L'Écuyère. Paul Bourget
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Название: L'Écuyère

Автор: Paul Bourget

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ de plus en plus rares, était, ou allait être, celle de Jules de Maligny, quand le hasard d'une rencontre romanesque mit Hilda Campbell sur son chemin. C'est assez dire que la jeune fille ne devait pas marquer ce jour d'avril d'un caillou blanc, comme disaient joliment les poètes anciens. Déjà, ce goût de la vie élégante, imprudemment caressé chez son fils par la douairière, avait porté ses premiers fruits, puisque le jeune comte s'était vu obligé de déclarer cette grosse ardoise au Cercle – imitons son langage – qui avait déterminé l'exil en Provence. Mais Jules était, malheureusement pour le repos de Hilda, tout autre chose qu'un simple mauvais sujet. Un trait singulier de sa nature le rendait plus dangereux que n'eût été la précoce corruption d'un viveur élégant de vingt-cinq ans. Cette goutte de sang slave, qui donnait à sa physionomie cette langueur, tour à tour, et cette mobilité entraînante, faisait de lui un personnage également déconcertant, et dans le Paris archaïque où il avait grandi, et dans le Paris ultra-moderne où il évoluait, de par l'enchaînement de ses relations. Sa mère n'avait pas calculé non plus qu'un garçon, très à la mode dans un petit cercle, ne tarde pas à l'être dans beaucoup d'autres. Autant dire qu'il finit par fréquenter des sociétés très mélangées. Des petits bals blancs donnés dans les solennelles nécropoles de la rue de Varenne et de la rue Saint-Guillaume, Jules avait passé, presque insensiblement, aux fêtes somptueuses auxquelles excellent les membres du Faubourg qui ont franchi la Seine et ont hôtel de l'autre côté de l'eau. La colonie étrangère l'avait ensuite accueilli. Les camarades qu'il avait su se faire dans ces milieux plutôt corrects l'avaient entraîné dans d'autres, qui l'étaient moins ou qui ne l'étaient pas du tout. A ceux-ci comme à ceux-là, il s'était prêté avec cet étrange pouvoir d'adaptation, – le charme et le danger de l'âme polonaise ou russe. On dit volontiers, de ces séduisants et décevants Protées, qu'ils sont des comédiens. Il faudrait ajouter: de bonne foi, et un comédien de bonne foi est-il un fourbe? Il ne vous trompe pas en pensant comme vous aujourd'hui et le contraire demain. Il a des sincérités successives. A trente-cinq ans, il rendra compte des sautes subites de ses impressions: il en jouera et il vous jouera. A vingt-cinq, l'enivrement de la vie est trop fort pour permettre ces calculs. Jules de Maligny, – pour prendre comme exemple ce rejeton, transplanté en France par les caprices de l'atavisme, des Lodzia de Lublin et des Gorka de Cracovie, – Jules de Maligny donc, n'avait jamais fait la connaissance d'un ami nouveau sans être persuadé qu'il avait rencontré le compagnon unique, le frère d'élection avec lequel réaliser les mythes immortels d'Achille et de Patrocle, de Nisus et d'Euryale! Le lendemain, il soupait à côté d'un autre, qui lui faisait oublier le premier. Il n'avait jamais courtisé une femme sans croire qu'il était dans la Grande Passion – avec deux majuscules – et que son goût d'une semaine, quelquefois, d'une heure, était un amour de toujours. La sensation présente le prenait tout entier. Quand il était avec sa mère, comme cet hiver, dans la solitude du domaine de La Capite, les idées les plus surannées de la douairière devenaient les siennes. Il ne rêvait plus qu'existence réglée, amortissement des dettes laissées par le père, grâce à un prudent ménagement des revenus actuels, dégrèvement des hypothèques qui pesaient et sur La Capite et sur l'hôtel de la rue de Monsieur, retour à la terre familiale et à la tradition. Et l'on a pu voir dans quel trouble l'avait jeté la svelte silhouette de la jeune Anglaise rencontrée au Bois. Les circonstances de cette rencontre étaient bien faites, avouons-le, pour parler à une imagination qui ne demandait qu'à trotter, – comme le charmant cheval alezan brûlé, ce Rhin, complice innocent d'un funeste sort, dont les rapides jambes avaient si gaiement emporté la pauvre Hilda Campbell vers l'allée déserte où elle avait été attaquée par un malfaiteur, – moins beaucoup moins périlleux, pour elle, que l'étourdi au cœur changeant qui l'avait sauvée.

