Название: La Terre
Автор: Emile Zola
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
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– Hein? nous y sommes, dit-il. Allons-y!
Un gamin de douze ans, sale et dépenaillé, le suivait, portant la chaîne sous un bras, le pied et les jalons sur une épaule, et balançant, de la main restée libre, l'équerre, dans un vieil étui de carton crevé.
Tous se mirent en marche, sans attendre Buteau, qu'ils venaient de reconnaître, debout et immobile devant une pièce, la plus grande de l'héritage, au lieu dit des Cornailles. Cette pièce, de deux hectares environ, était justement voisine du champ où la Coliche avait traîné Françoise, quelques jours auparavant. Et, Buteau, trouvant inutile d'aller plus loin, s'était arrêté là, absorbé. Quand les autres arrivèrent, ils le virent qui se baissait, qui prenait dans sa main une poignée de terre, puis qui la laissait couler lentement, comme pour la peser et la flairer.
– Voilà, reprit Grosbois, en sortant de sa poche un carnet graisseux, j'ai levé déjà un petit plan exact de chaque parcelle, ainsi que vous me l'aviez demandé, père Fouan. A cette heure, il s'agit de diviser le tout en trois lots; et ça, mes enfants, nous allons le faire ensemble… Hein? dites-moi un peu comment vous entendez la chose.
Le jour avait grandi, un vent glacé poussait dans le ciel pâle des vols continus de gros nuages; et la Beauce, flagellée, s'étendait, d'une tristesse morne. Aucun d'eux, du reste, ne semblait sentir ce souffle du large, gonflant les blouses, menaçant d'emporter les chapeaux. Les cinq, endimanchés pour la gravité de la circonstance, ne parlaient plus. Au bord de ce champ, au milieu de l'étendue sans bornes, ils avaient la face rêveuse et figée, la songerie des matelots, qui vivent seuls, par les grands espaces. Cette Beauce plate, fertile, d'une culture aisée, mais demandant un effort continu, a fait le Beauceron froid et réfléchi, n'ayant d'autre passion que la terre.
– Faut tout partager en trois, finit par dire Buteau.
Grosbois hocha la tête, et une discussion s'engagea. Lui, acquis au progrès par ses rapports avec les grandes fermes, se permettait parfois de contrecarrer ses clients de la petite propriété, en se déclarant contre le morcellement à outrance. Est-ce que les déplacements et les charrois ne devenaient pas ruineux, avec des lopins larges comme des mouchoirs? est-ce que c'était une culture, ces jardinets où l'on ne pouvait améliorer les assolements, ni employer les machines? Non, la seule chose raisonnable était de s'entendre, de ne pas découper un champ ainsi qu'une galette, un vrai meurtre! Si l'un se contentait des terres de labour, l'autre s'arrangeait des prairies: enfin, on arrivait à égaliser les lots, et le sort décidait.
Buteau, dont la jeunesse riait volontiers encore, le prit sur un ton de farce.
– Et si je n'ai que du pré, moi, qu'est-ce que je mangerai? de l'herbe alors!.. Non, non, je veux de tout, du foin pour la vache et le cheval, du blé et de la vigne pour moi.
Fouan qui écoutait approuva d'un signe. De père en fils, on avait partagé ainsi; et les acquisitions, les mariages venaient ensuite arrondir de nouveau les pièces.
Riche de ses vingt-cinq hectares, Delhomme avait des idées plus larges; mais il se montrait conciliant, il n'était venu, au nom de sa femme, que pour n'être pas volé sur les mesures. Et, quant à Jésus-Christ, il avait lâché les autres, à la poursuite d'un vol d'alouettes, des cailloux plein les mains. Lorsqu'une d'elles, contrariée par le vent, restait deux secondes en l'air, immobile, les ailes frémissantes, il l'abattait avec une adresse de sauvage. Trois tombèrent, il les mit saignantes dans sa poche.
