Histoire de ma Vie, Livre 1 (Vol. 1 – 4). Жорж Санд
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Читать онлайн книгу Histoire de ma Vie, Livre 1 (Vol. 1 – 4) - Жорж Санд страница 16

СКАЧАТЬ on écoute attentivement avec le cœur qui bondit dans la poitrine et le sang qui vous tinte dans les oreilles, il y a un moment où l'on n'entend plus rien. Le pauvre Deschartres reste pétrifié, immobile; car, ou l'on monte l'escalier de l'entresol, ou il a le cauchemar; et ce n'est pas Nérina, ce sont des pas humains. On approche avec précaution; Deschartres s'était muni d'un pistolet, il l'arme, il va droit à la porte du petit escalier... mais il laisse retomber son bras déjà élevé à hauteur d'homme, car celui qui vient le rejoindre, c'est mon père, c'est Maurice, son élève chéri.

      L'enfant, auquel il a vainement caché son projet, l'a deviné, épié; il vient l'aider. Deschartres, épouvanté de lui voir partager un péril effroyable, veut parler, le renvoyer. Maurice lui pose sa main sur la bouche. Deschartres comprend que le moindre bruit, un mot échangé, peuvent les perdre l'un et l'autre, et la contenance de l'enfant lui prouve bien d'ailleurs qu'il ne cédera pas.

      Alors tous deux, dans le plus complet silence, se mettent à l'œuvre. L'examen des papiers continue et marche rapidement; on brûle à mesure; mais quoi! quatre heures sonnent: il faudra plus d'une heure pour refermer les portes et replacer les scellés. La moitié de la besogne n'est pas faite, et à cinq heures le citoyen Leblanc est invariablement debout.

      Il n'y a pas à hésiter. Maurice fait comprendre à son ami, par signes, qu'il faudra revenir la nuit suivante. D'ailleurs cette malheureuse petite Nérina, qu'il a eu soin d'enfermer dans sa chambre, et qui s'ennuie d'être seule, commence à gémir et à hurler. On referme tout, on laisse les scellés brisés dans l'intérieur, et on se contente de réparer celui de l'entrée principale qui donne sur le grand escalier. Mon père tient la bougie et présente la cire. Deschartres, qui a pris l'empreinte des cachets, se tire de l'opération avec la prestesse et la dextérité d'un homme qui a fait des opérations chirurgicales autrement délicates. Ils rentrent chez eux et se recouchent tranquilles pour eux-mêmes, mais non pas rassurés sur le succès de leur entreprise; car on peut venir dans la journée pour lever les scellés à l'improviste, et tout est resté en désordre dans l'appartement. D'ailleurs les principales pièces de culpabilité n'ont pas encore été retrouvées et anéanties.

      Heureusement cette terrible journée d'attente s'écoula sans catastrophe. Mon père porta Nérina chez un ami, Deschartres acheta pour mon père des pantoufles de lisière, graissa les portes de leur appartement, mit en ordre ses instrumens, et n'essaya pas de changer l'héroïque résolution de son élève. Lorsqu'il me racontait cette histoire, vingt-cinq ans plus tard: «Je savais bien, disait-il, que si nous étions surpris, Mme Dupin ne me pardonnerait jamais d'avoir laissé son fils se précipiter dans un pareil danger: mais avais-je le droit d'empêcher un bon fils d'exposer sa vie pour sauver celle de sa mère? Cela eût été contraire à tout principe de saine éducation, et j'étais gouverneur avant tout».

      La nuit suivante ils eurent plus de temps. Les gardiens se couchèrent de meilleure heure: ils purent commencer leurs opérations une heure plus tôt. Les papiers furent retrouvés et réduits en cendre, puis on rassembla ces cendres légères dans une boîte que l'on referma avec soin et que l'on emporta pour la faire disparaître le lendemain. Tous les cartons visités et purgés, on brisa plusieurs bijoux et cachets armoriés: on enleva même des écussons sur la couverture des livres de luxe. Enfin, la besogne terminée, tous les scellés furent replacés, les empreintes restituées en perfection; les bandes de papier reparurent intactes, les portes furent refermées sans bruit, et les deux complices, après avoir accompli une action généreuse avec tout le mystère et toute l'émotion qui accompagnent la perpétration des crimes, se retirèrent dans leur appartement à l'heure voulue. Là, ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre, et, sans se rien dire, mêlèrent des larmes de joie. Ils croyaient avoir sauvé ma grand'mère; mais ils devaient vivre encore longtemps sous le coup de l'épouvante; car sa détention se prolongea jusqu'après la catastrophe du 9 thermidor, et, jusque-là, les tribunaux révolutionnaires devinrent chaque jour plus ombrageux et plus terribles.

