Название: Un Coeur de femme
Автор: Paul Bourget
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– «Tout cela est bien beau,» dit-elle, «mais en attendant, si vous pensiez un peu à votre amie?»
– «Si je pensais à vous?» répliqua-t-il avec une sorte de mélancolique surprise, «et pour qui donc souhaité-je que mon nom soit illustre?.. Auprès de qui ai-je puisé l'énergie de supporter tant de déceptions amères?..»
– «Ah!» fit-elle, en hochant joliment sa tête blonde, «vous savez répondre. Mais voulez-vous que je vous prouve combien vous avez peu pensé à moi aujourd'hui?»
– «Prouvez,» dit-il en s'arrêtant étonné.
– «Eh bien! vous ne m'avez pas seulement demandé avec qui j'avais passé la soirée.»
– «Mais,» fit-il naïvement, «puisque vous m'avez écrit que vous dîniez chez Mme de Candale!»
– «Il n'y avait pas qu'elle,» reprit Juliette, en proie à ce singulier démon de curiosité qui pousse à de certains moments les meilleures femmes à tâter la jalousie d'un homme en lui parlant d'un autre.
– «Elle n'est pas fâchée contre moi de ce que je suis si en retard avec elle?» demanda le comte, sans prendre garde à cette coquette insinuation.
– «Pas le moins du monde,» dit Mme de Tillières, qui continua, comme indifférente: «J'ai dîné là auprès de quelqu'un que vous n'aimez guère.»
– «Et de qui donc?» interrogea enfin Poyanne.
– «M. Casal,» fit-elle en regardant l'effet produit sur le visage du comte par ce nom de l'ancien amant de Mme de Corcieux.
– «Comment Mme de Candale a-t-elle des connaissances pareilles?» dit Poyanne avec une conviction qui, à la fois, divertit et irrita Juliette. Elle en sourit, parce que c'était précisément la phrase qu'elle avait annoncée à son amie. Elle en fut irritée, parce que ce mépris faisait la plus cruelle critique de l'impression produite sur elle par Casal. Et le comte insistait: «C'est sans doute son mari qui le lui impose. Candale et Casal, les deux font la paire. Encore ce dernier, par son existence de bookmaker et de viveur, ne déshonore-t-il pas un des grands noms de notre histoire.»
– «Mais,» interrompit Juliette, «je vous affirme que j'ai causé très agréablement avec lui.»
– «Et de quoi?» demanda Poyanne. «Il a terriblement changé si vous avez pu tirer de lui une phrase qui trahisse autre chose que des goûts de tripot et d'écurie. Allez, je ne l'ai que trop subie, sa conversation, chez les Corcieux, et celles des quatre ou cinq de ses camarades que cette pauvre Pauline invitait pour le garder…»
– «Elle l'aimait donc beaucoup?» fit Juliette.
– «Ah! follement,» reprit le comte avec une amertume singulière où se retrouvait le fonds de douloureuse sévérité que garde contre les histoires d'adultère un homme autrefois trahi par sa femme, «et ce fut toujours pour moi un mystère horriblement triste que cette passion de cette créature charmante pour ce fat qu'il fallait voir, avec ses airs ennuyés d'être aimé ainsi!.. Et le mari est spirituel, distingué, instruit. Il adorait, il adore toujours Pauline. J'ai cessé d'aller dans la maison à cause de ce que j'y voyais. J'en souffrais trop pour Corcieux et pour elle… La malheureuse! Elle a été si punie! Le Casal a été affreux de dureté, paraît-il…»
– «Il en a pourtant parlé ce soir avec beaucoup de tact,» dit Mme de Tillières.
– «Est-ce qu'il devrait même prononcer son nom?» fit le comte.