– Allons, assez causé, coupe-nous ça en trois! dit gaiement Buteau, tutoyant l'arpenteur; et pas en six, car tu m'as l'air, ce matin, de voir à la fois Chartres et Orléans!
Grosbois, vexé, se redressa, très digne.
– Mon petit, tâche d'être aussi soûl que moi et d'ouvrir l'oeil… Quel est le malin qui veut prendre ma place à l'équerre?
Personne n'osant relever le défi, il triompha, il appela rudement le gamin que la chasse au caillou de Jésus-Christ stupéfiait d'admiration; et l'équerre était déjà installée sur son pied, on plantait des jalons, lorsque la façon de diviser la pièce souleva une nouvelle dispute. L'arpenteur, appuyé par Fouan et Delhomme, voulait la partager en trois bandes parallèles au vallon de l'Aigre; tandis que Buteau exigeait que les bandes fussent prises perpendiculairement à ce vallon, sous le prétexte que la couche arable s'amincissait de plus en plus, en allant vers la pente. De cette manière, chacun aurait sa part du mauvais bout; au lieu que, dans l'autre cas, le troisième lot serait tout entier de qualité inférieure. Mais Fouan se fâchait, jurait que le fond était partout le même, rappelait que l'ancien partage entre lui, Mouche et la Grande, avait eu lieu dans le sens qu'il indiquait; et la preuve, c'était que les deux hectares de Mouche borderaient ce troisième lot. Delhomme, de son côté, fit une remarque décisive: en admettant même que le lot fût moins bon, le propriétaire en serait avantagé, le jour où l'on ouvrirait le chemin qui devait longer le champ, à cet endroit.
– Ah! oui, cria Buteau, le fameux chemin direct de Rognes à Châteaudun, par la Borderie! En voilà un que vous attendrez longtemps!
Puis, comme, malgré son insistance, on passait outre, il protesta, les dents serrées.
Jésus-Christ lui-même s'était rapproché, tous s'absorbèrent, à regarder Grosbois tracer les lignes de partage; et ils le surveillaient d'un oeil aigu, comme s'ils l'avaient soupçonné de vouloir tricher d'un centimètre, en faveur d'une des parts. Trois fois, Delhomme vint mettre son oeil à la fente de l'équerre, pour être bien sûr que le fil coupait nettement le jalon. Jésus-Christ jurait contre le sacré galopin, parce qu'il tendait mal la chaîne. Mais Buteau surtout suivait l'opération pas à pas, comptant les mètres, refaisant les calculs, à sa manière, les lèvres tremblantes. Et, dans ce désir de la possession, dans la joie qu'il éprouvait de mordre enfin à la terre, grandissaient l'amertume, la sourde rage de ne pas tout garder. C'était si beau, cette pièce, ces deux hectares d'un seul tenant! Il avait exigé la division, pour que personne ne l'eût, puisqu'il ne pouvait l'avoir, lui; et ce massacre, maintenant, le désespérait.
Fouan, les bras ballants, avait regardé dépecer son bien, sans une parole.
– C'est fait, dit Grosbois. Allez, celle-ci ou celles-là, on n'y trouverait pas une livre de plus!
Il y avait encore, sur le plateau, quatre hectares de terre de labour, mais divisés en une dizaine de pièces, ayant chacune moins d'un arpent; même une parcelle ne comptait que douze ares, et l'arpenteur ayant demandé en ricanant s'il fallait aussi la détailler, la discussion recommença.
Buteau avait eu son geste instinctif, se baissant, prenant une poignée de terre, qu'il approchait de son visage, comme pour la goûter. Puis, d'un froncement béat du nez, il sembla la déclarer la meilleure de toutes; et, l'ayant laissé couler doucement de ses doigts, il dit que c'était bien, si on lui abandonnait la parcelle; autrement, il exigeait la division. Delhomme et Jésus-Christ, agacés, refusèrent, voulurent également leur part. Oui, oui! quatre СКАЧАТЬ