      Le trouble de ce premier «emballement» – cette vulgaire métaphore chevaline est, ici, trop justifiée – s'accrut encore dans la solitude presque complète à laquelle Jules se trouva condamné pendant plus d'une semaine. Même les ignorants savent que la conformation anatomique de la main rend les plaies de cette partie du corps, fussent-elles très légères, particulièrement susceptibles de complication. Le docteur redoutait cette abominable misère, qui s'appelle, dans le sinistre et mystérieux jargon médical, un «phlegmon sous-aponévrotique». Il avait à peu près condamné la porte de son patient. En proie à ce petit état fébrile qui favorise si étrangement les hallucinations du souvenir, Maligny revoyait sans cesse, comme en une série d'instantanés, empreints dans sa mémoire, les divers épisodes de son aventure: la lutte de la jeune fille avec le chemineau, sa grâce à se relever, son apparition à cheval quand elle était venue lui ramener Galopin, son départ aux grandes allures de sa bête, et le reste, – jusqu'à la rentrée dans l'écurie du marchand de chevaux. Il se reprochait à lui-même d'avoir manqué là de présence d'esprit. Pourquoi n'avoir pas suivi l'inconnue dans la maison Campbell, en exigeant d'elle son nom, sous le prétexte de porter plainte lui-même? Il en avait le droit, puisqu'il avait été blessé. Elle n'aurait pas pu lui refuser son témoignage… Enfin, il avait laissé perdre cette occasion. Il s'arrangerait pour en provoquer d'autres. Mais qui était-elle? Un détail, d'un ordre très minime, et très énigmatique, achevait de piquer sa curiosité, au cours de ces rêveries. Dès le soir du jour où il était rentré rue de Monsieur, avec sa main blessée et bandée, quelqu'un était venu demander de ses nouvelles qui avait repassé le lendemain, puis chaque matin. Ce visiteur assidu n'avait pas donné son nom. Le concierge l'avait décrit en des termes fantastiques et qui avaient encore aiguillonné l'imagination du malade:

      – «Un monsieur ou un homme?.. Je ne sais pas, monsieur le comte. Un Anglais toujours, et, avec les Anglais, allez donc vous y reconnaître!.. Il y a des milords qui vous ont des binettes de jockeys et des jockeys qui vous ont des airs de milords… Celui-là vient sur un cheval, jamais le même, qui vous fait une piaffe dans la rue! Les pavés en jettent du feu… Il ne m'ôterait seulement pas sa casquette pour demander des nouvelles de monsieur le comte… Je les lui donne. Ah! il n'est pas causant. Il repart… C'est heureux qu'il sache monter comme il monte. S'il tombait, il se casserait pour sûr quelque membre. Il n'est pas rembourré, le gaillard. C'est long comme un jour sans pain et tout cuir, tout os… Il a dû aller chez les cannibales, monsieur le comte. Il a au front une cicatrice qui lui fait le tour de la tête. On dirait qu'ils ont voulu l'entamer, et puis, ils y auront ébréché leurs couteaux et leurs dents… Et ils l'ont laissé!..»

      On aura reconnu, à ce portrait, la maigre et falote figure du neveu de Bob Campbell, du dévoué John Corbin. N'étant pas initié aux arcanes d'Epsom lodge, comment Jules aurait-il deviné que ce messager équestre était le propre cousin de Hilda? Il comprenait, pourtant, une chose: le taciturne visiteur prenait de ses nouvelles de la part de son inconnue. Le jeune homme en concluait, avec une fatuité, trop justifiée par de nombreux succès: s'il pensait beaucoup à elle, l'inconnue de son côté pensait beaucoup à lui. Cette certitude suffisait pour lui faire désirer avec passion un exeat que le sage médecin de la famille, le docteur Graux, ne lui donnait pas assez vite à son gré.

      – «Avez-vous envie que je vous coupe la main?», répondait-il au jeune homme, en lui posant des sangsues, puis en lui enveloppant les doigts de cataplasmes. «Confessez-vous. C'est la petite dame du Bois qui vous donne cette fringale de sortie. Vous voudriez déjà être allé chez elle vous faire payer les intérêts de votre dévouement?»

      – «Y ai-je droit, répondez oui ou non…?», disait Jules. Comme on voit, il n'avait pas observé, avec tout le monde, la discrétion qu'il continuait de garder avec sa mère. Le goût de la confidence lui était aussi naturel que celui de la séduction. Il n'y avait pas moyen de lui en vouloir d'un égotisme qui, chez un autre, eût été de la vanité. C'était, chez lui, la recherche spontanée de la sympathie, dans la signification originelle de ce mot: sentir avec, et il poursuivait: «Imaginez-vous, docteur, que je continue à ne pas savoir son nom. Mais je serai bien vite renseigné. Elle envoie, tous les jours, prendre de mes nouvelles, sans jamais un mot d'écrit, par un Anglais, un de ses compatriotes, sans doute… François, qui s'y connaît, croit que c'est un lord, tout simplement… Je suppose que c'est un monsieur à qui elle n'aura pas raconté que j'ai vingt-cinq ans et qui sera fièrement étonné quand je lui dirai: How СКАЧАТЬ