Название: Les mystères du peuple, Tome I
Автор: Эжен Сю
Издательство: Public Domain
Жанр: История
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– Va t'en au diable! – s'écria peu canoniquement le cardinal en sortant furieux et refermant la porte derrière lui11.
M. Marik Lebrenn avait été introduit, par ordre de M. de Plouernel, dans un salon richement meublé, l'on voyait suspendus à ses boiseries un grand nombre de portraits de famille.
Les uns portaient la cuirasse des chevaliers, la croix blanche et le manteau rouge des templiers, le pourpoint des gentilshommes, l'hermine des pairs de France ou le bâton des maréchaux, quelques-uns la pourpre des princes de l'Église.
De même, parmi les femmes, plusieurs portaient le costume monastique ou le costume de cour; mais, soit que chaque peintre eût scrupuleusement copié la nature, soit qu'il eût cédé aux exigences d'une famille qui tenait à honneur de faire montre d'une filiation de race non interrompue, le type générique de ces figures diverses se retrouvait partout, soit en beau, soit en laid, et par l'écartement des yeux et la courbe prononcée du nez rappelait l'oiseau de proie. De même ce que l'on est convenu d'appeler le type bourbonnien, qui n'est pas sans rapport avec celui de la race ovine, s'est visiblement perpétué dans la race des Capets. De même enfin presque tous les descendants de la maison de Rohan avaient, dit-on, dans la chevelure certain épi longtemps appelé le toupet des Rohans.
Ainsi que cela se voit dans presque tous les portraits anciens, le blason des Plouernel et le nom de l'original du tableau étaient placés dans un coin de la toile. Par exemple, on pouvait lire Gonthramm V, sire de Plouernel; Gonthramm IX, comte de Plouernel; Hildeberte, dame de Plouernel; Méroflède, abbesse de Moriadek en Plouernel, etc.
M. Lebrenn, en contemplant ces tableaux de famille, semblait éprouver un singulier mélange de curiosité, d'amertume, et de récrimination plus triste que haineuse; il allait de l'un à l'autre de ces portraits, comme s'ils eussent éveillé en lui mille souvenirs. Son regard s'arrêtait pensif sur ces figures immobiles, muettes comme des spectres. Plusieurs de ces personnages parurent surtout exciter vivement son attention. L'un, évidemment peint d'après des indications ou des souvenirs transmis postérieurement à l'époque de la date du tableau (an 497), devait être le fondateur de cette antique maison; on lisait dans l'angle de la toile le nom de Gonthramm Neroveg. Ce personnage était un homme d'une taille colossale; ses cheveux, d'un rouge de cuivre12, relevés à la chinoise, et arrêtés au sommet de sa tête, au moyen d'un cercle d'or, retombaient ensuite sur ses épaules comme la crinière d'un casque. Les joues et le menton étaient rasées, mais de longues moustaches, du même rouge que les cheveux, tombaient presque jusque sur la poitrine, tatouée de bleu et à demi cachée par une espèce de plaid ou de manteau bariolé de jaune et de rouge. On ne pouvait imaginer une figure d'un caractère plus farouche et plus barbare que celle de ce premier des Neroweg.
Sans doute, à son aspect, de cruelles pensées agitèrent le marchand de toile; car, après avoir longtemps regardé ce portrait, M. Lebrenn ne put s'empêcher de lui montrer le poing, mouvement involontaire et puéril dont il parut bientôt confus.
Le second portrait, qui parut non moins vivement impressionner le marchand de toile, représentait une femme vêtue de l'habit monastique; ce tableau portait la date de 759 et le nom de Méroflède, abbesse de Moriadek en Plouernel. Particularité assez étrange, cette femme tenait d'une main une crosse abbatiale, et de l'autre une épée nue et sanglante, afin d'indiquer sans doute que ce glaive n'était pas toujours resté dans le fourreau. Cette femme était très-belle, mais d'une beauté fière, sinistre, violente; ses traits, fatigués par les excès et enveloppés de longs voiles blancs et noirs; ses grands yeux gris étincelants sous leurs épais sourcils roux; ses lèvres rouges comme du sang, d'une expression à la fois méchante et sensuelle: enfin cette crosse et cette épée sanglante entre les mains d'une abbesse formaient un ensemble étrange, presque effrayant.
M. Lebrenn, après avoir contemplé cette image avec un dégoût mêlé d'horreur, murmura tout bas:
– Ah! Méroflède! noble abbesse, sacrée par le démon! Messaline ou Frédégonde étaient des vierges auprès de toi! le maréchal de Retz, un agneau! et son château infâme un saint lieu auprès de ton cloître de damnées!
