Le morne au diable. Эжен Сю
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Le morne au diable - Эжен Сю страница 6

Название: Le morne au diable

Автор: Эжен Сю

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

Серия:

isbn:

isbn:

СКАЧАТЬ reprit Croustillac, qu’est-ce qu’il y a d’étonnant à ma question?

      – Ce qu’il y a d’étonnant? dit maître Daniel.

      – Oui.

      – Tenez… vous venez de Paris, vous, n’est-ce pas? et c’est bien moins grand que la Martinique.

      – Sans doute!

      – Eh bien! avez-vous vu le bourreau à Paris?

      – Le bourreau? non… mais quel rapport?

      – Eh bien! une fois pour toutes, sachez qu’on est aussi peu curieux de voir la Barbe-Bleue, qu’on est curieux de voir le bourreau… mon gentilhomme. D’abord, parce que la maison qu’elle habite est située au milieu des solitudes du Morne-au-Diable, où l’on ne se soucie pas de s’aventurer… Puis, parce qu’une assassine n’est pas d’une agréable société, et puis parce que la Barbe-Bleue a de trop mauvaises connaissances.

      – De mauvaises connaissances? fit le chevalier.

      – Oui, des amis… des amis de cœur… pour ne pas dire plus, qu’il ne fait pas bon rencontrer le soir sur la grève, la nuit dans les bois ou au coucher du soleil sous le vent de l’île, dit le capitaine.

      – L’Ouragan… le capitaine flibustier, d’abord… dit un des passagers d’un air d’effroi.

      – Puis Arrache-l’Ame… le boucanier de Marie-Galande, dit un autre.

      – Puis Youmaalë… le Caraïbe anthropophage de l’anse aux Caïmans, reprit un troisième.

      – Comment! s’écria le chevalier, est-ce que la Barbe-Bleue serait à la fois en coquetterie réglée avec un flibustier, un boucanier et un cannibale… Peste… Quelle matrone!

      – Comme vous dites, mon gentilhomme… elle passe pour une matrone, une buonaroba, comme disent les Espagnols.

      CHAPITRE III.

      L’ARRIVÉE

      Ces singulières révélations sur le moral de la Barbe-Bleue parurent impressionner assez le chevalier.

      Après quelques moments de silence il demanda au capitaine: – Quel est cet homme, ce flibustier qu’on appelle l’Ouragan?

      – Un mulâtre de Saint-Domingue, dit-on, reprit maître Daniel, l’un des plus déterminés flibustiers des Antilles; il est venu habiter la Martinique depuis deux ans, dans une maison isolée, où il vit maintenant en bourgeois; on dit qu’il se servait, lorsqu’il faisait sa course, de pirogues à soupape.

      – Qu’est-ce qu’une pirogue à soupape? demanda le chevalier.

      – C’est une grande embarcation, noire, longue et mince comme un serpent; au fond de son arrière, près du gouvernail, il y a une large soupape qui s’ouvre à volonté. Dès qu’un navire était en vue, on dit que l’Ouragan s’embarquait dans une pareille pirogue avec une cinquantaine de flibustiers armés de coutelas et de pistolets, voilà tout; la pirogue marchait à rames, parce qu’en se privant de voiles elle pouvait s’approcher plus près de l’ennemi sans être aperçue; la pirogue piquait donc droit au navire: si ledit navire se défiait et se défendait, son artillerie n’avait guère de prise sur l’avant de la pirogue, avant étroit et tranchant comme le coupant d’une hache: quant à la mousqueterie de l’ennemi, l’Ouragan n’y croyait pas, dit-on. Lorsqu’il abordait le navire qu’il voulait enlever, l’Ouragan, qui gouvernait toujours, ouvrait sa soupape; l’embarcation commençait à couler à fond par l’arrière, ce qui obligeait nécessairement les plus engourdis à s’élancer sur le pont du bâtiment ennemi afin d’échapper à la noyade; une fois à l’abordage, les flibustiers poignardaient tout ce qui résistait et jetaient à la mer tout ce qui ne résistait pas; l’Ouragan conduisait sa prise à Saint-Thomas, où il vendait l’huître et sa coquille (c’est ainsi que les pirates appellent le bâtiment et ses marchandises), et il partageait l’argent avec ses compagnons. Quand il n’avait plus le sou, l’Ouragan faisait construire une nouvelle pirogue à soupape, la faisait bénir par un prêtre et recommençait sa course; on dit que quand il est en bonne humeur, il calcule avec la Barbe-Bleue le nombre des Espagnols et des Anglais qu’il a tués ou noyés, lui et ses flibustiers; il dit que cela ne va pas loin de trois à quatre mille. Voilà ce que c’est que l’Ouragan, mon gentilhomme.

