Название: David Copperfield – Tome I
Автор: Чарльз Диккенс
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Je ne connais nulle part de gazon aussi vert que le gazon de ce cimetière; il n'y a rien de si touffu que ces arbres, rien de si calme que ces tombeaux. Chaque matin, quand je m'agenouille sur mon petit lit près de la chambre de ma mère, je vois les moutons qui paissent sur cette herbe verte; je vois le soleil brillant qui se reflète sur le cadran solaire, et je m'étonne qu'avec cet entourage funèbre il puisse encore marquer l'heure.
Voilà notre banc dans l'église, notre banc avec son grand dossier. Tout près il y a une fenêtre par laquelle on peut voir notre maison; pendant l'office du matin, Peggotty la regarde à chaque instant pour s'assurer qu'elle n'est ni brûlée ni dévalisée en son absence. Mais Peggotty ne veut pas que je fasse comme elle, et quand cela m'arrive, elle me fait signe que je dois regarder le pasteur. Cependant je ne peux pas toujours le regarder; je le connais bien quand il n'a pas cette grande chose blanche sur lui, et j'ai peur qu'il ne s'étonne de ce que je le regarde fixement: il va peut-être s'interrompre pour me demander ce que cela signifie. Mais qu'est-ce que je vais donc faire? C'est bien vilain de bâiller, et pourtant il faut bien faire quelque chose. Je regarde ma mère, mais elle fait semblant de ne pas me voir. Je regarde un petit garçon qui est là près de moi, et il me fait des grimaces. Je regarde le rayon de soleil qui pénètre sous le portique, et je vois une brebis égarée, ce n'est pas un pécheur que je veux dire, c'est un mouton qui est sur le point d'entrer dans l'église. Je sens que si je le regardais plus longtemps, je finirais par lui crier de s'en aller, et alors ce serait une belle affaire! Je regarde les inscriptions gravées sur les tombeaux le long du mur, et je tâche de penser à feu M. Bodgers, natif de cette paroisse, et à ce qu'a dû être la douleur de Mme Bodgers, quand M. Bodgers a succombé après une longue maladie où la science des médecins est restée absolument inefficace. Je me demande si on a consulté pour ce monsieur le docteur Chillip; et si c'est lui qui a été inefficace, je voudrais savoir s'il trouve agréable de relire chaque dimanche l'épitaphe de M. Bodgers. Je regarde M. Chillip dans sa cravate du dimanche, puis je passe à la chaire. Comme on y jouerait bien! Cela ferait une fameuse forteresse, l'ennemi se précipiterait par l'escalier pour nous attaquer; et nous, nous l'écraserions avec le coussin de velours et tous ses glands. Peu à peu mes yeux se ferment: j'entends encore le pasteur répéter un psaume; il fait une chaleur étouffante, puis je n'entends plus rien, jusqu'au moment où je glisse du banc avec un fracas épouvantable, et où Peggotty m'entraîne hors de l'église plus mort que vif.
Maintenant je vois la façade de notre maison: la fenêtre de nos chambres est ouverte, et il y pénètre un air embaumé; les vieux nids de corbeaux se balancent encore au sommet des ormes, dans le jardin. À présent me voilà derrière la maison, derrière la cour où se tiennent la niche et le pigeonnier vide: c'est un endroit tout rempli de papillons, fermé par une grande barrière, avec une porte qui a un cadenas; les arbres sont chargés de fruits, de fruits plus mûrs et plus abondants que dans aucun autre jardin; ma mère en cueille quelques-uns, et moi je me tiens derrière elle et je grappille quelques groseilles en tapinois, d'un air aussi indifférent que je peux. Un grand vent s'élève, l'été s'est enfui. Nous jouons dans le salon, par un soir d'hiver. Quand ma mère est fatiguée, elle va s'asseoir dans un fauteuil, elle roule autour de ses doigts les longues boucles de ses cheveux, elle regarde sa taille élancée, et personne ne sait mieux que moi qu'elle est contente d'être si jolie.
Voilà mes plus anciens souvenirs. Ajoutez-y l'opinion, si j'avais déjà une opinion, que nous avions, ma mère et moi, un peu peur de Peggotty, et que nous suivions presque toujours ses conseils.
