CAMBRIDGE. – Moi, milord. Votre Majesté m'a enjoint de la demander aujourd'hui.
SCROOP. – Vous m'avez enjoint la même chose, mon souverain.
GREY. – Et à moi aussi, mon digne souverain.
LE ROI. – Tenez, Richard, comte de Cambridge, voilà votre commission. – Voici la vôtre, lord Scroop de Marsham. – Et vous, chevalier Grey de Northumberland, recevez aussi la vôtre. (Il leur donne à chacun un écrit contenant l'exposé de leur crime.) Lisez-la, et apprenez que je connais tout votre mérite. – Mon oncle Exeter, nous nous embarquerons cette nuit. – Quoi! qu'avez-vous donc, milords? Que voyez-vous dans ces écrits qui puisse vous faire ainsi changer de couleur? – Ciel! quel trouble se peint sur leurs visages! Leurs joues sont de la couleur du papier. Eh bien! que lisez-vous donc qui vous fait ainsi trembler et chasse la couleur de vos joues?
CAMBRIDGE. – Je confesse mon crime, et je me livre à la merci de Votre Majesté.
GREY ET SCROOP, ensemble. – C'est à votre clémence que nous avons recours.
LE ROI. – La clémence vivait dans mon coeur, mais vos conseils l'ont étouffée, l'ont assassinée: c'est une honte à vous d'oser parler de clémence! Vos propres arguments se tournent contre vous comme un dogue furieux contre de son maître, pour le déchirer. – Voyez-vous, mes princes, et vous, mes nobles pairs, ces monstres anglais? Le lord Cambridge, que voilà… vous savez combien mon amitié était empressée à le combler de tous les dons qui pouvaient l'honorer; eh bien, cet homme, pour quelques viles couronnes, a lâchement comploté, a juré aux agents clandestins de la France, de nous assassiner ici même à Hampton: et ce chevalier… qui ne devait pas moins que Cambridge à mes bontés, a fait le même serment. – Mais que te dirai-je à toi, lord Scroop? Toi, cruelle, ingrate, sauvage et inhumaine créature! toi, qui tenais la clef de mes conseils les plus secrets; toi, qui connaissais le fond de mon coeur; toi, qui aurais pu monnayer en or ma propre personne, si tu avais entrepris de m'employer pour cet usage dans ton intérêt, est-il possible qu'un vil salaire de l'étranger ait tiré de ton sein une étincelle de trahison seulement assez pour offenser mon petit doigt? Ta conduite est si étrange pour moi, que, malgré l'évidence de ton crime, aussi claire que l'est la différence du blanc et du noir, mon oeil a peine encore à se persuader qu'il le voit. La trahison et le meurtre se tiennent toujours ensemble, comme deux démons dévoués l'un à l'autre, attachés au même joug, et travaillant si bassement à un résultat naturel qu'on n'en éprouve point d'étonnement: mais toi, tu excites la surprise en offrant la trahison et le meurtre unis en toi contre nature! Quel que soit le démon artificieux qui ait fait naître en toi cette monstruosité, il doit avoir enlevé tous les suffrages de l'enfer. Les autres démons qui suggèrent des trahisons ne sont que des manoeuvres grossiers et subalternes, qui ne travaillent en damnation qu'à l'aide de prétextes, de faux-semblants de vertu; mais celui qui a si bien manié ton âme n'a fait que te commander la révolte, sans te donner d'autre motif pour t'engager à la trahison que l'honneur de te revêtir du nom de traître. Ce démon qui t'a suborné pourrait parcourir fièrement l'univers, et rentrant dans le fond du Tartare, dire aux légions infernales: «Non, jamais je ne pourrai gagner une âme aussi facilement que j'ai gagné celle de cet Anglais.» – Oh! de quels soupçons tu as empoisonné la douceur de la confiance! Est-il des hommes qui paraissent attachés à leur devoir? tu le paraissais aussi. Sont-ils graves et savants? tu le paraissais aussi. Sont-ils sortis d'une famille illustre? tu le paraissais aussi. Sont-ils sobres dans leur vie, exempts des passions grossières, de la folle joie, de la colère, montrant une âme constante, que ne domine jamais la fougue du sang, toujours décents et modestes, accomplis en tout point, ne se déterminant jamais sur le seul témoignage des yeux, sans qu'il fût confirmé par celui des oreilles, et ne se fiant à tous deux qu'après l'examen d'un jugement épuré? tu semblais aussi parfaitement doué. Aussi ta chute laisse-t-elle une sorte de tache, qui s'étend sur l'homme le plus parfait, et le ternit de quelque soupçon. Je pleurerai sur toi; car il me semble que cette trahison est comme une seconde chute de l'homme. – (À Exeter.) Leurs crimes sont manifestes: arrêtez-les, pour qu'ils en répondent aux lois: et que Dieu veuille les absoudre de la peine due à leurs complots!