      – Et vous croyez que ce matamore n’est pas indifférent à la Barbe-Bleue? demanda négligemment le chevalier.

      – On dit que tout le temps que l’Ouragan ne passe pas chez lui, il le passe au Morne-au-Diable.

      – Cela prouve au moins que la Barbe-Bleue n’aime guère les Céladons de Bergerades, dit le chevalier. Ah çà! mais le boucanier?

      – Ma foi, s’écria un passager, je ne sais si je n’aimerais pas mieux encore avoir pour ennemi l’Ouragan que le boucanier Arrache-l’Ame!

      – Peste! voilà du moins un nom qui promet, dit Croustillac.

      – Et qui tient, dit le passager, car le boucanier, je l’ai vu…

      – Et il est… terrible?

      – Il est au moins aussi farouche que les sangliers ou les taureaux qu’il chasse. Je puis vous en parler. Il y a un an environ, je suis allé à son boucan de la grande Tari, au nord de la Martinique, lui acheter des peaux de bœufs sauvages; il était tout seul avec sa meute de vingt chiens courants, qui avaient l’air aussi méchants et aussi sauvages que lui; quand je suis arrivé il se frottait le visage avec de l’huile de palmes, car il n’y avait pas un seul endroit de sa figure qui ne fût bleu, jaune, violet et pourpre.

      – J’y suis, dit le chevalier, les nuances irisées d’un coup de poing sur l’œil, mais… en grand.

      – Juste, mon gentilhomme. Je lui demandai ce qu’il avait; voici ce qu’il me raconta: «Mes chiens, menés par mon engagé2, me dit-il, avaient lancé un taureau de deux ans; il me passe, je lui envoie une balle à l’épaule; il bondit dans un hallier; mes chiens arrivent, il fait tête et m’en découd deux. Pendant que je rechargeais en double, mon engagé arrive, tire et manque le taureau. Mon garçon se voyant désarmé, veut couper le jarret du taureau, mais le taureau l’éventre et le foule aux pieds. Placé comme j’étais, je ne pouvais tirer l’animal, de peur d’achever mon engagé; je prends mon grand couteau de boucan et je me jette entre eux deux; je reçois un coup de corne qui m’ouvre la cuisse; un second me casse ce bras-là (il me montre son bras gauche qui, en effet, était serré contre son corps avec une liane); le taureau continue de me charger; comme il ne me restait que la main droite de bonne, je prends mon temps, et au moment où l’animal baisse la tête pour me découdre, je le saisis aux cornes, je l’abaisse à ma portée, je lui saute aux lèvres avec mes dents, et je ne démords pas plus qu’un boule-dogue anglais, pendant que mes chiens lui travaillaient les côtes.»

      – Mais c’est une vraie mâchoire que cet homme-là? dit dédaigneusement Croustillac. S’il n’a pas d’autres moyens de plaire, mordioux! je plains sa maîtresse…

      – Je vous disais bien que c’était une espèce d’animal sauvage, reprit le narrateur; mais je continue mon récit: «Une fois mordu aux lèvres, ajouta le boucanier, un taureau est bien bas. Au bout de cinq minutes, épuisé par la perte du sang, car mes СКАЧАТЬ



<p>2</p>

Apprenti boucanier.