réguliers qui reprenait possession du village avec des cris, des injures à l'adresse de l'ennemi en fuite.
Le commandant du détachement turc, qui tenait son quartier général à Almadjik, apprenant par les familles osmanlis qui avaient abandonné leur village, après avoir préalablement massacré les indigènes bulgares, que les escadrons de Stanislawoff avaient été vus dans cette région de l'Istrandja-Dagh et accouraient à marche forcée, avait rassuré toute la population: d'après ses renseignements personnels, il affirmait que toute l'armée bulgare était descendue à l'Ouest par la Maritza, sur Mustapha-Pacha, et allait concentrer son effort sur Andrinople; donc les cavaliers aperçus par les populations de l'Est ne pouvaient être que des reconnaissances appartenant à l'extrême aile gauche de cette armée d'investissement, et les forces dont elles disposaient ne pouvaient être que peu considérables.
Et il avait envoyé deux compagnies dans le village, jugeant qu'elles seraient bien suffisantes pour faire tourner casaque à l'ennemi. Cette erreur du chef du détachement d'Almadjik fut renouvelée vingt-quatre heures plus tard par le pacha commandant les troupes de Kirk-Kilissé, lequel devait les faire sortir également du retranchement de la ville pour courir à un adversaire jugé sans importance… car, personne, en Turquie, comme nous l'avons dit, n'attendait la troisième armée par l'Istrandja-Dagh!…
Le village fut donc réoccupé, et si vite que les reporters n'eurent point le temps de sortir!…
Ils résolurent de se cacher et d'attendre la pleine nuit pour gagner la campagne; c'est ainsi qu'ils descendirent précipitamment des terrasses, où ils s'étaient d'abord réfugiés, dans les caves où ils espéraient être plus en sûreté.
Ivana suivait Rouletabille comme une ombre… ses gestes étaient ceux d'une automate… En vérité, depuis la mort de Gaulow, elle semblait avoir perdu la raison… Quelquefois un étrange et désolé sourire apparaissait par instant sur cette face de morte quand Rouletabille lui parlait, et ajoutait à l'allure générale de démence qui frappait en elle…
Maintenant ils étaient terrés dans cette cave… et ils pouvaient espérer y passer quelques heures tranquilles jusqu'à l'arrivée du gros de l'armée bulgare quand, par les soupiraux qui donnent sur la place, ils aperçurent un mouvement qui les intrigua et bientôt les effraya… C'étaient toutes les familles osmanlis qui revenaient dans le village, persuadées qu'elles n'avaient plus rien à craindre, et se réinstallaient à domicile.
N'ayant pas trouvé de quoi se loger à Almadjik, elles s'étaient laissé facilement convaincre par les raisonnements optimistes du chef du détachement et s'étaient remises en route pour rentrer chez elles derrière les troupes.
La demeure abandonnée dans laquelle les reporters s'étaient réfugiés allait donc se trouver de nouveau occupée: ils pouvaient redouter d'être à chaque instant découverts. Or la première entrevue qu'ils avaient eue avec l'agha n'était point pour les encourager à avoir une confiance illimitée dans l'hospitalité turque, surtout depuis qu'ils savaient qu'ils avaient été dénoncés aux autorités comme des agents de Sofia.
Si on les fouillait, ils n'avaient sur eux que des laissez-passer bulgares et ils pouvaient être fusillés sur-le-champ, comme espions.
Le propriétaire de la bâtisse, l'une des plus importantes du village, fit bientôt son entrée dans la cour avec sa famille, ses femmes et ses domestiques. Ces gens étaient suivis des charrettes sur lesquelles ils avaient entassé leur mobilier… Ils passèrent une partie de la nuit à les décharger, cependant que, sur la place, les réguliers et les bachi-bouzouks devisaient en fumant et en buvant du raki autour de grands feux.
C'est en vain que nos jeunes gens essayèrent plusieurs fois de sortir… Ils n'avaient pas plus tôt risqué quelques pas dehors qu'ils étaient obligés de regagner leur retraite s'ils ne voulaient pas être découverts. Au fur et à mesure que les minutes s'écoulaient, leur situation devenait plus tragique: ils n'attendaient plus l'armée bulgare avant la journée du lendemain et ils ne doutaient pas que, pour une raison ou pour une autre, leurs hôtes ne descendissent bientôt dans les caves.
–Si encore elles étaient pleines de vin! soupira La Candeur, qui ignorait les lois du Prophète et qui, depuis le donjon où il avait cru trouver la mort, s'efforçait, de temps à autre, à se donner des airs de bravache et affectait, par désespoir, de rire de tout… Ça n'est pas plus désolant qu'autre chose de passer sa vie dans une cave quand elle est bien garnie… Ainsi, Rouletabille, rappelle-toi, dans les Trois Mousquetaires, rappelle-toi Athos assiégé dans une cave, et le massacre de bouteilles qu'il faisait!…
–Mon pauvre La Candeur… dit Rouletabille, tu n'as vraiment pas de veine… je t'ai conduit dans un pays où le massacre des bouteilles est le seul qui soit défendu!
Et comme si l'événement voulait lui donner raison, des cris terribles montèrent tout à coup dans la nuit, au milieu d'un grand bruit de bataille.
Des coups de feu se faisaient entendre aux quatre coins du village et toute la soldatesque qui remplissait la place disparut en un instant, fuyant dans un désordre indescriptible, abandonnant armes et bagages.
–Ça ne peut-être que les Bulgares qui reviennent, s'écria Vladimir! nous voilà bons!
Et il était déjà prêt à se jeter dehors, mais Rouletabille le pria de se tenir tranquille…
En effet, bien que ce fût, comme il était à prévoir, une des colonnes de la troisième armée qui traversait le village, il était bien dangereux de se montrer à cette heure, où la rage des comitadjis qui avaient rejoint cette colonne et la fureur des soldats que leurs officiers étaient impuissants à retenir, anéantissaient tout, tuaient tout.
Des clameurs de mort, les cris des femmes et des enfants que l'on égorge allaient faire frissonner les reporters au fond de leur retraite…
Les Bulgares mettaient à sac les maisons et faisaient autant d'innocentes victimes que les Turcs eux-mêmes. Le sang payait le sang.
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