La Terre. Emile Zola
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Название: La Terre

Автор: Emile Zola

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ qui se leva.

      Delhomme avait également quitté sa chaise. Et, derrière les vieux, Jésus-Christ venait de reparaître, se dandinant, sans une parole. Il écrasa le bout de son cigare pour l'éteindre, puis fourra le fumeron empesté dans une poche de sa blouse.

      – Alors, nous y sommes, dit Fouan. Il ne manque que Buteau… Jamais à l'heure, jamais comme les autres, ce bougre-là!

      – Je l'ai vu au marché, déclara Jésus-Christ d'une voix enrouée par l'eau-de-vie. Il va venir.

      Buteau, le cadet, âgé de vingt-sept ans, devait ce surnom à sa mauvaise tête, continuellement en révolte, s'obstinant dans des idées à lui, qui n'étaient celles de personne. Même gamin, il n'avait pu s'entendre avec ses parents; et, plus tard, après avoir tiré un bon numéro, il s'était sauvé de chez eux, pour se louer, d'abord à la Borderie, ensuite à la Chamade.

      Mais, comme le père continuait de gronder, il entra, vif et gai. Chez lui, le grand nez des Fouan s'était aplati, tandis que le bas de la figure, les maxillaires s'avançaient en mâchoires puissantes de carnassier. Les tempes fuyaient, tout le haut de la tête se resserrait et, derrière le rire gaillard de ses yeux gris, il y avait déjà de la ruse et de la violence. Il tenait de son père le désir brutal, l'entêtement dans la possession, aggravés par l'avarice étroite de la mère. A chaque querelle, lorsque les deux vieux l'accablaient de reproches, il leur répondait: «Fallait pas me faire comme ça!»

      – Dites donc, il y a cinq lieues de la Chamade à Cloyes, répondit-il aux grognements. Et puis, quoi? j'arrive en même temps que vous… Est-ce qu'on va encore me tomber sur le dos?

      Maintenant, tous se disputaient, criaient de leurs voix perçantes et hautes, habituées au plein vent, débattaient leurs affaires, absolument comme s'ils se fussent trouvés chez eux. Les clercs, incommodés, leur jetaient des regards obliques, lorsque le notaire vint au bruit, ouvrant de nouveau la porte de son cabinet.

      – Vous y êtes tous? Allons, entrez!

      Ce cabinet donnait sur le jardin, la mince bande de terre qui descendait jusqu'au Loir, dont on apercevait, au loin, les peupliers sans feuilles. Ornant la cheminée, il y avait une pendule de marbre noir, entre des paquets de dossiers; et rien autre que le bureau d'acajou, un cartonnier et des chaises.

      Tout de suite, M. Baillehache s'était installé à ce bureau, comme à un tribunal; tandis que les paysans, entrés à la queue, hésitaient, louchaient en regardant les sièges, avec l'embarras de savoir où et comment ils devaient s'asseoir.

      – Voyons, asseyez-vous!

      Alors, poussés par les autres, Fouan et Rose se trouvèrent au premier rang, sur deux chaises; Fanny et Delhomme se mirent derrière, également côte à côte; pendant que Buteau s'isolait dans un coin, contre le mur, et qu'Hyacinthe, seul, restait debout, devant la fenêtre, dont il bouchait le jour de ses larges épaules. Mais le notaire, impatienté, l'interpella familièrement.

      – Asseyez-vous donc, Jésus-Christ!

      Et il dut entamer l'affaire le premier.

      – Ainsi, père Fouan, vous vous êtes décidé à partager vos biens de votre vivant entre vos deux fils et votre fille?

      Le vieux ne répondit point, les autres demeurèrent immobiles, un grand silence se fit. D'ailleurs, le notaire, habitué à ces lenteurs, ne se hâtait pas, lui non plus. Sa charge était dans la famille depuis deux cent cinquante ans; les Baillehache de père en fils s'étaient succédé à Cloyes, d'antique sang beauceron, prenant de leur clientèle paysanne la pesanteur réfléchie, la circonspection sournoise qui noient de longs silences et de paroles inutiles le moindre débat. Il avait ouvert un canif, il se rognait les ongles.

