Название: Les beaux messieurs de Bois-Doré
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– S'il en est ainsi, monsieur, je veux garder tout cela chèrement, et en faire un trophée d'honneur dans quelque salle du château.
– Non, Adamas, on se moquerait de nous. Et, puisque voici venir ce bel enfant, il lui faut donner le chien d'étoupe et le reste; car ce qui vient d'un ange doit retourner à un autre ange, et je vois dans les yeux de ce Mario l'innocence et l'amitié qu'il y avait dans ceux de mon jeune frère… Oui, c'est chose certaine! continua le marquis en regardant entrer Mario et Mercédès, conduits par le page Clindor; si Florimond eût eu un fils, il eût été en tout semblable à ce garçonnet, et, si tu veux que je te dise pourquoi il m'a plu à première vue, c'est parce qu'il me remet en mémoire, non point tant par ses traits que par son air, sa voix douce et ses manières caressantes, mon frère tel qu'il était vers l'âge où voici cet orphelin.
– Monsieur votre frère ne s'est jamais marié, dit Adamas, qui avait l'esprit encore plus romanesque que son maître; mais il peut bien avoir eu des bâtards, et qui sait si…?
– Non, non, mon ami, ne rêvons point! J'ai bien eu une autre songerie, tandis que cette Morisque nous racontait l'histoire du gentilhomme assassiné! Ne me suis-je point imaginé que ce pouvait être mon pauvre frère?
– Eh bien, au fait, monsieur, pourquoi ne le serait-ce point, puisque nul ne sait comment il a péri?
– Ce ne l'est point, répondit le marquis, et la raison, c'est que le père de ce petit Mario a été défait quatre jours avant la mort de notre bon roi Henri, tandis que j'ai une dernière lettre de mon frère, datée de Gênes, le seizième jour de juin, c'est-à-dire environ un mois après que ces choses se furent passées. Donc, il n'y a point de rapprochement à faire.
XVIII
Pendant que le marquis et Adamas échangeaient ces réflexions, la Morisque s'était préparée à chanter, et Lucilio était arrivé pour l'entendre.
Le marquis goûta si fort sa manière, qu'il pria Lucilio de lui noter ses airs. Lucilio les prisa encore davantage, comme étant, disait-il, «choses rares et antiques, d'une grande perfection de beauté.»
Mercédès les disait de mieux en mieux à mesure qu'on l'encourageait, et Mario l'accompagnait très-bien.
D'ailleurs, il était si joli avec sa longue guitare, son air sage, sa bouche entr'ouverte et ses beaux cheveux ondés sur ses épaules, qu'on ne pouvait se lasser de le regarder. Son habillement, composé d'une grosse chemise blanche, de courtes braies de laine brune, avec une ceinture rouge et des chausses grises avec des brides de laine rouge enroulées autour de la jambe, était très-favorable à la grâce de son corps et à l'élégance de ses formes délicates.
Il reçut avec éblouissement tous les jouets que l'on alla chercher au grenier, et le marquis vit avec plaisir qu'ayant admiré toutes ces merveilles, il les rangea en un coin avec une sorte de respect.
Le fait est que tout cela ne lui disait pas grand'chose, et que, la surprise passée, il se mit à repenser à Fleurial, qui était vivant, joueur et caressant, et qui eût pu le suivre dans sa vie errante, tandis que la possession des chevaux, des canons et des citadelles n'était que le rêve d'un instant, dans cette vie de misère et de passage.
Le reste de la journée s'écoula sans nouvel orage de la part de M. d'Alvimar.
Il revit M. Poulain, et lui dit qu'il était décidé à entamer le siège de la gentille Lauriane.
À souper, il fit de son mieux pour n'avoir pas un ennemi, ou tout au moins un contradicteur auprès d'elle, dans la personne du marquis, et il parvint encore à se faire trouver aimable. Il ne rencontra, dans la maison, ni la Morisque ni l'enfant, n'entendit plus parler d'eux, et se retira de bonne heure pour rêver à ses projets.
