Histoire de ma Vie, Livre 2 (Vol. 5 - 9). Жорж Санд
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СКАЧАТЬ ou d'orthographe. On remarquera aussi que les femmes de vingt à trente ans, qui ont reçu un peu d'éducation, écrivent le français généralement mieux que les hommes, ce qui tient, selon moi, à ce qu'elles n'ont pas perdu huit ou dix ans de leur vie à essayer d'apprendre les langues mortes.

      Tout cela est pour dire que j'ai toujours trouvé déplorable le système adopté pour l'instruction des garçons, et je ne suis pas seule de cet avis. J'entends dire à tous les hommes qu'ils ont perdu leur temps et l'amour de l'étude au collége. Ceux qui y ont profité sont des exceptions. N'est-il donc pas possible d'établir un système où les intelligences ordinaires ne seraient pas sacrifiées aux besoins des intelligences d'élite?

      CHAPITRE CINQUIEME

      Tyrannie et faiblesse de Deschartres. — Le menuet de Fischer. — Le livre magique. — Nous évoquons le diable. — Le chercheur de tendresse. — Les premières amours de mon frère. — Pauline. — M. Gogault et M. Loubens. — Les talens d'agrément. — Le maréchal Maison. — L'appartement de la rue Thiroux. — Grande tristesse à 7 ans, en prévision du mariage. — Départ de l'armée pour la campagne de Russie. — Nohant. — Ursule et ses sœurs. — Effet du jeu sur moi. — Mes vieux amis. — Système de guerre du czar Alexandre. — Moscou.

      Nous prenions nos leçons dans la chambre de Deschartres, chambre tenue très proprement à coup sûr, mais où régnait une odeur de savonnette à la lavande qui avait fini par me devenir nauséabonde. Mes leçons, à moi, n'étaient pas longues; mais celles de mon pauvre frère duraient toute l'après-midi, parce qu'il était condamné à étudier pour son compte, et à préparer son devoir sous les yeux du pédagogue. Il est vrai que, quand on ne le gardait pas à vue, il n'ouvrait pas seulement son livre. Il s'enfuyait à travers champs, et on ne le voyait plus de la journée. Dieu avait certainement créé et mis au monde cet enfant impétueux pour faire faire pénitence à Deschartres; mais Deschartres, tyran par nature, ne prenait pas ses escapades en esprit de mortification. Il le rendait horriblement malheureux, et il fallut que l'enfant fût de bronze pour ne pas éclater sous cette dure contrainte.

      Ce n'était pas le latin qui faisait son martyre, on ne le lui enseignait pas; c'étaient les mathématiques, pour lesquelles il avait montré de l'aptitude, et il en avait véritablement. Il ne haïssait pas l'étude en elle-même, mais il préférait le mouvement et la gaîté dont il avait un impérieux besoin. Deschartres lui enseignait aussi la musique. Le flageolet étant son instrument favori, Hippolyte dut l'apprendre bon gré mal gré; on lui fit emplette d'un flageolet en buis, et Deschartres, armé de son flageolet d'ébène monté en ivoire, lui en appliquait de violens coups sur les doigts à chaque fausse note. Il y a un certain menuet de Fischer qui aurait dû laisser des calus sur les mains de l'élève infortuné. Cela était d'autant plus coupable de la part de Deschartres que, quelque irrité qu'il fût, il pouvait toujours se vaincre jusqu'à un certain point avec les personnes qu'il aimait. Il n'avait jamais brutalisé l'enfance de mon père, et jamais il ne s'emporta contre moi jusqu'à un essai de voie de fait, qu'une seule fois en sa vie. Il avait donc une sorte d'aversion pour Hippolyte, à cause des mauvais tours et des moqueries de celui-ci, et pourtant il lui portait, à cause de mon père, un véritable intérêt. Rien ne l'obligeait à l'instruire, et il s'y employait avec une obstination qui n'était pas de la vengeance, car il eût été vite dégoûté d'une satisfaction que son élève lui faisait payer si cher. Il s'était imposé cette tâche en conscience; mais il est bien vrai de dire qu'à l'occasion le ressentiment y trouvait son compte.

      Quand j'allais prendre mes leçons auprès d'Hippolyte, accoudé sur sa table et jouant aux mouches quand on ne le regardait pas, Ursule était toujours là. Deschartres aimait cette petite fille pleine d'assurance qui lui tenait tête et lui répliquait fort à propos. Comme tous les hommes violens, Deschartres aimait parfois la résistance ouverte et devenait débonnaire, faible même avec ceux qui ne le craignaient pas. Le tort d'Hippolyte et son malheur était de ne lui jamais dire en face qu'il était injuste et cruel. S'il l'eût menacé une seule fois de se plaindre à ma grand'mère ou de quitter la maison, Deschartres eût certainement fait un retour sur lui-même; mais l'enfant le craignait, le haïssait et ne se consolait que par la vengeance.