Un soir, Peggotty et moi nous étions seuls dans le salon, assis au coin du feu. J'avais lu à Peggotty une histoire de crocodiles. Il fallait que j'eusse lu avec bien peu d'intelligence ou que la pauvre fille eût été bien distraite, car je me rappelle qu'il ne lui resta de ma lecture qu'une sorte d'impression vague, que les crocodiles étaient une espèce de légumes. J'étais fatigué de lire, et je tombais de sommeil, mais on m'avait fait ce soir-là la grande faveur de me laisser attendre le retour de ma mère qui dînait chez une voisine, et je serais plutôt mort sur ma chaise que d'aller me coucher. Plus j'avais envie de dormir, plus Peggotty me semblait devenir immense et prendre des proportions démesurées. J'écarquillais les yeux tant que je pouvais: je tâchais de les fixer constamment sur Peggotty qui causait assidûment; j'examinais le petit bout de cire sur lequel elle passait son fil, et qui était rayé dans tous les sens; et la petite chaumière figurée qui contenait son mètre, et sa boîte à ouvrage dont le couvercle représentait la cathédrale de Saint-Paul avec un dôme rose. Puis c'était le tour du dé d'acier, enfin de Peggotty elle-même: je la trouvais charmante. J'avais tellement sommeil, que si j'avais cessé un seul instant de tenir mes yeux ouverts, c'était fini.
«Peggotty, dis-je tout à coup, avez-vous jamais été mariée?
– Seigneur! monsieur Davy, répondit Peggotty, d'où vous vient cette idée de parler mariage?
Elle me répondit si vivement que cela me réveilla parfaitement. Elle quitta son ouvrage et me regarda fixement, tout en tirant son aiguillée de fil dans toute sa longueur.
«Voyons! Peggotty, avez-vous été mariée? repris-je, vous êtes une très-belle femme, n'est-ce pas?»
Je trouvais la beauté de Peggotty d'un tout autre style que celle de ma mère, mais dans son genre, elle me semblait parfaite. Nous avions dans le grand salon un tabouret de velours rouge, sur lequel ma mère avait peint un bouquet. Le fond de ce tabouret et le teint de Peggotty me paraissaient absolument semblables. Le velours était doux à toucher, et la figure de Peggotty était rude, mais cela n'y faisait rien.
«Moi, belle, Davy! dit Peggotty. Ah! certes non, mon garçon. Mais qui vous a donc mis le mariage en tête?
– Je n'en sais rien. On ne peut pas épouser plus d'une personne à la fois, n'est-ce pas, Peggotty?
– Certainement non, dit Peggotty du ton le plus positif.
– Mais si la personne qu'on a épousée vient à mourir, on peut en épouser une autre, n'est-ce pas, Peggotty?
– On le peut, me dit Peggotty, si on en a envie. C'est une affaire d'opinion.
– Mais vous, Peggotty, lui dis-je, quelle est la vôtre?»
En lui faisant cette question, je la regardais comme elle m'avait regardé elle-même un instant auparavant en entendant ma question.
«Mon opinion à moi, dit Peggotty en se remettant à coudre après un moment d'indécision, mon opinion c'est que je ne me suis jamais mariée moi-même, monsieur Davy, et que je ne pense pas me marier jamais. Voilà tout ce que j'en sais.
– Vous n'êtes pas fâchée contre moi, n'est-ce pas, Peggotty?» dis-je après m'être tu un instant.
J'avais peur qu'elle ne fût fâchée, elle m'avait parlé si brusquement; mais je me trompais: elle posa le bas qu'elle raccommodait, et prenant dans ses bras ma petite tête frisée, elle la serra de toutes ses forces. Je dis de toutes ses forces, parce que comme elle était très-grasse, une ou deux des agrafes de sa robe sautaient chaque fois qu'elle se livrait à un exercice un peu violent. Or, je me rappelle qu'au moment où elle me serra dans ses bras, j'entendis deux agrafes craquer et s'élancer à l'autre bout de la chambre.
«Maintenant lisez-moi encore un peu des cocodrilles, dit Peggotty qui n'était pas encore bien forte sur ce nom-là, j'ai tant d'envie d'en savoir plus long sur leur compte.»
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