Toute la suite du marquis fut aise de garder Mario quelques jours; ainsi l'annonçait Adamas. Celui-ci le fit manger, ainsi que sa mère, à la seconde table, celle où il mangeait lui-même en qualité de valet de chambre, avec maître Jovelin, que Bois-Doré faisait, à dessein, passer pour un subalterne, la gouvernante Bellinde et le page Clindor.
Le carrosseux et les autres valets mangeaient à d'autres heures et dans un autre local. C'était la troisième table.
Il y en avait une quatrième pour les gens de la ferme, les passants, les pauvres voyageurs, les moines besaciers; en sorte que, de l'aube à la grand'nuit, c'est-à-dire huit à neuf heures du soir, on mangeait au manoir de Briantes, et l'on voyait fumer sans relâche quelque cheminée à odeur grasse qui attirait de loin des volées de gamins et de mendiants. Ceux-ci recevaient toujours bonne pitance de reliefs à la grand'porte, et dressaient la cinquième table sur le gazon de l'avenue, ou sur les revers des fossés.
Malgré cette large hospitalité et ce nombreux personnel, qui n'étaient point en rapport avec l'exiguité du manoir, le revenu du marquis faisait face à tout, et il avait toujours de l'argent de reste pour ses innocentes fantaisies.
Il n'était guère volé, bien qu'il ne s'occupât d'aucune comptabilité; Adamas et Bellinde se détestant, ils se surveillaient l'un et l'autre, et, quoique Bellinde ne fût pas femme à se priver d'un peu de pillage, la crainte de donner prise aux soupçons de son ennemi la rendait prudente et forcément modérée à l'article des profits. Largement payée et toujours magnifiquement habillée aux frais du châtelain, qui tenait à ne voir «chiffons ni crasse» autour de lui, elle n'avait certes pas de prétexte pour malverser; mais elle ne s'en plaignait pas moins, étant de celles qui chérissent un sou volé et dédaignent un louis bien acquis.
Quant à Adamas, s'il n'était pas la probité même dans toutes ses relations (ayant fait la guerre et pris les mœurs des partisans), il aimait tellement son maître, que si, dans le poste éminent d'homme de confiance où il était parvenu, il eût encore osé piller et rançonner les gens du dehors, c'eût été uniquement pour enrichir le manoir de Briantes.
Clindor faisait cause commune avec lui contre la Bellinde, qui le haïssai et le traitait de chien habillé.
C'était un bon petit garçon, moitié fin et moitié sot, ne sachant encore s'il devait se draper en homme du tiers, titre qui prenait chaque jour plus d'importance réelle, ou se blasonner en futur gentilhomme, vanité qui devait encore longtemps retenir le tiers dans une attitude équivoque et lui faire jouer, en dépit de sa supériorité intellectuelle, un rôle de dupe entre les partis.
Le secret de l'origine de la Morisque fut gardé. Pour ne pas l'exposer à l'intolérance soupçonneuse de la Bellinde, qui faisait de grands semblants de dévotion, Adamas la fit passer pour Espagnole, purement et simplement.
Pas un mot de son histoire ne transpira, non plus que de celle de Mario.
– Monsieur le marquis, dit Adamas à son maître en le déshabillant, nous sommes des enfants et nous n'entendons rien à l'artifice de la toilette. Cette Morisque, avec qui j'ai causé de choses sérieuses à la veillée, m'en a plus appris dans une heure que tous vos accommodeurs de Paris n'en savent. Elle a les plus beaux secrets sur toutes choses, et sait extraire des plantes des sucs miraculeux.
– C'est bon, c'est bon, Adamas! parle-moi d'autre chose. Récite-moi quelque poésie en faisant ma barbe, car je me sens triste, et je dirais volontiers comme M. d'Urfé, parlant d'Astrée, que «le rengrégement de mes ennuis trouble le repos de mon estomac et le respirer de ma vie.»
– Numes СКАЧАТЬ