Название: Les compagnons de Jéhu
Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Ah çà! demanda sir John, vous n'êtes donc pas républicain?
– Moi, pas républicain? allons donc! je me crois un excellent républicain, au contraire, et je suis capable de me laisser brûler le poignet comme Mucius Scévola, ou de me jeter dans un gouffre comme Curtius, pour sauver la république; mais j'ai le malheur d'avoir l'esprit trop bien fait: le ridicule me prend malgré moi aux côtes et me chatouille à me faire crever de rire. J'accepte volontiers la constitution de 1791; mais, quand le pauvre Hérault de Séchelles écrivait au directeur de la bibliothèque nationale de lui envoyer les lois de Minos afin qu'il pût faire une constitution sur le modèle de celle de l'île de Crête, je trouvais que c'était aller chercher un modèle un peu loin et que nous pouvions nous contenter de celle de Lycurgue. Je trouve que janvier, février et mars, tout mythologiques qu'ils étaient, valaient bien nivôse, pluviôse et ventôse. Je ne comprends pas pourquoi, lorsqu'on s'appelait Antoine ou Chrysostome en 1789, on s'appelle Brutus ou Cassius en 1793. Ainsi, tenez, milord, voilà une honnête rue qui s'appelait la rue des Halles; cela n'avait rien d'indécent, ni d'aristocrate, n'est-ce pas? Eh bien, elle s'appelle aujourd'hui… attendez (Roland regarda l'inscription): elle s'appelle aujourd'hui la _rue de la Révolution. _En voilà une autre qui s'appelait la rue Notre-Dame et qui s'appelle la _rue du Temple. _Pourquoi la rue du Temple? Pour éterniser probablement le souvenir de l'endroit où l'infâme Simon a essayé d'apprendre l'état de savetier à l'héritier de soixante-trois rois: je me trompe d'un ou deux, ne me faites pas une querelle pour cela. Enfin, voyez cette troisième: elle s'appelait la rue Crèvecoeur, un nom illustre en Bresse, en Bourgogne et dans les Flandres; elle s'appelle la rue de la Fédération. La Fédération est une belle chose, mais Crèvecoeur était un beau nom. Et puis, voyez-vous, elle conduit tout droit aujourd'hui à la place de la Guillotine; ce qui est un tort, à mon avis. Je voudrais qu'il n'y eût point de rues pour conduire à ces places-là. Celle-ci a un avantage: elle est à cent pas de la prison; ce qui économisait et ce qui économise même encore une charrette et un cheval à _M. de Bourg. _Remarquez que le bourreau est resté noble, lui. Au surplus, la place est admirablement bien disposée pour les spectateurs, et mon aïeul Montrevel, dont elle porte le nom, a, dans la prévoyance sans doute de sa destination, résolu ce grand problème, encore à résoudre dans les théâtres: c'est qu'on voit bien de partout. Si jamais on m'y coupe la tête, ce qui n'aurait rien d'extraordinaire par les temps où nous vivons, je n'aurais qu'un regret: celui d'être moins bien placé et de voir plus mal que les autres. Là, maintenant montons cette petite rampe; nous voilà sur la place _des Lices. _Nos révolutionnaires lui ont laissé son nom, parce que, selon toute probabilité, ils ne savent pas ce que cela veut dire; je ne le sais guère mieux qu'eux, mais je crois me rappeler qu'un sire d'Estavayer a défié je ne sais quel comte flamand, et que le combat a eu lieu sur cette place. Maintenant, mon cher lord, quant à la prison, c'est un bâtiment qui vous donnera une idée des vicissitudes humaines; Gil Blas n'a pas plus souvent changé d'état que ce monument de destination. Avant l'arrivée de César, c'était un temple gaulois; César en fit une forteresse romaine; un architecte inconnu le transforma en un ouvrage militaire du Moyen-Âge; les sires de Baye, à l'exemple de César, le refirent forteresse. Les princes de Savoie y ont eu une résidence; c'était là que demeurait la tante de Charles Quint quand elle visitait son église de Brou, qu'elle ne devait pas avoir la satisfaction de voir terminée. Enfin, après le traité de Lyon, quand la Bresse fit retour à la France, on en tira à la fois une prison et un palais de justice. Attendez-moi là, milord, si vous n'aimez pas le cri des grilles et le grincement des verrous. J'ai une visite à rendre à certain cachot.