Il y eut un silence entre les deux amants. La jeune femme se repentait maintenant d'avoir, elle, mentionné seulement son voisin de soirée. Elle avait joué avec la jalousie de Poyanne, et elle appréhendait de l'avoir éveillée. Elle était trop profondément sensible pour ne pas regretter aussitôt une peine infligée à quelqu'un qu'elle croyait encore aimer d'amour, qu'elle aimait certainement d'affection et d'habitude. Elle se trompait encore ici sur le sentiment de cet homme, trop noble pour le soupçon, même après les atroces expériences de son mariage. Dans la manière dont Juliette venait de lui parler de Casal, le comte n'avait vu qu'une preuve du plaisir goûté par son amie dans le monde et sans lui. Ce plaisir lui semblait bien innocent, et il se reprochait le sentiment qui le faisait en souffrir comme un égoïsme et une injustice. Hélas! La logique du cœur, qui ne compte ni avec nos générosités, ni avec nos sophismes, lui montrait dans le goût croissant de Mme de Tillières pour les sorties et les nouvelles connaissances un signe de plus qu'il ne suffisait pas à la rendre heureuse. Cependant l'horloge sonna. Elle marquait minuit.
– «Allons,» reprit-il avec un soupir, «il est temps que je vous dise adieu. Quand vous verrai-je?»
– «Quand vous voudrez,» répondit Juliette. «Voulez-vous dîner demain avec ma mère et ma cousine de Nançay?»
– «Je veux bien,» dit-il; et avec une voix un peu troublée: – «Vous savez que je vais peut-être vous quitter après-demain pour quatre ou cinq semaines?»
– «Non,» fit-elle, «vous ne m'en aviez pas parlé.»
– «Il y a deux élections pour le Conseil général ces jours-ci, et on me réclame là-bas.»
– «Toujours la maudite politique,» dit-elle en souriant.
Il la regarda de nouveau avec des yeux où elle ne lut pas, – où elle ne voulut pas lire une demande que les lèvres de cet homme passionné ne formulèrent point.
– «Adieu,» reprit-il d'une voix plus troublée encore.
– «A demain,» dit-elle, «à sept heures moins un quart. Venez un peu avant.»
Quand la porte se fut refermée, elle resta longtemps seule, accoudée à cette même cheminée dans la glace de laquelle l'image de Poyanne se reflétait tout à l'heure encore. Pourquoi de nouveau le souvenir de Raymond Casal vint-il se glisser devant elle, et à quelles idées répondait-elle en disant tout haut, avant de sonner sa femme de chambre:
– «Est-ce que je n'aimerais plus Henry?»
IV
LES SENTIMENTALITÉS D'UN VIVEUR
Tandis que Juliette se couchait sur cette douloureuse question dans son lit étroit de jeune fille, qu'elle avait voulu reprendre après son veuvage avec tous les autres meubles de sa vie heureuse d'autrefois, – tandis que Poyanne revenait à pied vers son logement de la rue de Martignac, près de l'église Sainte-Clotilde, et se reprochait comme un crime de ne savoir pas plaire à son amie, – que faisait celui dont l'apparition subite entre ces deux êtres constituait, à leur insu, le plus redoutable danger pour les débris du bonheur de l'un, pour les lassitudes morales de l'autre, ce Raymond Casal, si diversement jugé par les hommes et par les femmes? Se doutait-il qu'à ce moment même, et au lieu de s'endormir, sa jolie voisine du dîner continuait de penser à lui, en prenant la résolution de n'y point penser? – Elle n'en avait pas le droit, puisqu'elle en aimait, qu'elle voulait continuer d'en aimer un autre. – Il était parti de l'hôtel de Candale, bien persuadé qu'il avait plu à Mme de Tillières, et très tôt, pour ne pas gâter cette impression. Mais son premier mouvement lorsqu'il se retrouva sur le trottoir de la rue de Tilsitt, chaudement enveloppé de son pardessus du soir, et qu'ayant aspiré gaîment l'air frais, il regarda le ciel et le vit plein СКАЧАТЬ