EXETER. – Je t'arrête pour crime de haute trahison, sous le nom de Richard, comte de Cambridge. Je t'arrête pour crime de haute trahison, sous le nom de Henri, lord Scroop de Marsham. Je t'arrête pour crime de haute trahison, sous le nom de Thomas Grey, chevalier de Northumberland.
SCROOP. – C'est avec justice que Dieu a dévoilé nos desseins. Je suis moins affligé de ma mort que de ma faute, et je conjure Votre Majesté de me la pardonner encore, quoique je la paye de ma vie.
CAMBRIDGE. – Pour moi… ce n'est pas l'or de la France qui m'a séduit, quoique je l'aie accepté comme un motif apparent, pour hâter l'exécution de mes desseins: mais je rends grâces au ciel qui les a prévenus, et c'est pour moi un sentiment de joie sincère, qui me consolera au milieu même de mon supplice. Je prie Dieu et vous, mon roi, de me pardonner.
GREY. – Jamais sujet fidèle ne vit avec plus d'allégresse la découverte d'une trahison dangereuse, que je n'en ressens moi-même en cet instant, en me voyant préservé d'un attentat exécrable. Mon souverain, pardonnez-moi ma faute 11 sans épargner ma vie.
LE ROI. – Que Dieu vous pardonne dans sa miséricorde! Écoutez votre arrêt. Vous avez conspiré contre notre royale personne, vous vous êtes ligués avec un ennemi déclaré, et vous avez reçu l'or de ses coffres pour salaire de notre mort; et par ce crime, vous consentiez à vendre votre roi au meurtre, ses princes et ses pairs à la servitude, ses sujets à l'oppression et au mépris, et tout son royaume à la dévastation. Quant à notre personne nous ne demandons point de vengeance, mais c'est un devoir pour nous de songer à la sûreté de notre royaume, dont vous avez tous trois cherché la ruine, et nous sommes forcé de vous livrer à ses lois. Sortez de ces lieux, coupables et malheureuses victimes, et allez à la mort. Dieu veuille, dans sa clémence, vous accorder la force d'en subir l'amertume avec patience, et le repentir sincère de votre énorme forfait! Qu'on les emmène. (On les entraîne.) Maintenant, lords, en France! Cette entreprise vous promet, comme à nous, une gloire éclatante. Nous ne doutons plus de l'heureux succès de cette guerre. Puisque Dieu a daigné, dans sa bonté, mettre en lumière cette fatale trahison, qui s'était cachée sur notre route, pour nous arrêter à l'entrée de notre carrière, nous devons croire à présent que tous les obstacles s'aplaniront devant nous. Ainsi en avant chers compatriotes: remettons nos forces entre les mains du Tout-Puissant, et ne différons plus l'expédition. Allons gaiement à bord: que les étendards de la guerre se déploient et s'avancent. Plus de roi d'Angleterre, s'il n'est pas aussi roi de France!
SCÈNE III
L'HÔTESSE, à Pistol. – Je t'en prie, mon coeur, mon cher petit mari, souffre que je te ramène à Staines.
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11
Un des conspirateurs contre la reine Élisabeth finit la lettre qu'il lui adressa par ces mots: