Un Coeur de femme. Paul Bourget
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Название: Un Coeur de femme

Автор: Paul Bourget

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ transcrites en détail, eussent paru, même à un moins naïf que Poyanne, terriblement positives et cyniques. Pourtant un embryon de sentiment s'agitait par-dessous, ce qui prouve que le cœur de chacun est un petit univers à part, où les images les moins romanesques peuvent servir de prétexte à la naissance d'une émotion romanesque. Si Casal n'eût pas subi, d'une manière inconsciente, le charme de délicatesse émané de Juliette, comme un arome à la fois entêtant et imperceptible s'exhale d'une plante cachée dans un coin de chambre, il n'eût pas éprouvé au même degré cette sensation de répugnance au souvenir de la vulgarité de Christine Anroux. Il s'était donné, pour n'aller ni au théâtre, ni au club, ni chez Phillips, des raisons excellentes, mais qui n'auraient pas eu plus de poids sur son esprit ce soir-ci que les autres soirs, s'il n'eût été travaillé par un secret besoin d'être seul. Et pourquoi? Sinon pour penser longuement à la jeune femme dont le souvenir, surgi tout d'un coup, effaça en une seconde ces imaginations de coulisses, de cercle et de bar. La fine silhouette se dessina dans le champ de sa vision intérieure avec une netteté prodigieuse. Les hommes de sport, qui vivent d'une vie physique très intense, finissent par développer en eux des sens de sauvages. Ils possèdent d'une façon surprenante cette mémoire animale, propre aux cultivateurs, aux chasseurs, aux pêcheurs, à tous ceux en un mot qui regardent beaucoup les choses et non les signes des choses. Les formes et les couleurs s'impriment dans ces cerveaux sans cesse en présence d'impressions réelles et concrètes avec un relief que les travailleurs de cabinet ou les causeurs de salon ne soupçonnent pas. Celui-ci revit le buste de Juliette dans sa grâce svelte et pleine, les souples épaules et le corsage noir avec ses nœuds roses, l'attache voluptueuse de la nuque, les cheveux d'un blond si doux, le saphir sombre des yeux, les lèvres sinueuses, l'éclat des dents avec la fossette du sourire, les bras où courait comme une ombre d'or, les mains nerveuses, la salle à manger tout autour, avec la tapisserie du duc d'Albe, avec les teints pâlis ou pourprés des convives. Mme de Tillières eût été là, présente et vivante, qu'il n'en eût pas distingué les traits avec une précision plus aiguë. Cette évocation eut pour résultat que le raisonnement à demi ironique sur l'emploi de sa soirée céda aussitôt la place à une impression assez brutale encore, mais, du moins, franche et naturelle: le désir sensuel pour cette jolie créature que son instinct pressentait voluptueuse et passionnée sous ses dehors de chaste réserve.

      – «Oui,» continua-t-il, «avec qui est-elle? Ce n'est pas possible qu'elle n'ait pas d'amant.» Puis tout de suite, la mémoire morale arrivant pour compléter, pour interpréter la mémoire physique: «C'est égal. Elle m'a regardé avec des yeux très particuliers, après avoir eu l'air de ne pas me remarquer au commencement… C'était combiné avec Mme de Candale, ce dîner-là. Elles sont amies intimes. Alors, c'est que ma petite voisine a voulu me connaître. Je n'ai pas trop mal manœuvré. Ça, j'en suis sûr. Maintenant, que signifie cette curiosité? A-t-elle entendu parler de moi par une autre femme? Par son amant?.. Après tout, peut-être n'a-t-elle pas d'amant et s'ennuie-t-elle dans son coin?.. On la voit si peu. Elle doit vivre très retirée… Elle est bien jolie. Si je me mettais à lui faire la cour? Je n'ai rien devant moi pour tout ce printemps. C'est une idée… Mais où la retrouver?.. J'ai dîné à côté d'elle, je peux toujours aller lui rendre visite au lieu de lui mettre simplement un carton…»

      Il fut si content de cette idée qu'il en rit tout haut une minute: – «C'est cela,» reprit-il, «mais alors il faudrait y aller dès demain… Demain? Qu'est-ce que je fais demain? Au Bois le matin avec Candale. Bon, cela. Il me renseignera. Déjeuner chez Christine. Ça peut se manquer, ce déjeuner. Je déjeune trop cette année-ci. Toute la journée est gâtée ensuite. Je lâche Christine et à deux heures je vais chez la petite veuve. À quatre heures, je tire avec Wérékiew. Comme ces gauchers sont difficiles!.. Si je rentrais tout simplement me coucher maintenant? Il est dix heures et demie. C'est bien tôt, mais voilà huit jours que je m'endors à quatre heures du matin. Relayons pour être en forme…»

