Название: Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9)
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Ce rapprochement entre M. de... et mon père montre la merveilleuse mémoire de l'empereur. Mais à quel propos se plaignait-il ainsi des mères de famille? C'est ce que je n'ai pu savoir. Je ne me souviens pas de l'époque précise de la catastrophe de M. de... Ce devait être dans un moment où la France aristocratique abandonnait la cause de l'empereur, et où celui-ci faisait d'amères réflexions sur sa destinée.
Il m'est impossible de me rappeler si nous allâmes à Paris dans l'hiver de 1812 à 1813. Cette partie de mon existence est tout à fait sortie de ma mémoire. Je ne saurais dire non plus si ma mère vint à Nohant dans l'été de 1813. Il est probable que oui, car dans le cas contraire j'aurais eu du chagrin, et je me souviendrais.
Le calme s'était rétabli dans ma tête à l'endroit de la politique. L'empereur était reparti de Paris, la guerre avait recommencé en avril. Cet état de guerre extérieure était alors comme un état normal, et on ne s'inquiétait que lorsque Napoléon n'agissait pas d'une manière ostensible. On l'avait dit abattu et découragé après son retour de Moscou. Le découragement d'un seul homme, c'était encore le seul malheur public qu'on voulût admettre et qu'on osât prévoir. Dès le mois de mai, les victoires de Lutzen, Dresde et Bautzen, relevèrent les esprits. L'armistice dont on parlait me parut la sanction de la victoire. Je ne pensai plus à avoir des ailes et à voler au secours de nos légions. Je repris mon existence de jeux, de promenades et d'études faciles.
Dans le courant de l'été, nous eûmes un passage de prisonniers. Le premier que nous vîmes fut un officier qui s'était assis au bord de la route, sur le seuil d'un petit pavillon qui ferme notre jardin de ce côté-là. Il avait un habit de drap fin, de très beau linge, des chaussures misérables, et un portrait de femme attaché à un ruban noir sur sa poitrine. Nous le regardions curieusement, mon frère et moi, tandis qu'il examinait ce portrait d'un air triste, mais nous n'osâmes pas lui parler. Son domestique vint le rejoindre. Il se leva et se remit en route sans faire attention à nous. Une heure après, il passa un groupe assez considérable d'autres prisonniers. Ils se dirigeaient sur Châteauroux. Personne ne les conduisait ni ne les surveillait. Les paysans les regardaient à peine.
Le lendemain, comme nous jouions mon frère et moi auprès du pavillon, un de ces pauvres diables vint à passer. La chaleur était accablante. Il s'arrêta et s'assit sur cette marche du pavillon qui offrait aux passans un peu d'ombre et de fraîcheur. Il avait une bonne figure de paysan allemand, lourde, blonde et naïve. Cela nous enhardit à lui parler, mais il nous répondit: «Moi pas comprend.» C'était tout ce qu'il savait dire en français. Alors je lui demandai par signes s'il avait soif. Il me répondit en me montrant l'eau du fossé d'un air d'interrogation. Nous lui fîmes comprendre qu'elle n'était pas bonne à boire et qu'il eût à nous attendre. Nous courûmes lui chercher une bouteille de vin et un énorme morceau de pain sur lesquels il se jeta avec des exclamations de joie et de reconnaissance, et quand il se fut restauré, il nous tendit la main à plusieurs reprises. Nous pensions qu'il voulait de l'argent, et nous n'en avions pas. J'allais en demander pour lui à ma grand'mère, lorsqu'il devina ma pensée. Il me retint, et nous fit entendre que ce qu'il voulait de nous, c'était une poignée de main. Il avait les yeux pleins de larmes, et après avoir bien cherché, il vint à bout de nous dire: «Enfans très pons!»