Puis il ajouta avec un soupir douloureux, en levant les yeux au ciel comme s'il eût plaint des victimes:
– Pauvre Septimine la Coliberte! Et toi… malheureux Broute-Saule13!
Et, détournant le regard avec tristesse, M. Lebrenn resta un moment pensif; lorsqu'il releva les yeux, ils s'arrêtèrent sur un autre portrait daté de 1237, représentant un guerrier aux cheveux ras, à la longue barbe rousse, armé de toutes pièces, et portant sur l'épaule le manteau rouge et la croix blanche des croisés.
– Ah! – fit le marchand de toile avec un nouveau geste d'aversion – le moine rouge!..
Et il passa la main sur ses yeux comme pour chasser une hideuse vision.
Mais bientôt les traits de M. Lebrenn se déridèrent; il soupira avec une sorte d'allégement, comme si de douces pensées succédaient chez lui à de cruelles émotions; il attachait un regard bienveillant, presque attendri, sur un portrait daté de l'an 1463, et portant nom de Gontran XII, sire de Plouernel.
Ce tableau représentait un jeune homme de trente ans au plus, vêtu d'un pourpoint de velours noir, et portant au cou le collier d'or de l'ordre de Saint-Michel. On ne pouvait imaginer une physionomie plus douce, plus sympathique; le regard et le demi-sourire qui effleurait les lèvres de ce personnage avaient une expression d'une mélancolie touchante.
– Ah! – dit M. Lebrenn, – la vue de celui-là repose… calme… et consolé… Grâce à Dieu, il n'est pas le seul qui ait failli à la méchanceté proverbiale de sa race!
Puis, après un moment de silence, il dit en soupirant:
– Chère petite Ghiselle la Paonnière! ta vie a été courte… mais quel songe d'or que ta vie!.. Ah! pourquoi faut-il que tes sœurs Alison la Maçonne et Marotte la Haubergière14 n'aient pas…
M. Lebrenn fut interrompu dans ses réflexions par l'entrée de M. de Plouernel.
CHAPITRE VI
Comment le marchand de toile, qui n'était point sot, fit-il le simple homme au vis-à-vis du comte de Plouernel, et ce qu'il en advint. – Comment le colonel reçut l'ordre de se mettre à la tête de son régiment parce que l'on craignait une émeute dans la journée.
M. Lebrenn était si absorbé dans ses pensées, qu'il tressaillit comme en sursaut lorsque M. de Plouernel entra dans le salon.
Malgré son empire sur lui-même, le marchand de toile ne put s'empêcher de trahir une certaine émotion en se trouvant face à face avec le descendant de cette ancienne famille. Ajoutons enfin que M. Lebrenn avait été instruit par Jeanike des fréquentes stations du colonel devant les carreaux du magasin; mais, loin de paraître soucieux ou irrité, M. Lebrenn prit un air de bonhomie naïve et embarrassée, que M. de Plouernel attribuait à la respectueuse déférence qu'il devait inspirer à ce citadin de la rue Saint-Denis.
Le comte, s'adressant donc au marchand avec un accent de familiarité protectrice, lui montra du geste un fauteuil en s'asseyant lui-même, et dit:
– Ne restez pas ainsi debout, mon cher monsieur… asseyez-vous, je l'exige…
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11
On sait la
Le 27 octobre 1815, M. Pasquier lisait à la chambre un rapport sur le projet de loi relatif aux propos et écrits séditieux:
«Prononçons, s'écriait-il, la peine des
Une législation aussi implacable était bien faite pour satisfaire les haines les plus aveugles, les ressentiments les plus vifs voués aux hommes du régime impérial. Elle ne suffit pas à la ferveur royaliste ou plutôt à la rage haineuse de M. de C***.
Il se lève, et, de concert avec deux de ses collègues, il propose, avec la plus vive insistance, d'appliquer
«Eh quoi! s'écrie l'un de ces honorables, on ne punirait pas de mort l'érection de ce drapeau
Cette effrayante leçon sera-t-elle perdue? Une troisième restauration
12
Ainsi qu'on verra plus tard, les chefs francs, lors de la conquête, imbibaient leur chevelure de graisse mélangée avec de la chaux, afin de rendre leurs cheveux d'un rouge éclatant. C'était la beauté de l'époque.
13
On retrouvera dans la suite de ces récits l'histoire de l'abbesse Méroflède, du maréchal de Retz, de Septimine la Coliberte, de Broute-Saule, etc., etc.
14
On retrouvera dans la suite de ce récit