      Il est certain qu'il y était ingénieux et qu'il avait un esprit diabolique pour observer et relever les ridicules. Souvent, au milieu de la leçon, Deschartres était appelé dans la maison ou dans la cour de la ferme par quelque détail de son exploitation. Ces absences étaient mises à profit pour se moquer de lui. Hippolyte prenait le flageolet d'ébène et singeait le professeur avec un rare talent d'imitation. Il n'y avait rien de plus ridicule, en effet, que Deschartres jouant du flageolet. Cet instrument champêtre était déjà ridicule par lui-même dans les mains d'un personnage si solennel et au milieu d'un visage si refrogné d'habitude. En outre, il le maniait avec une extrême prétention, arrondissant les doigts avec grâce, dandinant son gros corps et pinçant la lèvre supérieure avec une affectation qui lui donnait la plus plaisante figure du monde. C'était dans le menuet de Fischer surtout qu'il déployait tous ses moyens, et Hippolyte savait très bien par cœur ce morceau qu'il ne pouvait venir à bout de lire proprement quand la musique écrite et la figure menaçante de Deschartres étaient devant ses yeux; mais à force de le contrefaire, il l'avait appris malgré lui, et je crois qu'il ne fit jamais d'autre étude musicale que celle-là.

      Ursule, qui était fort sage pendant la leçon, devenait fort turbulente dans les entr'actes. Elle grimpait partout, feuilletait tous les livres, bousculait toutes les pantoufles et toutes les savonnettes, et riait à se rouler par terre de toutes les remarques dénigrantes d'Hippolyte sur la toilette, les habitudes et les manières du pédagogue. Il avait toujours sur les rayons de sa bibliothèque une quantité de petits sacs de graines qu'il expérimentait dans le jardin, rêvant sans cesse au moyen d'acclimater quelque nouvelle plante fourragère, fromentale ou légumineuse dans le département, et se flattant d'éclipser la gloire de ses concurrens au comité d'agriculture. Nous prenions soin de lui mêler toutes ces graines triées avec tant de scrupule par ses propres mains, nous mélangions le pastel avec le colza, et le sarrazin avec le millet, si bien que les graines poussaient tout de travers, et qu'il récoltait de la luzerne là où il avait semé des raves. Il entassait manuscrits sur manuscrits pour prouver à ses confrères de la Société d'agriculture que M. Cadet de Vaux était un âne et M. Rougier de la Bergerie un veau; car c'était en ces termes peu parlementaires qu'il faisait la guerre aux systèmes de ses concurrens dans le comice agricole. Nous dérangions les feuillets de ses opuscules et nous ajoutions des lettres à plusieurs mots pour y faire des fautes d'orthographe. Il lui arriva une fois d'envoyer le manuscrit ainsi embelli à l'imprimerie, et quand on lui renvoya ses épreuves à corriger, il entra dans une colère épouvantable contre le crétin de prote qui faisait de pareilles bévues.

      Parmi ses livres, il y en avait plusieurs qui excitaient vivement notre curiosité: entre autres, le Grand Albert et le Petit Albert, et divers manuels d'économie rurale et domestique, fort anciens et remplis de billevesées. Il y en avait un, dont j'ai oublié le titre, que Deschartres avait placé au plus haut de ses rayons, et qu'il prisait pour l'ancienneté de l'édition. Je ne saurais dire au juste de quoi il traite ni ce qu'il vaut. Nous ne pouvions guère le parcourir, car l'escalade pour le saisir et le remettre en place prenait une partie du temps que nous dérobions à la vigilance du maître. Autant que je m'en souviens, il y avait de tout: des remèdes pour guérir les maladies des hommes et des bêtes, des recettes pour les médicamens, les mets, les liqueurs et les poisons. Il y avait aussi de la magie, et c'était là ce qui nous intéressait le plus. Hippolyte avait ouï dire une fois à Deschartres qu'il s'y trouvait une formule de conjuration pour faire paraître le diable. Il s'agissait de la trouver dans tout ce fatras et nous nous y reprîmes à plus de vingt fois. Au moment où nous pensions arriver au magique feuillet, nous entendions retentir sur l'escalier les pas lourds de Deschartres. Il eût été plus simple de lui demander de nous le montrer; il est probable que, dans un moment de СКАЧАТЬ