Nous revînmes tout attendris raconter à ma bonne maman notre aventure. Elle se prit à pleurer, songeant au temps où son fils avait eu un sort pareil chez les Croates. Puis, comme de nouvelles colonnes de prisonniers paraissaient sur la route, elle fit porter au pavillon une pièce de vin du pays et une provision de pain. Nous en prîmes possession, mon frère et moi, et nous eûmes récréation toute la journée, afin de pouvoir remplir l'office de cantiniers jusqu'au soir. Ces pauvres gens étaient d'une grande discrétion, d'une douceur parfaite, et nous montraient une vive reconnaissance pour ce pauvre morceau de pain et ce verre de vin offerts en passant, sans cérémonie. Ils paraissaient touchés surtout de voir deux enfans leur faire les honneurs, et pour nous remercier, ils se groupaient en chœur et nous chantaient des tyroliennes qui me charmèrent. Je n'avais jamais entendu rien de semblable. Ces paroles étrangères, ces voix justes chantant en parties, et cette classique vocalisation gutturale qui marque le refrain de leurs airs nationaux étaient alors choses très nouvelles en France, et ce n'est pas sur moi seulement qu'elles produisirent de l'effet. Tous les prisonniers allemands internés dans nos provinces y furent traités avec la douceur et l'hospitalité naturelles autrefois au Berrichon; mais ils durent à leurs chants et à leur talent pour la valse plus de sympathie et de bons traitemens que la pitié ne leur en eût assuré. Ils furent les compagnons et les amis de toutes les familles où ils s'établirent: quelques-uns même s'y marièrent.
Je crois bien que cette année-là fut la première que je passai à Nohant sans Ursule. Probablement nous avions été à Paris pendant l'hiver, et, à mon retour, la séparation était un fait préparé et accompli, car je ne me rappelle pas qu'il ait amené de la surprise et des larmes. Je sais que cette année-là, ou la suivante, Ursule venait me voir tous les dimanches, et nous étions restées tellement liées, que je ne passais pas un samedi sans lui écrire une lettre pour lui recommander de venir le lendemain, et pour lui envoyer un petit cadeau. C'était toujours quelque niaiserie de ma façon, un ouvrage en perles, une découpure en papier, un bout de broderie. Ursule trouvait tout cela magnifique et en faisait des reliques d'amitié.
Ce qui me surprit et me blessa beaucoup, c'est que tout d'un coup elle cessa de me tutoyer. Je crus qu'elle ne m'aimait plus, et quand elle m'eut protesté de son attachement, je crus que c'était une taquinerie, une obstination, je ne sais quoi enfin; mais cela me parut une insulte gratuite, et, pour me consoler, il fallut qu'elle m'avouât que sa tante Julie lui avait solennellement défendu de rester avec moi sur ce pied de familiarité inconvenante. Je courus en demander raison à ma grand'mère, qui confirma l'arrêt en me disant que je comprendrais plus tard combien cela était nécessaire. J'avoue que je ne l'ai jamais compris.
J'exigeai qu'Ursule me tutoyât quand nous serions tête à tête; mais comme à ce compte elle n'eût pu guère prendre l'habitude qu'on lui imposait, et qu'elle fut grondée pour avoir laissé échapper en présence de sa tante quelque tu au lieu de vous en parlant à ma personne, je fus forcée de consentir à ce qu'elle perdît avec moi cette douce et naturelle familiarité. Cela me fit souffrir longtemps, et même j'essayai de lui donner de vous pour rétablir l'égalité entre nous. Elle en ressentit beaucoup de chagrin. «Puisqu'on ne vous défend pas de me tutoyer, me disait-elle, ne m'ôtez pas ce plaisir-là; car, au lieu d'un chagrin, ça m'en ferait deux.» Alors comme nous étions assez savantes pour nous amuser des mots de notre première enfance: «Tu vois, lui disais-je, ce que c'est que ce maudit richement, que tu voulais me faire aimer et que je n'aimerai jamais. Cela ne sert qu'à vous empêcher d'être aimé. — Ne croyez pas cela de moi, disait Ursule, vous serez toujours ce que j'aimerai le mieux au monde: que vous soyez riche ou pauvre, ça m'est bien égal.» Cette excellente fille, qui vraiment m'a tenu parole, apprenait l'état de tailleuse, où elle est devenue fort habile. Bien loin d'être paresseuse et prodigue, comme on craignait qu'elle ne le devînt, elle est une des femmes les plus laborieuses et les plus raisonnables que je connaisse.
Je crois me rappeler positivement maintenant que ma mère passa cet été-là avec moi et que j'eus du chagrin, parce que jusqu'alors j'avais couché dans sa chambre quand elle était à Nohant, et que pour la première fois cette douceur me fut refusée. Ma grand'mère me disait trop grande pour dormir sur un sofa, et, en effet, le petit lit de repos qui m'avait servi devenait trop court. Mais le grand lit jaune qui avait vu naître mon père et qui était celui de ma mère à Nohant (le même СКАЧАТЬ