L'Écuyère. Paul Bourget
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу L'Écuyère - Paul Bourget страница 12

Название: L'Écuyère

Автор: Paul Bourget

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

Серия:

isbn:

isbn:

СКАЧАТЬ bien, entre parenthèses, la plus sotte des comparaisons, car c'est justement la chose qu'un personnage, mâle ou femelle, de l'espèce centaure ne peut pas faire, de monter à cheval. Il en est un lui-même…» Puis, résolu: «Vous ne me sèmerez pas une seconde fois, belle dame, puisque, en dépit des augures du morticole Graux, notre seconde entrevue paraît devoir marcher si bien…» Songeur: «Mais, a-t-elle rougi de me reconnaître! A-t-elle rougi!.. Ça bichera, pourvu que je suive la méthode de l'ancêtre: France! France! En avant! Vieilleville!… Fichtre! Elle en vaut la peine. Est-elle jolie! Lequel de ces trois hommes était le milord? Le gros devait être le marchand. Le maigre, l'écuyer de la maison. Reste l'autre, qui n'avait pas l'air d'un Anglais… Et la dame?.. Ce sera une camarade. D'ailleurs, qui m'a dit que le monsieur de cette petite est un Anglais? L'individu qui venait prendre de mes nouvelles, de sa part, ne pourrait-il pas être un groom, tout comme ce grand faraud avec son fouet?..»

      Sur ce monologue, aussi peu perspicace qu'il était peu édifiant, l'aimable étourdi pénétrait dans la cour, pavée, sablée et entourée de box, au centre de laquelle le marché se continuait. Bob Campbell et sa fille semblaient n'y prendre aucune part. Celle-ci flattait de la main, distraitement, l'encolure du cheval cap de maure, dont Corbin faisait, maintenant, les honneurs. Il ouvrait de force la bouche de la bête, écartait la langue et montrait les dents, signe de l'âge. – Il lui relevait les jambes de devant l'une après l'autre pour constater la qualité de la corne et l'état des soles. On entendait les phrases classiques, gutturalement jetées par l'Anglais: – «Sain et net… Pas de seimes. Pas de bleimes. Pas de mollettes.» Le monsieur et la dame assistaient à cette démonstration de l'excellence de la bête avec cette attention de demi-connaisseurs qui fait, d'une vente et d'un achat de cette sorte, un aussi sérieux et aussi comique débat qu'un entretien entre deux diplomates dont l'un garde en poche, à l'insu de l'autre, un télégramme réglant la question en litige… L'arrivée de Maligny fut un coup de théâtre qui interrompit soudain le brocantage. Hilda Campbell le vit la première. Sa distraction était grande, depuis qu'elle avait remis pied à terre, et ses beaux yeux bleus ne quittaient guère la porte grande ouverte. Le jeune homme resterait-il à l'attendre dans la rue? Se déciderait-il à passer sur le seuil?.. C'était lui!.. De nouveau, l'émotion de la pauvre enfant fut si forte que l'ondée de son sang pur colora ses joues minces d'une pourpre brûlante. Ses doigts se crispèrent autour de sa cravache. Oui, qu'elle était jolie ainsi, debout, sa taille fine serrée dans le corsage de son amazone gris de fer! La jupe, taillée en deux morceaux séparés, à la plus récente mode d'alors, affinait encore l'élégante sveltesse de sa silhouette. Les pans relevés, pour lui permettre de marcher, laissaient voir ses fines bottes en cuir jaune dont la gauche portait un éperon. Ses cheveux, que Maligny n'avait vus qu'ébouriffés par le désordre de la lutte avec le chemineau, serraient, maintenant, leurs nattes fauves sous le chapeau rond. La netteté de cette toilette, si sobre et si professionnelle, frappa aussitôt le visiteur d'un étonnement que l'attitude de la jeune fille augmenta encore. On se souvient qu'il l'avait quittée farouche et presque irritée de sa poursuite. Peut-être, si la blessure de sa main ne l'avait pas arrêté d'abord dans son entreprise, l'aurait-il en revenant rue de Pomereu l'après-midi ou le lendemain de leur aventure, retrouvée tendue dans la même sauvage humeur. Dix jours avaient passé, durant lesquels l'emprisonnement de Jules à la chambre et sa totale ignorance du nom de son inconnue l'avaient plus servi que n'eût fait la plus savante manœuvre de rouerie. Hilda s'était habituée à penser à lui sans se défendre contre les images attirantes que lui représentait sa mémoire émue: des yeux câlins, une pâleur patricienne, un sourire fin sous le voile léger de la moustache, une fière tournure de hardi cavalier – et cette blessure reçue pour elle! La virginale enfant s'était apprivoisée sans le savoir, suspendue au bulletin de santé dont le brave Corbin s'instituait le rapporteur quotidien.

