Jacques le fataliste et son maître. Dénis Diderot
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Читать онлайн книгу Jacques le fataliste et son maître - Dénis Diderot страница 17

Название: Jacques le fataliste et son maître

Автор: Dénis Diderot

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ chez lui blessé, ou il rendait le même service à son camarade. Ni mes remontrances… ni mes remontrances, ni celles des autres n'y faisaient rien; on n'y trouva de remède qu'à les séparer. Le ministre de la guerre fut instruit d'une persévérance si singulière dans des extrémités si opposées, et mon capitaine nommé à un commandement de place, avec injonction expresse de se rendre sur-le-champ à son poste, et défense de s'en éloigner; une autre défense fixa son camarade au régiment… Je crois que ce maudit cheval me fera devenir fou… À peine les ordres du ministre furent-ils arrivés, que mon capitaine, sous prétexte d'aller remercier de la faveur qu'il venait d'obtenir, partit pour la cour, représenta qu'il était riche et que son camarade indigent avait le même droit aux grâces du roi; que le poste qu'on venait de lui accorder récompenserait les services de son ami, suppléerait à son peu de fortune, et qu'il en serait, lui, comblé de joie. Comme le ministre n'avait eu d'autre intention que de séparer ces deux hommes bizarres, et que les procédés généreux touchent toujours, il fut arrêté… Maudite bête, tiendras-tu ta tête droite?.. Il fut arrêté que mon capitaine resterait au régiment, et que son camarade irait occuper le commandement de place.

      À peine furent-ils séparés, qu'ils sentirent le besoin qu'ils avaient l'un de l'autre; ils tombèrent dans une mélancolie profonde. Mon capitaine demanda un congé de semestre pour aller prendre l'air natal; mais à deux lieues de la garnison, il vend son cheval, se déguise en paysan et s'achemine vers la place que son ami commandait. Il paraît que c'était une démarche concertée entre eux. Il arrive… Va donc où tu voudras! Y a-t-il encore là quelque gibet qu'il te plaise de visiter?.. Riez bien, monsieur; cela est en effet très-plaisant… Il arrive; mais il était écrit là-haut que, quelques précautions qu'ils prissent pour cacher la satisfaction qu'ils avaient de se revoir et ne s'aborder qu'avec les marques extérieures de la subordination d'un paysan à un commandant de place, des soldats, quelques officiers qui se rencontreraient par hasard à leur entrevue et qui seraient instruits de leur aventure, prendraient des soupçons et iraient prévenir le major de la place.

      Celui-ci, homme prudent, sourit de l'avis, mais ne laissa pas d'y attacher toute l'importance qu'il méritait. Il mit des espions autour du commandant. Leur premier rapport fut que le commandant sortait peu, et que le paysan ne sortait point du tout. Il était impossible que ces deux hommes vécussent ensemble huit jours de suite, sans que leur étrange manie les reprît; ce qui ne manqua pas d'arriver.

      Vous voyez, lecteur, combien je suis obligeant; il ne tiendrait qu'à moi de donner un coup de fouet aux chevaux qui traînent le carrosse drapé de noir, d'assembler, à la porte du gîte prochain, Jacques, son maître, les gardes des Fermes ou les cavaliers de maréchaussée avec le reste de leur cortége; d'interrompre l'histoire du capitaine de Jacques et de vous impatienter à mon aise; mais pour cela il faudrait mentir, et je n'aime pas le mensonge, à moins qu'il ne soit utile et forcé. Le fait est que Jacques et son maître ne virent plus le carrosse drapé, et que Jacques, toujours inquiet de l'allure de son cheval, continua son récit:

      Un jour, les espions rapportèrent au major qu'il y avait eu une contestation fort vive entre le commandant et le paysan; qu'ensuite ils étaient sortis, le paysan marchant le premier, le commandant ne le suivant qu'à regret, et qu'ils étaient entrés chez un banquier de la ville, où ils étaient encore.

      On apprit dans la suite que, n'espérant plus de se revoir, ils avaient résolu de se battre à toute outrance, et que, sensible aux devoirs de la plus tendre amitié, au moment même de la férocité la plus inouïe, mon capitaine qui était riche, comme je vous l'ai dit… mon capitaine, qui était riche, avait exigé de son camarade qu'il acceptât une lettre de change de vingt-quatre mille livres, qui lui assurât de quoi vivre chez l'étranger, au cas qu'il fût tué, celui-ci protestant qu'il ne se battrait point sans ce préalable; l'autre répondant à cette offre: «Est-ce que tu crois, mon ami, que si je te tue, je te survivrai?..» J'espère, monsieur, que vous ne me condamnerez pas à finir notre voyage sur ce bizarre animal…

      Ils sortaient de chez le banquier, et ils s'acheminaient vers les portes de la ville, lorsqu'ils se virent entourés du major et de quelques officiers. Quoique cette rencontre eût l'air d'un incident fortuit, nos deux amis, nos deux ennemis, comme il vous plaira de les appeler, ne s'y méprirent pas. Le paysan se laissa reconnaître pour ce qu'il était. On alla passer la nuit dans une maison écartée. Le lendemain, dès la pointe du jour, mon capitaine, après avoir embrassé plusieurs fois son camarade, s'en sépara pour ne plus le revoir. À peine fut-il arrivé dans son pays, qu'il mourut.

