Название: La coucaratcha. II
Автор: Эжен Сю
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Je compris alors pourquoi Wolf avait voulu choisir entre les deux pistolets…
RELATION VÉRITABLE
CHAPITRE PREMIER.
Pourquoi Claude Belissan devint philosophe, philanthrope, matérialiste, athée, négrophile et républicain
C'était le 15 mai – 1789.
Vers le milieu de la rue Saint-Honoré il y avait une haute et obscure maison de six étages, au sixième étage une petite chambre, dans cette petite chambre une fenêtre étroite, et à cette fenêtre un jeune homme d'une taille moyenne et assez laid. Ce jeune homme était Claude Belissan, clerc de procureur, légèrement atteint de l'épidémie philosophique qui régnait alors.
L'eau tombait à torrents d'un ciel gris sombre, menaçant, et de fortes raffales de vent faisaient fouetter les ondes contre les carreaux qui ruisselaient de pluie.
Pour la première fois, Claude Belissan blasphémait Dieu d'une épouvantable façon, car jusque-là il avait été élevé par sa mère dans de saintes et religieuses croyances.
– Tombe… disait-il, tombe… donc, averse maudite! change les rues en rivières, les places en lacs, la plaine en océan… Bien… allons, le déluge… un nouveau déluge… et un dimanche encore! un dimanche!.. quand on a travaillé toute la semaine… Bah!.. les philosophes ont bien raison; il n'y a pas de Dieu… il n'y a qu'un destin, un hasard… et encore!!!
Et voilà, comme de croyant qu'il était, Belissan devint furieusement fataliste et incrédule.
Et la pluie redoublant, cinglait, pétillait sur les vitres, et Belissan trépignait et se damnait en regardant avec douleur et rage sa culotte luisante de gourgouran, ses bas de coton blanc, sa chemise à jabot et à manchettes.
Et Belissan se damnait encore en jetant un coup-d'œil de profond et amer regret sur sa veste de bazin à fleurs et son habit de ratine bleue soigneusement étendus sur son lit virginal… car le lit de Belissan était virginal.
A une nouvelle ondulation de l'averse, Belissan fit un tel bond de fureur qu'un nuage de poudre blanche et parfumée s'échappa de sa tête, et flotta indécis dans sa chambre… On eût dit el signor Campanona dans toute la fougue de son exaltation musicale.
– Enfer, malédiction… s'écria-t-il! et Catherine… Catherine qui m'attend… Une promenade, un rendez-vous calculé, combiné depuis cinq semaines… le voir manquer, j'en deviendrai fou… fou… à lier… Dieu me le paiera!!
Et après avoir montré le poing au ciel, en manière d'Ajax, Belissan cacha sa tête dans ses mains…
Au bout de quelques minutes d'une cruelle rêverie, où il ne vit que ruisseaux débordés, gouttières gonflées, boue et parapluies, le jeune clerc suspendit sa respiration, puis son cœur palpita, bondit… Il dressa la tête, prêta l'oreille… mais sans ouvrir les yeux, tant il craignait une amère déception… Figurez-vous que le malheureux croyait ne plus entendre la pluie tomber que goutte à goutte et rebondir sur le toit!!!
Et ce ne fut pas une illusion.
Le ciel s'éclaircit; bientôt une légère brise de nord-est s'éleva, grandit, souffla, et après une demi-heure d'attente et d'angoisse inexprimable, les nuages chassèrent, se refoulèrent à l'horizon, le soleil étincela sur les toits humides, le ciel devint bleu, l'air tiède et chaud, enfin jamais journée de printemps commencée sous d'aussi funèbres auspices ne parut se devoir terminer plus riante et plus pure.
Belissan, au lieu de remercier Dieu, ne pensa qu'à sa culotte de gourgouran, à son habit de ratine, prit son chapeau sous son bras, rajusta sa coiffure, et en sept minutes fut au bas de son escalier, fringant, pimpant, lustré, pomponné, éblouissant à voir.
