Название: Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9)
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Elle me prit sur ses genoux et tâcha de me faire comprendre sa situation. «Ta grand'mère, me dit-elle, peut me réduire à quinze cents francs si je t'emmène. — Quinze cents francs, m'écriai-je, mais c'est beaucoup, cela! c'est bien assez pour nous trois. — Non, me dit-elle, ce ne serait pas assez pour Caroline et moi, car la pension et l'entretien de ta sœur m'en coûtent la moitié, et avec ce qui me reste, j'ai bien de la peine à vivre et à m'habiller. Tu saurais cela si tu avais la moindre idée de ce que c'est que l'argent. Eh bien, si je t'emmène, et qu'on me retire mille francs par an, nous serons si pauvres, si pauvres, que tu ne pourras pas le supporter et que tu me redemanderas ton Nohant et tes quinze mille livres de rente. — Jamais! jamais! m'écriai-je; nous serons pauvres, mais nous serons ensemble: nous ne nous quitterons jamais, nous travaillerons, nous mangerons des haricots dans un petit grenier, comme dit Mlle Julie, où est le mal? nous serons heureuses, on ne nous empêchera plus de nous aimer!»
J'étais si convaincue, si ardente, si désespérée, que ma mère fut ébranlée. «C'est peut-être vrai, ce que tu dis là, répondit-elle avec la simplicité d'un enfant, et d'un généreux enfant qu'elle était. Il y a longtemps que je sais que l'argent ne fait pas le bonheur, et il est certain que si je t'avais avec moi à Paris, je serais beaucoup plus heureuse dans ma pauvreté que je ne le suis ici, où je ne manque de rien et où je suis abreuvée de dégoûts. Mais ce n'est pas à moi que je pense, c'est à toi, et je crains que tu ne me reproches un jour de t'avoir privée d'une belle éducation, d'un beau mariage et d'une belle fortune.
— Oui, oui, m'écriai-je, une belle éducation, où l'on veut faire de moi une poupée de bois; un beau mariage! avec un monsieur qui rougira de ma mère et la mettra à la porte de chez moi; une belle fortune, qui m'aura coûté tout mon bonheur et qui me forcera à être une mauvaise fille! Non, j'aime mieux mourir que d'avoir toutes ces belles choses-là. Je veux bien aimer ma grand'mère, je veux bien venir la soigner et faire sa partie de grabuge et de loto quand elle s'ennuiera; mais je ne veux pas demeurer avec elle. Je ne veux pas de son château et de son argent; je n'en ai pas besoin, qu'elle les donne à Hippolyte, ou à Ursule, ou à Julie, puisqu'elle aime tant Julie: moi, je veux être pauvre avec toi, et on n'est pas heureuse sans sa mère.»
Je ne sais pas tout ce que j'ajoutai, je fus éloquente à ma manière, puisque ma mère se trouva réellement influencée. «Ecoute, me dit-elle, tu ne sais pas ce que c'est que la misère pour de jeunes filles! moi, je le sais, et je ne veux pas que Caroline et toi passiez par où j'ai passé quand je me suis trouvée orpheline et sans pain à quatorze ans; je n'aurais qu'à mourir et à vous laisser comme cela! Ta grand'mère te reprendrait peut-être, mais elle ne prendra jamais ta sœur, et que deviendrait-elle? Mais il y a un moyen d'arranger tout. On peut toujours être assez riche en travaillant, et je ne sais pas pourquoi, moi qui sais travailler, je ne fais plus rien, et pourquoi je vis de mes rentes comme une belle dame. Ecoute-moi bien; je vais essayer de monter un magasin de modes. Tu sais que j'ai été déjà modiste et que je fais les chapeaux et les coiffures mieux que les perruches qui coiffent ta bonne maman tout de travers, et qui font payer leurs vilains chiffons les yeux de la tête. Je ne m'établirai pas à Paris, il faudrait trop d'argent; mais, en faisant des économies pendant quelques mois, et en empruntant une petite somme que ma sœur ou Pierret me feront bien trouver, j'ouvrirai une boutique à Orléans, où j'ai déjà travaillé. Ta sœur est adroite, tu l'es aussi, et tu auras plus vite appris ce métier-là que le grec et le latin de M. Deschartres. A nous trois, nous suffirons au travail; je sais qu'on vend bien à Orléans et que la