– Le grincement des verrous et le cri des grilles ne sont pas un bruit fort récréatif, mais n'importe! puisque vous voulez bien vous charger de mon éducation, conduisez-moi à votre cachot.
– Eh bien, alors, entrons vite; il me semble que je vois une foule de gens qui ont l'air d'avoir envie de me parler.
Et, en effet, peu à peu une espèce de rumeur semblait se répandre dans la ville; on sortait des maisons, on formait des groupes dans la rue, et ces groupes se montraient Roland avec curiosité.
Roland sonna à la grille située, à cette époque, à l'endroit où elle est encore aujourd'hui, mais s'ouvrant sur le préau de la prison.
Un guichetier vint ouvrir.
– Ah! ah! c'est toujours vous, père Courtois? demanda le jeune homme.
Puis, se retournant vers sir John:
– Un beau nom de geôlier, n'est-ce pas, milord?
Le geôlier regarda le jeune homme avec étonnement.
– Comment se fait-il, demanda-t-il à travers la grille, que vous sachiez mon nom et que je ne sache pas le vôtre?
– Bon! je sais non seulement votre nom, mais encore votre opinion; vous êtes un vieux royaliste, père Courtois!
– Monsieur, dit le geôlier tout effrayé, pas de mauvaises plaisanteries, s'il vous plaît, et dites ce que vous désirez.
– Eh bien, mon brave père Courtois, je désirerais visiter le cachot où l'on a mis ma mère et ma soeur, madame et mademoiselle de Montrevel.
– Ah! s'écria le concierge, comment! c'est vous, monsieur Louis?
Ah bien, vous aviez raison de dire que je ne connaissais que vous.
Savez-vous que vous voilà devenu fièrement beau garçon?
– Vous trouvez, père Courtois? Eh bien, je vous rends la pareille, votre fille Charlotte est, par ma foi, une belle fille.
– Charlotte est la femme de chambre de ma soeur, milord. Et elle
en est bien heureuse; elle se trouve mieux qu'ici, monsieur
Roland, Est-ce vrai que vous êtes aide de camp du général
Bonaparte?
– Hélas! Courtois, j'ai cet honneur. Tu aimerais mieux que je fusse aide de camp de M. le comte d'Artois ou de M. le duc d'Angoulême?
– Mais taisez-vous donc, monsieur Louis!
Puis, s'approchant de loreille du jeune homme:
– Dites donc, fit-il, est-ce que c'est positif?
– Quoi, père Courtois?
– Que le général Bonaparte soit passé hier à Lyon?
– Il paraît qu'il y a quelque chose de vrai dans cette nouvelle, car voilà deux fois que je lentends répéter. Ah! je comprends maintenant ces braves gens qui me regardaient avec curiosité et qui avaient l'air de vouloir me faire des questions. Ils sont comme vous, père Courtois, ils désirent savoir à quoi s'en tenir sur cette arrivée du général Bonaparte.
– Vous ne savez pas ce qu'on dit encore, monsieur Louis!
– On dit donc encore autre chose père Courtois?
– Je crois bien qu'on dit encore autre chose, mais tout bas.
– Quoi donc?
– On dit qu'il vient réclamer au Directoire le trône de Sa Majesté Louis XVIII pour le faire monter dessus, et que, si le citoyen Gohier ne veut pas, en sa qualité de président, le lui rendre de bonne volonté, il le lui rendra de force.
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