– Mais hélas! quel horrible spectacle! les pavés étaient fangeux, les gouttières filtraient l'eau, et une foule d'équipages se croisaient dans la rue.
Alors Belissan prit résolument le parti de marcher sur ses pointes et entreprit la périlleuse tournée qui devait le réunir à sa Catherine. Il n'était plus qu'à quelques pas de la boutique de cette jolie fille, lorsque les piétons se refoulent à la hâte, se pressent, se heurtent, avertis par un piqueur à livrée verte et orange qui précédait un bel équipage à quatre chevaux. – Mais quatre magnifiques chevaux bai-bruns, les deux de volées surtout étaient du plus pur sang danois, circonstance qui ne pouvait échapper à la vue de Belissan, car le malheureux, par une incroyable fatalité, fut placé au premier rang des piétons, et les chevaux danois, qui piaffaient beaucoup, ayant un pas fort relevé, couvrirent le pauvre clerc d'une pluie de boue, mais si noire, mais si épaisse, mais si grasse, qu'elle tacha affreusement l'habit de ratine et la culotte de gourgouran.
Ce seigneur qui venait de passer était M. le marquis de Beaumont; il revenait de Versailles, et allait visiter M. le duc de Luynes.
Belissan resta stupéfait et moucheté comme un tigre, mais comme un tigre aussi il se prit à rugir en montrant le poing au brillant équipage, comme naguère il l'avait montré à Dieu, le montrant surtout à un grand coureur tout chamarré d'or et de soie qui, perché derrière la voiture, se pâmait de rire insolemment.
De ce moment, de cette minute, de cette seconde, Belissan jura haine éternelle à Dieu, aux marquis, aux voitures, aux coureurs, aux chevaux danois, et se proclama l'égal de tout le monde, grand seigneur, laquais ou cheval danois.
Il allait peut-être se livrer à une longue et fougueuse méditation sur l'inégalité des positions sociales, lorsqu'il se souvint de Catherine; il remit donc sa colère à plus tard, jeta un triste coup-d'œil sur ses mouchetures, et dit en soupirant:
– Après tout, il vaut peut-être mieux laisser sécher la boue que de l'étendre; d'ailleurs, Catherine me plaindra…
Et il continua sa route, la tête bouleversée, exaspérée par ses idées d'amour et d'égalité, de bonheur et de haine. C'était alors une fournaise que le cerveau de Claude Belissan, et, quand il entra dans la rue où demeurait sa maîtresse, sa tête devait certainement fumer, tant ses pensées étaient brûlantes et effervescentes…
Mais, hélas! plaignez Belissan… figurez-vous ce que devint, ce qu'éprouva, ce que ressentit Belissan… mettez-vous à la place de Belissan quand il vit arrêté, presqu'en face la porte de Catherine, l'équipage maudit qui l'avait si curieusement tigré!
Or, le père de Catherine était parfumeur-gantier, à la Bonne-Foi, et sa boutique se trouvait toute proche de l'hôtel de Luynes.
Belissan respira pourtant lorsqu'il ne vit plus le grand coureur. Il s'approcha de la porte de la boutique, jeta un dernier regard de désespoir sur sa toilette souillée, et entra…
Mais en entrant il passa par toutes les nuances du prisme, à partir du blanc jusqu'au violet; ses yeux se troublèrent, il vit des flammes bleues, la tête lui tourna, il ne put que s'asseoir convulsivement sur le comptoir, et sur la main du gantier, qui s'écria: Prenez donc garde, monsieur Belissan.
Mais Belissan ne prenait pas garde. Belissan avait vu en entrant la jolie gantière essayer des gants au grand coureur, fort bel homme en vérité, Belissan avait encore vu le grand coureur serrer les mains de Catherine, qui avait souri en rougissant…
Et puis il n'avait plus СКАЧАТЬ