LE MAÎTRE

      Et qui est-ce qui t'a dit qu'il était mort?

JACQUES

      Et ce cercueil? et ce carrosse à ses armes? Mon pauvre capitaine est mort, je n'en doute pas.

LE MAÎTRE

      Et ce prêtre les mains liées sur le dos; et ces gens les mains liées sur le dos; et ces gardes de la Ferme ou ces cavaliers de maréchaussée; et ce retour du convoi vers la ville? Ton capitaine est vivant, je n'en doute pas; mais ne sais-tu rien de son camarade?

JACQUES

      L'histoire de son camarade est une belle ligne du grand rouleau ou de ce qui est écrit là-haut.

LE MAÎTRE

      J'espère…

      Le cheval de Jacques ne permit pas à son maître d'achever; il part comme un éclair, ne s'écartant ni à droite ni à gauche, suivant la grande route. On ne vit plus Jacques; et son maître, persuadé que le chemin aboutissait à des fourches patibulaires, se tenait les côtés de rire. Et puisque Jacques et son maître ne sont bons qu'ensemble et ne valent rien séparés non plus que Don Quichotte sans Sancho et Richardet sans Ferragus, ce que le continuateur de Cervantès24 et l'imitateur de l'Arioste, monsignor Forti-Guerra25, n'ont pas assez compris, lecteur, causons ensemble jusqu'à ce qu'ils se soient rejoints.

      Vous allez prendre l'histoire du capitaine de Jacques pour un conte, et vous aurez tort. Je vous proteste que telle qu'il l'a racontée à son maître; tel fut le récit que j'en avais entendu faire aux Invalides, je ne sais en quelle année, le jour de Saint-Louis, à table chez un monsieur de Saint-Étienne, major de l'hôtel; et l'historien qui parlait en présence de plusieurs autres officiers de la maison, qui avaient connaissance du fait, était un personnage grave qui n'avait point du tout l'air d'un badin. Je vous le répète donc pour ce moment et pour la suite: soyez circonspect si vous ne voulez pas prendre dans cet entretien de Jacques et de son maître le vrai pour le faux, le faux pour le vrai. Vous voilà bien averti, et je m'en lave les mains. – Voilà, me direz-vous, deux hommes bien extraordinaires! – Et c'est là ce qui vous met en défiance? Premièrement, la nature est si variée, surtout dans les instincts et les caractères, qu'il n'y a rien de si bizarre dans l'imagination d'un poëte dont l'expérience et l'observation ne vous offrissent le modèle dans la nature. Moi, qui vous parle, j'ai rencontré le pendant du Médecin malgré lui, que j'avais regardé jusque-là comme la plus folle et la plus gaie des fictions. – Quoi! le pendant du mari à qui sa femme dit: J'ai trois enfants sur les bras; et qui lui répond: Mets-les à terre… Ils me demandent du pain: donne-leur le fouet! – Précisément. Voici son entretien avec ma femme.

      «Vous voilà, monsieur Gousse?

      – Non, madame, je ne suis pas un autre.

      – D'où venez-vous?

      – D'où j'étais allé.

      – Qu'avez-vous fait là?

      – J'ai raccommodé un moulin qui allait mal.

      – À qui appartenait ce moulin?

      – Je n'en sais rien; je n'étais pas allé pour raccommoder le meunier.

      – Vous СКАЧАТЬ



<p>24</p>

Avellaneda (Alonzo-Fernandez d') fit imprimer en 1614, à Tarragone, une suite de Don Quichotte. Cet ouvrage, peu estimé, a cependant été traduit en 1704 par Le Sage, sous le titre de Nouvelles Aventures de Don Quichotte. (Br.)

<p>25</p>

Forti-Guerra ou Forte-Guerri, né à Pistoie en 1674, mort le 17 février 1735, fit en très-peu de temps son poëme de Ricciardetto (Richardet), dont il composa en un seul jour le premier chant, voulant prouver par là combien il était facile de réussir dans le genre de l'Arioste. Le Richardet fut imprimé en 1738, trois ans après la mort de l'auteur; il a été traduit ou plutôt imité en vers français par Dumourier, 1766, et par Mancini-Nivernois, Paris, 1796. (Br.)