La Terre. Emile Zola
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу La Terre - Emile Zola страница 10

Название: La Terre

Автор: Emile Zola

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

Серия:

isbn:

isbn:

СКАЧАТЬ à la vigne, dit Fouan.

      Mais, comme on revenait vers l'église, il jeta un dernier regard vers la plaine immense, il s'arrêta un instant aux bâtiments lointains de la Borderie. Puis, dans un cri de regret inconsolable, faisant allusion à l'occasion manquée des biens nationaux, autrefois:

      – Ah! si le père avait voulu, c'est tout ça, Grosbois, que vous auriez à mesurer!

      Les deux fils et le gendre se retournèrent d'un mouvement brusque, et il y eut une nouvelle halte, un lent coup d'oeil sur les deux cents hectares de la ferme, épars devant eux.

      – Bah! grogna sourdement Buteau, en se remettant à marcher, ça nous fait une belle jambe, cette histoire! Est-ce qu'il ne faut pas que les bourgeois nous mangent toujours!

      Dix heures sonnaient. Ils pressèrent le pas, car le vent avait faibli, un gros nuage noir venait de lâcher une première averse. Les quelques vignes de Rognes se trouvaient au delà de l'église, sur le coteau qui descendait jusqu'à l'Aigre. Jadis, le château se dressait à cette place, avec son parc; et il n'y avait guère plus d'un demi-siècle que les paysans, encouragés par le succès des vignobles de Montigny, près de Cloyes, s'étaient avisés de planter en vignes ce coteau, que son exposition au midi et sa pente raide désignaient. Le vin en fut pauvre, mais d'une aigreur agréable, rappelant les petits vins de l'Orléanais. Du reste, chaque habitant en récoltait à peine quelques pièces; le plus riche, Delhomme, possédait six arpents de vignes; et la culture du pays était toute aux céréales et aux plantes fourragères.

      Ils tournèrent derrière l'église, filèrent le long de l'ancien presbytère; puis, ils descendirent parmi les plants étroits, découpés en damier. Comme ils traversaient un terrain rocheux, couvert d'arbustes, une voix aiguë, montant d'un trou, cria:

      – Père, v'là la pluie, je sors mes oies!

      C'était la Trouille, la fille à Jésus-Christ, une gamine de douze ans, maigre et nerveuse comme une branche de houx, aux cheveux blonds embroussaillés. Sa bouche grande se tordait à gauche, ses yeux verts avaient une fixité hardie, si bien qu'on l'aurait prise pour un garçon, vêtue, en guise de robe, d'une vieille blouse à son père, serrée autour de la taille par une ficelle. Et, si tout le monde l'appelait la Trouille, quoiqu'elle portât le beau nom d'Olympe, cela venait de ce que Jésus-Christ, qui gueulait contre elle du matin au soir, ne pouvait lui adresser la parole, sans ajouter: «Attends, attends! je vas te régaler, sale trouille!»

      Il avait eu ce sauvageon d'une rouleuse de routes, ramassée sur le revers d'un fossé, à la suite d'une foire, et qu'il avait installée dans son trou, au grand scandale de Rognes. Pendant près de trois ans, le ménage s'était massacré; puis, un soir de moisson, la gueuse s'en était allée comme elle était venue, emmenée par un autre homme. L'enfant, à peine sevrée, avait poussé dru, en mauvaise herbe; et, depuis qu'elle marchait, elle faisait la soupe à son père, qu'elle redoutait et adorait. Mais sa passion était ses oies. D'abord, elle n'en avait eu que deux, un mâle et une femelle, volés tout petits, derrière la haie d'une ferme. Puis, grâce à des soins maternels, le troupeau s'était multiplié, et elle possédait vingt bêtes à cette heure, qu'elle nourrissait de maraude.

      Quand la Trouille parut, avec son museau effronté de chèvre, chassant devant elle les oies à coup de baguette, Jésus-Christ s'emporta.

      – Tu sais, rentre pour la soupe, ou gare!.. Et puis, sale trouille, veux-tu bien fermer la maison, à cause des voleurs!

      Buteau ricana, Delhomme et les autres ne purent également s'empêcher de rire, tant cette idée de Jésus-Christ volé leur sembla drôle. Il fallait voir la maison, une ancienne cave, trois murs retrouvés en terre, un vrai terrier à renard, entre des écroulements de cailloux, sous un bouquet de vieux tilleuls. C'était tout ce qu'il restait du château; et, quand le braconnier, à la suite d'une querelle avec son père, s'était réfugié dans ce coin rocheux qui appartenait à la commune, il avait dû construire en pierres sèches, pour fermer la cave, une quatrième muraille, où il avait laissé deux ouvertures, une fenêtre et la porte. Des ronces retombaient, un grand églantier masquait la fenêtre. Dans le pays, on appelait ça le Château.