      Sur cette sage résolution, il obliqua par la rue Boissy-d'Anglas, sans s'arrêter ni à l'Impérial ni au Petit Cercle, et il se dirigea tout droit vers la rue de Lisbonne, où il habitait un hôtel hérité de son père et aussi complètement monté que s'il eût continué de vivre en famille. Il y a ainsi derrière toutes ces santés extraordinaires des hommes d'excès, et que l'on cite comme tels, un fond caché d'hygiène. Ceux qui méconnaissent cette loi disparaissent bien vite, et ceux qui survivent, ceux qui étonnent des générations successives par leur infatigable activité à la chasse, au jeu, à la salle – et ailleurs, – ont gardé, comme Casal, le pouvoir de se surveiller à travers cette existence de déraillement continu. C'est, tantôt, une sobriété monastique le matin qui corrige le trop bon dîner de la veille; tantôt un repos pris judicieusement à l'heure exacte où le surmenage commencerait; tantôt un dosage savant d'exercices adaptés, la présence quotidienne du masseur, un véritable traitement d'hydrothérapie à domicile. Machiavel disait: «Le monde est aux gens froids,» et le demi-monde aussi, quelque paradoxal que paraisse cet aphorisme. Tant il y a que le lendemain matin, lorsque Raymond se leva vers les huit heures pour passer dans sa salle de bain et de là dans son cabinet de toilette, il était merveilleusement dispos et rafraîchi par le plus calme de tous les sommeils.

      Ce cabinet de toilette de Casal était fameux parmi les viveurs, à cause de ce que le jeune homme appelait plaisamment ses deux bibliothèques, quoiqu'il en eût ailleurs une véritable et garnie des livres les mieux choisis. Celles du cabinet de toilette consistaient en deux vitrines: une première avec une rangée admirable de fusils anglais à tout usage, et une seconde ou se trouvait renfermée la plus étonnante collection de bottes, bottines et souliers: – quatre-vingt-douze paires, – et pour les circonstances les plus variées de l'existence de sport, depuis la chasse à courre jusqu'à la pêche au saumon, sans parler des tenues du polo et de l'ascensionnisme. Il n'était pas rare que de jeunes snobs vinssent, dès cette heure-là, pour assister à la toilette de ce maître en haute vie et s'ébahir devant cet étrange musée. Mais au matin qui suivit le dîner chez Mme de Tillières, il resta, sans autre compagnie que son valet de chambre, à se regarder beaucoup dans la glace de l'immense armoire à trois pans qui renfermait ses innombrables costumes et achevait de meubler la pièce. Malgré les raffinements d'installation qui faisaient de ce coin de sa demeure la garçonnière typique d'un Parisien élégant en l'an de grâce 1881, anglomane et athlétique, Raymond n'était pas un fat. S'il avait mis dans sa première jeunesse son amour-propre à ces puérilités d'un luxe minutieux, il n'y pensait plus depuis des années, au rebours de presque tous ses confrères dans le métier d'homme à la mode; et, s'il se regardait ce matin-là dans la glace, une fois habillé, c'était par ressouvenir de son projet de la veille. Il était bien plus près de quarante ans que de trente. À cet âge, on a déjà cette première petite surveillance de soi qui, dix ans plus tard, se tournera en défiance, et, vingt ans plus tard, si on ne désarme pas, en artifice. Il faut croire qu'il se trouva encore capable de plaire et il faut croire aussi que sa résolution de faire une visite dès ce jour-là à Mme de Tillières ne s'était pas en allée avec le sommeil, car, avant de monter à cheval, il griffonna un billet à l'adresse de Mme Christine Anroux, 83, avenue de l'Alma, où il se dégageait du déjeuner, et c'est en chantonnant entre ses dents un air en vogue à cette date: «Elle est tellement innocente…» qu'il commença de se diriger vers le Bois, monté sur un alezan joliment découplé, mais pas très vite, Boscard. – Ce terme d'argot dont le monde actuel désigne les parasites professionnels lui servait de malicieuse épigramme contre le camarade qui lui avait vendu ce cheval, un certain vicomte de Saveuse, très bien né, mais de procédés plus qu'indélicats, qui avait trouvé le moyen de lui faire payer cet animal deux fois sa valeur. Saveuse, – alias «la Statue du Quémandeur,» – avait en outre la fâcheuse habitude d'emprunter à ses voisins de jeu des plaques de vingt-cinq louis jamais rendues. Et Casal se vengeait de ces supercheries répétées et aussi du petit crève-cœur d'avoir été dupé dans ce marché par ce surnom donné à la pauvre bête, qui n'en pouvait mais.

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