vie n'est pas très chère. Nous ne sommes pas des princesses, nous vivrons de peu, comme du temps de la rue Grange-Batelière; nous prendrons plus tard Ursule avec nous. Et puis nous ferons des économies, et, dans quelques années, si je peux vous donner à chacune huit ou dix mille francs, ce sera de quoi vous marier avec d'honnêtes ouvriers qui vous rendront plus heureuses que des marquis et des comtes. Au fait, tu ne seras jamais à ta place dans ce monde-là. On ne t'y pardonnera pas d'être ma fille et d'avoir eu un grand-père marchand d'oiseaux. On t'y fera rougir à chaque instant, et si tu avais le malheur de prendre leurs grands airs, tu ne te pardonnerais plus à toi-même de n'être qu'à moitié noble. C'est donc résolu. Garde bien ce secret-là. Je vais partir, et je m'arrêterai un jour ou deux à Orléans pour m'informer et voir des boutiques à louer. Puis je préparerai tout à Paris, je t'écrirai en cachette par Ursule ou par Catherine, quand tout sera arrangé, et je viendrai te prendre ici. J'annoncerai ma résolution à ma belle-mère: je suis ta mère, et personne ne peut m'ôter mes droits sur toi. Elle se fâchera, elle me retirera le surplus de pension qu'elle me donne, je m'en moquerai: nous partirons d'ici pour prendre possession de notre petite boutique, et quand elle passera dans son carrosse par la grande rue d'Orléans, elle verra en lettres longues comme le bras: «Madame veuve Dupin, marchande de modes.»
TOME SIXIÈME
CHAPITRE SEPTIEME.
(SUITE.)
Première nuit d'insomnie et de désespoir. — La chambre déserte. — Première déception. — Liset. — Projet romanesque. — Mon trésor. — Accident arrivé à ma grand'mère. — Je renonce à mon projet. — Ma grand'mère me néglige forcément. — Leçons de Deschartres. — La botanique. — Mon dédain pour ce qu'on m'enseigne.
Ce beau projet me tourna la tête. J'en eus presque une attaque de nerfs. Je sautais par la chambre en criant et en riant aux éclats, et en même temps je pleurais. J'étais comme ivre. Ma pauvre mère était certainement de bonne foi et croyait à sa résolution, sans cela elle n'eût point à la légère empoisonné l'insouciance ou la résignation de mes jeunes années par un rêve trompeur; car il est certain que ce rêve s'empara de moi et me créa pour longtemps des agitations et des tourmens sans rapport naturel avec mon âge.
Je mis alors autant de zèle à faire partir ma mère que j'en avais mis à l'en empêcher. Je l'aidais à faire ses paquets, j'étais gaie, j'étais heureuse; il me semblait qu'elle reviendrait me chercher au bout de huit jours. Mon enjouement, ma pétulance étonnèrent ma bonne maman pendant le dîner, d'autant plus que j'avais tant pleuré que j'avais les paupières presque en sang, et que ce contraste était inexplicable. Ma mère me dit quelques mots à l'oreille pour m'engager à m'observer et à ne pas donner de soupçons. Je m'observai si bien, je fus si discrète, que jamais personne ne se douta de mon projet, bien que je l'aie porté quatre ans dans mon cœur avec toutes les émotions de la crainte et de l'espérance; je ne le confiai jamais, pas même à Ursule.
Pourtant, à mesure que la nuit approchait (ma mère devait partir à la première aube), j'étais inquiète, épouvantée. Il me semblait que ma mère ne me regardait pas de l'air d'intelligence et de sécurité qu'il aurait fallu pour me consoler. Elle devenait triste et préoccupée. Pourquoi était-elle triste, puisqu'elle devait sitôt revenir, puisqu'elle allait travailler à notre réunion, à notre bonheur? Les enfans ne doutent pas par eux-mêmes et ne tiennent pas compte des obstacles, mais quand ils voient douter ceux en qui leur foi repose, ils tombent dans une détresse de l'âme qui les fait ployer et trembler comme de pauvres brins d'herbe.
On m'envoya coucher à neuf heures, comme à l'ordinaire. Ma mère m'avait bien promis de ne pas se coucher elle-même sans entrer dans ma chambre pour me dire encore adieu et me renouveler ses engagemens; mais je craignis qu'elle ne voulût m'éveiller si elle me supposait СКАЧАТЬ