      Une nouvelle ondée creva. Heureusement, l'arpent de vignes se trouvait voisin, et la division en trois lots fut rondement menée, sans provoquer de contestation. Il n'y avait plus à partager que trois hectares de pré, en bas, au bord de l'Aigre; mais, à ce moment, la pluie devint si forte, un tel déluge tomba, que l'arpenteur, en passant devant la grille d'une propriété, proposa d'entrer.

      – Hein! si l'on s'abritait une minute chez M. Charles?

      Fouan s'était arrêté, hésitant, plein de respect pour son beau-frère et sa soeur, qui, après fortune faite, vivaient retirés, dans cette propriété de bourgeois.

      – Non, non, murmura-t-il, ils déjeunent à midi, ça les dérangerait. Mais M. Charles apparut en haut du perron, sous la marquise, intéressé par l'averse; et, les ayant reconnus, il les appela.

      – Entrez, entrez donc!

      Puis, comme tous ruisselaient, il leur cria de faire le tour et d'aller dans la cuisine, où il les rejoignit. C'était un bel homme de soixante-cinq ans, rasé, aux lourdes paupières sur des yeux éteints, à la face digne et jaune de magistrat retiré. Vêtu de molleton gros bleu, il avait des chaussons fourrés et une calotte ecclésiastique, qu'il portait dignement, en gaillard dont la vie s'était passée dans des fonctions délicates, remplies avec autorité.

      Lorsque Laure Fouan, alors couturière à Châteaudun, avait épousé Charles Badeuil, celui-ci tenait un petit café rue d'Angoulême. De là, le jeune ménage, ambitieux, travaillé d'un désir de fortune prompte, était parti pour Chartres. Mais, d'abord, rien ne leur y avait réussi, tout périclitait entre leurs mains; ils tentèrent vainement d'un autre cabaret, d'un restaurant, même d'un commerce de poissons salés; et ils désespéraient d'avoir jamais deux sous à eux, lorsque M. Charles, de caractère très entreprenant, eut l'idée d'acheter une des maisons publiques de la rue aux Juifs, tombée en déconfiture, par suite de personnel défectueux et de saleté notoire. D'un coup d'oeil, il avait jugé la situation, les besoins de Chartres, la lacune à combler dans un chef-lieu qui manquait d'un établissement honorable, où la sécurité et le confort fussent à la hauteur du progrès moderne. Dès la seconde année, en effet, le 19, restauré, orné de rideau et de glaces, pourvu d'un personnel choisi avec goût, se fit si avantageusement connaître, qu'il fallut porter à six le nombre des femmes. Messieurs les officiers, messieurs les fonctionnaires, enfin toute la société n'alla plus autre part. Et ce succès se maintint, grâce au bras d'acier de M. Charles, à son administration paternelle et forte; tandis que Mme Charles se montrait d'une activité extraordinaire, l'oeil ouvert partout, ne laissant rien se perdre, tout en sachant tolérer, quand il le fallait, les petits vols des clients riches.

      En moins de vingt-cinq années, les Badeuil économisèrent trois cent mille francs; et ils songèrent alors à contenter le rêve de leur vie, une vieillesse idyllique en pleine nature, avec des arbres, des fleurs, des oiseaux. Mais ce qui les retint deux ans encore, ce fut de ne pas trouver d'acheteur pour le 19, au prix élevé qu'ils l'estimaient. N'était-ce pas à déchirer le coeur, un établissement fait du meilleur d'eux-mêmes, qui rapportait plus gros qu'une ferme, et qu'il fallait abandonner entre des mains inconnues, où il dégénérerait peut-être? Dès son arrivée à Chartres, M. Charles avait eu une fille, Estelle, qu'il mit chez les soeurs de la Visitation, à Châteaudun, lorsqu'il s'installa rue aux Juifs. C'était un pensionnat dévot, d'une moralité rigide, dans lequel il laissa la jeune fille jusqu'à dix-huit ans, pour raffiner sur son innocence, l'envoyant passer ses vacances au loin, ignorante du métier qui l'enrichissait. Et il ne l'en retira que le jour où il la maria à un jeune employé de l'octroi, Hector Vaucogne, un joli garçon qui gâtait de belles qualités par СКАЧАТЬ