Название: La San-Felice, Tome 03
Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Vous êtes homme d'esprit, monsieur André; ce n'est point d'aujourd'hui que je m'en aperçois, croyez-le, et vous pourriez être invité à la table de tous les rois de la terre, si l'esprit suffisait à ouvrir les portes des châteaux royaux. Vous avez comparé votre père à Samuel Bernard, monsieur André; moi qui connais son inattaquable probité et sa largeur en affaires, j'accepte pour mon compte la comparaison. Samuel Bernard était un noble coeur, qui non-seulement sous Louis XIV, mais encore sous Louis XV, a rendu de grands services à la France. Eh bien, qu'avez-vous à me regarder ainsi?
– Je ne vous regarde pas, madame, je vous admire.
– Et pourquoi?
– Parce que je pense que vous êtes probablement la seule femme à Naples qui sache ce que c'est que Samuel Bernard et qui ait le talent de faire un compliment à un homme qui reconnaît le premier qu'ayant une simple visite à vous faire, il se présente à vous dans un accoutrement ridicule.
– Faut-il que je vous fasse mes excuses, monsieur André? Je suis prête.
– Oh! non, madame, non! Le sarcasme lui-même, en passant par votre bouche, deviendrait une charmante causerie, que l'homme le plus vaniteux voudrait prolonger, fût-ce aux dépens de son amour-propre.
– En vérité, monsieur André, répliqua Luisa, vous commencez à m'embarrasser, et je me hâte, pour sortir d'embarras, de vous demander s'il existe une nouvelle route qui passe par Mergellina pour aller à Caserte.
– Non; mais, ne devant être à Caserte qu'à deux heures, j'ai cru, madame, que j'aurais le temps de vous parler d'une affaire qui se rattache justement à ce voyage de Caserte.
– Ah! mon Dieu, cher monsieur André, vous ne voudriez pas, je le présume, profiter de votre faveur pour me faire nommer dame d'honneur de la reine? Je vous préviens d'avance que je refuserais.
– Dieu m'en garde! Quoique serviteur dévoué de la famille royale et prêt à donner ma vie, et je vais vous parler en banquier, plus que ma vie, mon argent pour elle, je sais qu'il est des âmes pures qui doivent se tenir éloignées de régions où l'on respire une certaine atmosphère… de même que les santés qui veulent rester intactes doivent s'éloigner des miasmes des marais Pontins et des vapeurs du lac d'Agnano; mais l'or, qui est un métal inaltérable, peut se montrer là où hésiterait à se risquer le cristal, plus facile à ternir. Notre maison engage une grande affaire avec le roi, madame; le roi nous fait l'honneur de nous emprunter vingt-cinq millions, garantis par l'Angleterre; c'est une affaire sûre, dans laquelle l'argent placé peut rapporter sept et huit, au lieu de quatre ou cinq pour cent; vous avez un demi-million placé chez nous, madame; on va s'empresser de nous demander des coupons de cet emprunt dans lequel notre maison entre personnellement pour huit millions; je viens donc vous demander, avant que nous rendions l'affaire publique, si vous désirez que nous vous y fassions participer.
– Cher monsieur Backer, je vous suis on ne peut plus obligée de la démarche, répliqua Luisa; mais vous savez que les affaires, et surtout les affaires d'argent, ne me regardent point, qu'elles regardent seulement le chevalier; or, à cette heure, le chevalier, vous connaissez ses habitudes, cause très-probablement du haut de son échelle avec Son Altesse royale le prince de Calabre; c'était donc à la bibliothèque du palais qu'il fallait aller si vous vouliez le rencontrer et non ici; d'ailleurs, la présence de l'héritier de la couronne eût, infiniment mieux que la mienne, utilisé votre habit de cérémonie.
– Vous êtes cruel, madame, pour un homme qui, ayant si rarement l'occasion de vous présenter ses hommages, saisit avec avidité cette occasion quand elle se présente.
– Je croyais, répliqua Luisa du ton le plus naïf, que le chevalier vous avait dit, monsieur Backer, que nous étions toujours et particulièrement les jeudis à la maison, de six à dix heures du soir. S'il l'avait oublié, je m'empresse de vous le dire en son lieu et place; si vous l'avez oublié seulement, je vous le rappelle.
– Oh! madame! madame! balbutia André, si vous l'eussiez voulu, vous eussiez rendu bien heureux un homme qui vous aimait et qui est forcé de vous adorer seulement.
Luisa le regarda de son grand oeil noir, calme et limpide comme un diamant de Nigritie; puis, allant à lui et lui tendant la main:
– Monsieur Backer, lui dit-elle, vous m'avez fait l'honneur de demander à Luisa Molina la main que la chevalière San-Felice vous tend; si je permettais que vous la serrassiez à un autre titre que celui d'ami, vous vous seriez trompé sur moi et vous seriez adressé à une femme qui n'eût point été digne de vous; ce n'est point un caprice d'un instant qui m'a fait vous préférer le chevalier, qui a près de trois fois mon âge et de deux fois le vôtre; c'est le profond sentiment de reconnaissance filiale que je lui avais voué; ce qu'il était pour moi il y a deux ans, il l'est encore aujourd'hui; restez de votre côté ce que le chevalier, qui vous estime, vous a offert d'être, c'est-à-dire mon ami, et prouvez-moi que vous êtes digne de cette amitié en ne me rappelant jamais une circonstance où j'ai été forcée de blesser, par un refus qui n'avait rien de fâcheux cependant, un noble coeur qui ne doit garder ni rancune ni espoir.
Puis, avec une révérence pleine de dignité:
– Le chevalier aura l'honneur de passer chez monsieur votre père, lui dit-elle, et de lui donner une réponse.
– Si vous ne permettez ni que l'on vous aime ni que l'on vous adore, répondit le jeune homme, vous ne pouvez empêcher du moins que l'on ne vous admire.
Et, saluant à son tour avec les marques du plus profond respect, il se retira en étouffant un soupir.
Quant à Luisa, sans penser dans sa bonne foi juvénile qu'elle démentait peut-être, par l'action, la morale qu'elle venait de prêcher, à peine entendit-elle la porte de la rue se refermer sur André Backer et sa voiture s'éloigner, qu'elle s'élança par le corridor et regagna la chambre du blessé, avec la promptitude et presque la légèreté de l'oiseau qui revient à son nid.
Son premier regard, en entrant dans la chambre, fut naturellement pour Salvato.
Il était très-pâle, il avait les yeux fermés, et son visage, rigide comme le marbre, avait pris l'expression d'une vive douleur.
Inquiète, Luisa courut à lui, et, comme à son approche il n'ouvrait pas les yeux, quoique ce fût son habitude:
– Dormez-vous, mon ami? lui demanda-t-elle en français, ou, continua-t-elle avec une voix à l'anxiété de laquelle il n'y avait point à se méprendre, ou seriez-vous évanoui?
– Je ne dors pas, je ne suis pas évanoui; tranquillisez-vous, madame, dit Salvato en entr'ouvrant les yeux, mais sans regarder Luisa.
– Madame! répéta Luisa étonnée, madame!
– Seulement, reprit le jeune homme, je souffre.
– De quoi?
– De СКАЧАТЬ