Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9). Жорж Санд
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9) - Жорж Санд страница 18

СКАЧАТЬ des visiteurs me dérangeaient tellement que je n'étudiais avec aucun plaisir et seulement pour l'acquit de ma conscience.

      La chambre à coucher, qui était réellement le salon de ma grand'mère, donnait sur une cour, terminée par un jardin et un grand pavillon, dans le goût de l'empire, où demeurait, je crois, un ex-fournisseur des armées. Il nous permettait d'aller courir dans son jardin, qui n'était, en réalité qu'un fond de cour planté et sablé, mais où nous trouvions moyen de faire bien du chemin. Au dessus de nous demeurait Mme Perrier, fort jolie et pimpante personne, belle-sœur de Casimir Périer. Au second, c'était le général Maison, soldat parvenu, dont la fortune était certainement respectable, mais qui a été l'un des premiers à abandonner l'empereur en 1814. Ses équipages, ses ordonnances, ses mulets couverts de bagages (je crois qu'il partait pour l'Espagne à cette époque, ou qu'il en revenait) remplissaient la cour et la maison de bruit et de mouvement; mais ce qui me frappait le plus, c'était sa mère, vieille paysanne qui n'avait rien changé à son costume, à son langage et à ses habitudes de parcimonie rustique; toute tremblotante et cassée qu'elle était, elle assistait dans la cour, par le plus grand froid, au sciage des bûches et au mesurage du charbon. Elle avait des querelles de l'autre monde avec le concierge, à qui elle arrachait des mains la bûche dite bûche du portier, lorsqu'il la choisissait un peu trop grosse. Cela avait son beau et son mauvais côté; mais je défie que d'ici à longtemps on fasse passer le paysan de la misère à la richesse, sans porter son avarice à l'extrême. L'existence de cette pauvre vieille était une fatigue, un souci, une fureur sans relâche.

      Nous avons occupé cet appartement de la rue Thiroux jusqu'en 1816. En 1832 ou 1833, cherchant à me loger, j'ai aperçu un écriteau sur la porte et je suis entrée, espérant que c'était le logement de ma grand'mère qui se trouvait vacant; mais c'était le pavillon du fond, et on en demandait, je crois, 1,800 fr., prix beaucoup trop élevé pour mes ressources à cette époque. Je me suis pourtant donné le plaisir d'examiner ce pavillon afin de parcourir la cour plantée où rien n'était changé, et de voir en face les croisées de la chambre de ma bonne maman, d'où elle me faisait signe de rentrer lorsque je m'oubliais dans le jardin. Tout en causant avec le portier, j'appris que cette maison n'avait pas changé de propriétaire: que ce propriétaire existait toujours, et qu'il occupait précisément l'appartement de l'entresol que je convoitais. Je voulus, du moins, me procurer la satisfaction de revoir cet appartement, et, sous prétexte de marchander le pavillon, je me fis annoncer à M. Buquet. Il ne me reconnut pas, et je ne l'aurais pas reconnu non plus. Je l'avais perdu de vue jeune encore et ingambe. Je retrouvai un vieillard qui ne sortait plus de sa chambre et qui, pour faire apparemment un peu d'exercice commandé par le médecin, avait installé un billard à côté de son lit, dans la propre chambre de ma grand'mère. Du reste, sauf ma chambre qui avait été jointe à un autre appartement, rien n'était changé dans la disposition des autres pièces: les ornemens dans le goût de l'empire, les plafonds, les portes, les lambris, je crois même le papier de l'antichambre, étaient les mêmes que de mon temps; mais tout cela était noir, sale, enfumé, et puant le caporal au lieu des exquises senteurs de ma grand'mère. Je fus surtout frappée de la petitesse de la maison, de la cour, des jardins et des chambres, qui, jadis, me paraissaient si vastes, et qui étaient restés ainsi dans mes souvenirs. Mon cœur se serra de retrouver si laide, si triste et si sombre cette habitation toute pleine de mes souvenirs.

      J'ai du moins encore une partie des meubles qui me retracent mon enfance et même le grand tapis qui nous amusait tant Pauline et moi. C'est un tapis Louis XV avec des ornemens qui, tous, avaient un nom et un sens pour nous. Tel rond était une île, telle partie du fond un bras de mer à traverser. Une certaine rosace à flammes pourpres était l'enfer, de certaines guirlandes étaient le paradis, et une grande bordure représentant des ananas était la forêt Hercynia. Que de voyages fantastiques, périlleux ou agréables nous avons faits sur ce vieux tapis avec nos petits pieds! La vie des enfans est un miroir magique. Ceux qui ne sont pas initiés n'y voient que les objets réels. Les initiés y trouvent toutes les riantes images de leurs rêves; mais un jour vient où le talisman perd sa vertu, ou bien la glace se brise, et les éclats sont dispersés pour ne jamais se réunir.

      Tel fut pour moi l'éparpillement de toutes les personnes et de presque toutes les choses qui remplirent ma vie de Paris jusqu'à l'âge de dix-sept ou dix-huit ans. Ma grand'mère et tous ses vieux amis des deux sexes moururent un à un. Mes relations changèrent. Je fus oubliée, et j'oubliai moi-même une grande partie des êtres que j'avais vus tous les jours pendant si longtemps. J'entrai dans une nouvelle phase de ma vie; qu'on me pardonne donc de trop m'arrêter dans celle qui a disparu pour moi tout entière.

      Je voyais de temps en temps les neveux de mon père et la nombreuse famille qui se rattachait à l'aîné surtout, René, celui qui habitait le joli petit hôtel de la rue de Grammont. Je n'ai encore rien dit de ses enfans, afin de ne pas embrouiller mon lecteur dans cette complication de générations; et, au reste, je n'ai rien à dire de son fils Septime, que j'ai peu connu et qui ne m'était point sympathique. Le rêve de ma grand'mère était de me marier avec lui ou avec son cousin Léonce, fils d'Auguste. Mais je n'étais pas un parti assez riche pour eux, et je crois que ni eux ni leurs parens n'y songèrent jamais. Les propos des bonnes me mirent de bonne heure, malgré moi, au courant de rêveries de ma bonne grand'mère, et c'est une grande sottise de tourmenter les enfans par ces idées de mariage. Je m'en préoccupai longtemps avant l'âge où il eût été nécessaire d'y songer, et cela produisait en moi une grande inquiétude d'esprit. Léonce me plaisait, comme un enfant peut plaire à un autre enfant. Il était gai, vif et obligeant. Septime était froid et taciturne, du moins il me semblait tel parce que je me croyais destinée à lui plus particulièrement, ma grand'mère ayant plus d'amitié pour son père que pour celui de Léonce. Mais que ce fût Léonce ou Septime, j'avais une grande terreur de l'une ou de l'autre union, parce que, depuis la mort de mon père, leurs parens ne voyaient point ma mère et la maltraitaient beaucoup dans leur opinion.

      Je pensais donc que mon mariage serait le signal d'une rupture forcée avec ma mère, ma sœur et ma chère Clotilde, et j'étais dès-lors si soumise de fait à ma grand'mère, que l'idée de résister à sa volonté ne se présentait pas encore à mon esprit. J'étais donc toujours assez mal à l'aise avec tous les Villeneuve, quoique d'ailleurs je les aimasse beaucoup, et quelquefois, en jouant chez eux avec leurs enfans, il me venait des envies de pleurer au milieu de mes rires. Appréhensions chimériques, souffrances gratuites. Personne ne pensait alors à me séparer de ma mère, et ces enfans, plus heureux que moi, ne songeaient point à enchaîner leur liberté ou la mienne par le mariage.

      La sœur de Septime, Emma de Villeneuve, aujourd'hui Mme de la Roche-Aymon, était une charmante personne, gracieuse, douce et sensible, pour qui j'ai ressenti, dès mon enfance, une sympathie particulière. J'étais à l'aise avec elle, et pour peu qu'elle eût deviné les idées qui me tourmentaient, je lui aurais ouvert mon cœur au moindre encouragement de sa part. Mais elle était bien loin de penser qu'après avoir ri sur ses genoux et gambadé autour d'elle, je m'en allais pleine de mélancolie, et me reprochant en quelque sorte l'amitié que j'éprouvais pour mes parens paternels, pour ceux que l'on m'avait présentés comme les ennemis de ma mère.

      La mère d'Emma et de Septime, Mme René de Villeneuve, était une des plus jolies femmes de la cour impériale. Elle était, à cette époque, dame d'honneur de la reine Hortense. Je la voyais quelquefois, le soir, avec des robes à queue et des diadèmes à l'antique, ce qui m'éblouissait grandement: mais je la craignais, je ne sais pourquoi.

      René était chambellan du roi Louis. C'est un des hommes les plus aimables que j'aie connus. Je l'ai aimé comme un père jusqu'au moment où tout s'est brisé autour de moi. Et puis, sur ses vieux jours, il m'a appelée dans ses bras, et j'y ai couru de grand cœur: on ne boude pas contre soi-même.

      Hippolyte ne fit pas long feu dans la pension où Deschartres l'avait installée. Il y trouva des garçons aussi fous et encore plus malins que lui, qui développèrent si bien ses heureuses СКАЧАТЬ