      Le 16 nivose, c'est-à-dire environ un mois après, Mme Dupin fut extraite de la maison d'arrêt et amenée dans son appartement sous la garde du citoyen Philidor, commissaire fort humain et qui se montra de plus en plus disposé en sa faveur. Le procès-verbal, rédigé sous ses yeux et signé de lui, atteste que les scellés furent retrouvés intacts. Le citoyen portier n'y eût pas mis de complaisance, donc il est à croire qu'aucun indice ne trahit l'effraction.

      Que je dise en passant, car je ne veux point oublier cela, que le brave Deschartres ne m'a jamais raconté cette histoire que pressé par mes questions; et encore la racontait-il assez mal, et n'ai-je jamais bien su les détails que par ma grand'mère. Pourtant je n'ai jamais connu de narrateur plus prolixe, plus pointilleux, plus pédant, plus vain de son rôle dans les petites choses, et plus complaisant à se faire écouter que cet honnête homme. Il ne se faisait point faute de raconter chaque soir une série d'anecdotes et de traits de sa vie que je connaissais si bien, que je le reprenais quand il se trompait d'un mot. Mais il était comme ceux de sa trempe, qui ne savent point par où ils sont grands: et, quand il s'agissait de montrer les côtés héroïques de son caractère, lui qui avait pour des puérilités des prétentions vraiment burlesques, il était aussi naïf qu'un enfant, aussi humble qu'un vrai chrétien.

      Ma grand'mère n'avait été extraite de la prison que pour assister à la levée des scellés et à l'examen de ses papiers. On n'y trouva, bien entendu, rien de contraire aux intérêts de la république, bien que cet examen durât neuf heures. Ce fut un jour de joie pour elle et pour son fils, parce qu'ils purent le passer ensemble. Leur mutuelle tendresse toucha beaucoup les commissaires, et surtout Philidor, lequel Philidor était, si j'ai bonne mémoire, un ex-perruquier, très bon patriote et honnête homme. Il prit surtout mon père en grande amitié et ne cessa de faire des démarches pour que ma grand'mère fût mise en jugement, avec l'espoir qu'elle serait acquittée. Mais ses démarches n'eurent de succès qu'à l'époque de la réaction.

      Le soir du 16 nivose, il reconduisit sa prisonnière aux Anglaises, et elle y resta jusqu'au 4 fructidor (22 août 1794). Pendant quelque temps, mon père put voir sa mère un instant chaque jour au parloir des Anglaises. Il attendait ce bienheureux instant dans le cloître, par un froid glacial, et Dieu sait qu'il fait froid dans ce cloître, que j'ai arpenté dans tous les sens durant trois ans de ma vie, car j'ai été élevée dans ce même couvent. Il l'attendait souvent durant plusieurs heures, vu que, dans les commencemens surtout, les consignes changeaient chaque jour selon le caprice des concierges, et peut-être suivant le vœu du gouvernement révolutionnaire, qui craignait les communications trop fréquentes et trop faciles entre les détenus et leurs parens. En d'autres temps, l'enfant mince et débile eût pris là une fluxion de poitrine. Mais les vives émotions nous font une autre santé, une autre organisation. Il n'eut pas seulement un rhume, et apprit bien vite à ne plus s'écouter, à ne plus se plaindre à sa mère de ses petites souffrances et de ses moindres contrariétés, comme il avait eu coutume de le faire. Il devint tout d'un coup ce qu'il devait être toujours, et l'enfant gâté disparut pour ne plus reparaître. Lorsqu'il voyait arriver à la grille sa pauvre mère toute pâle, toute effrayée du temps qu'il avait passé à l'attendre, toute prête à fondre en larmes en touchant ses mains froides, et à le conjurer de ne plus venir plutôt que de s'exposer à ces souffrances, il était honteux de la mollesse dans laquelle il s'était laissé bercer; il se reprochait d'avoir consenti à ce développement extrême de sollicitude, et, connaissant enfin par lui-même ce que c'est que de trembler et de souffrir pour ce qu'on aime, il niait qu'il eût attendu, il assurait qu'il n'avait pas eu froid, et, par un effort de sa volonté, il arrivait réellement à ne plus sentir le froid.

      Ses études étaient bien interrompues; il n'était plus question de maîtres de musique, de danse et d'escrime. Le bon Deschartres lui-même, qui aimait tant à enseigner, n'avait pas plus le cœur à donner ses leçons que l'élève à les prendre; mais cette éducation-là en valait bien une autre, et le temps qui formait le cœur et la conscience de l'homme n'était pas perdu pour СКАЧАТЬ