      – N'est-ce pas? il faut croire que vous vous êtes décidé, répéta-t-il enfin, les yeux fixés sur le vieux.

      Celui-ci se tourna, eut un regard sur tous, avant de dire, en cherchant les mots:

      – Oui, ça se peut bien, monsieur Baillehache… Je vous en avais parlé à la moisson, vous m'aviez dit d'y penser davantage; et j'y ai pensé encore, et je vois qu'il va falloir tout de même en venir là.

      Il expliqua pourquoi, en phrases interrompues, coupées de continuelles incidentes. Mais ce qu'il ne disait pas, ce qui sortait de l'émotion refoulée dans sa gorge, c'était la tristesse infinie, la rancune sourde, le déchirement de tout son corps, à se séparer de ces biens si chaudement convoités avant la mort de son père, cultivés plus tard avec un acharnement de rut, augmentés ensuite lopins à lopins, au prix de la plus sordide avarice. Telle parcelle représentait des mois de pain et de fromage, des hivers sans feu, des étés de travaux brûlants, sans autre soutien que quelques gorgées d'eau. Il avait aimé la terre en femme qui tue et pour qui on assassine. Ni épouse, ni enfants, ni personne, rien d'humain: la terre! Et voilà qu'il avait vieilli, qu'il devait céder cette maîtresse à ses fils, comme son père la lui avait cédée à lui-même, enragé de son impuissance.

      – Voyez-vous, monsieur Baillehache, il faut se faire une raison, les jambes ne vont plus, les bras ne sont guère meilleurs, et, dame! la terre en souffre… Ça aurait encore pu marcher, si l'on s'était entendu avec les enfants…

      Il jeta un coup d'oeil sur Buteau et sur Jésus-Christ, qui ne bougèrent pas, les yeux au loin, comme à cent lieues de ce qu'il disait.

      – Mais, quoi? voulez-vous que je prenne du monde, des étrangers qui pilleront chez nous? Non, les serviteurs, ça coûte trop cher, ça mange le gain, au jour d'aujourd'hui… Moi, je ne peux donc plus. Cette saison, tenez! des dix-neuf setiers que je possède, eh bien! j'ai eu à peine la force d'en cultiver le quart, juste de quoi manger, du blé pour nous et de l'herbe pour les deux vaches… Alors, ça me fend le coeur, de voir cette bonne terre qui se gâte. Oui, j'aime mieux tout lâcher que d'assister à ce massacre.

      Sa voix s'étrangla, il eut un grand geste de douleur et de résignation. Près de lui, sa femme, soumise, écrasée par plus d'un demi-siècle d'obéissance et de travail, écoutait.

      – L'autre jour, continua-t-il, en faisant ses fromages, Rose est tombée le nez dedans. Moi, ça me casse, rien que de venir en carriole au marché… Et puis, la terre, on ne l'emporte pas avec soi, quand on s'en va. Faut la rendre, faut la rendre… Enfin, nous avons assez travaillé, nous voulons crever tranquilles… N'est-ce pas, Rose?

      – C'est ça même, comme le bon Dieu nous voit! dit la vieille.

      Un nouveau silence régna, très long. Le notaire achevait de se couper les ongles. Il finit par remettre le canif sur son bureau, en disant:

      – Oui, ce sont des raisons raisonnables, on est souvent forcé de se résoudre à la donation… Je dois ajouter qu'elle offre une économie aux familles, car les droits d'héritage sont plus forts que ceux de la démission de biens…

      Buteau, dans son affectation d'indifférence, ne put retenir ce cri:

      – Alors, c'est vrai, monsieur Baillehache?

      – Mais sans doute. Vous allez y gagner quelques centaines de francs.

      Les autres s'agitèrent, le visage de Delhomme lui-même s'éclaira, tandis que le père et la mère partageaient aussi cette satisfaction. C'était entendu, l'affaire était faite, du moment que ça coûtait moins.

      – Il me reste à vous présenter les observations d'usage, ajouta le notaire. Beaucoup de bons esprits blâment la démission de biens, qu'ils regardent СКАЧАТЬ