      De tout ce travail, accompli dans ce cœur si jeune, par l'admiration, la reconnaissance, la curiosité, le besoin d'aimer aussi et la naturelle ardeur de la passion naissante, Maligny eut, tout de suite, une trop évidente preuve. Il put voir, à mesure qu'il s'avançait, un sourire de surprise heureuse éclairer ce ravissant visage, teinté de rose, la tête blonde de la jeune fille se tourner vers le gros homme, debout près d'elle, en même temps que sa gracieuse bouche, aux lèvres comme ourlées, prononçait quelques mots. Une joie pareille, quoique plus flegmatique, éclata sur le masque sanguin du gros Bob. Cette même joie rayonna dans la falote physionomie du grand et long Jack, lequel laissa retomber le pied de son Irlandais, – au risque de faire manquer cette vente à son oncle. L'acheteur et l'acheteuse demeurèrent décontenancés, une seconde, par ce changement à vue auquel il leur était impossible de rien comprendre, – moins, cependant, que le jeune homme, lorsque Campbell s'avança vers lui. Et lui prenant la main gauche, – la droite était toujours bandée, – le digne marchand de chevaux la serra vigoureusement en lui disant la phrase que Jules avait prévue, mais sur un ton et avec une adjonction qu'il n'attendait certes pas:

      – «How do you do, monsieur de Maligny? Très heureux de faire votre accointance…»

      C'était une concession de l'insulaire aux naturels du pays qu'il daignait coloniser, que cet effort pour traduire le britannique: to make your acquaintance. Bob avait beau être un maquignon, très honnête, c'était un maquignon. Il avait pris l'habitude, ayant remarqué qu'un acheteur qui sourit est un acheteur un peu désarmé, d'exagérer ses fautes de français. L'habitude lui en restait, même dans les circonstances où il n'avait aucun intérêt à jouer l'Inglisch de café-concert.

      – «Oui», insista-t-il, «je sais que, sans vous, ma pauvre Hilda était, – comment dites-vous cela? —meurdérée.» (Autre insularité. Il traduisait murdered à sa façon.) Nous n'avons point porté plainte, parce que nous savons qu'en France vous n'avez pas de juges. Vous ne les payez pas assez haut.» (Ici, insularité double: haut pour cher, pur anglicisme, et une impertinence à l'égard des continentaux.) «Chez vous, nous nous faisons justice nous-mêmes, nous autres, Anglais, quand nous pouvons!..» (Une mimique de boxeur commenta cet aphorisme.) «Et, quand nous ne pouvons pas, nous nous rappelons que Christ s'est réservé la vengeance.» (Dernière insularité: un rappel de la Bible et de saint Paul à propos d'une vulgaire histoire de maraudeur.) «Monsieur de Maligny, permettez-moi de vous introduire mon neveu, M. John Corbin.»

      – «Très heureux, monsieur…» Ces trois mots, accompagnés d'un serrement de main à décrocher le bras valide de Jules, firent tout le discours du cousin de Hilda. Mais à voir l'expression de son regard de bonne bête reconnaissante dans sa longue face chevaline, comment douter que le digne écuyer ne fût aussi ému que son oncle? Il y avait chez ce garçon rude et solitaire, qui avait passé son existence à surveiller le mesurage de l'avoine dans les mangeoires et à secouer les litières pour savoir si les animaux avaient besoin de sulfate de soude ou de graine de lin, un extraordinaire pouvoir de romanesque. C'était lui, le pauvre demi-valet d'écurie, et non le jeune gentilhomme déjà gâté, qui aimait vraiment Hilda, – comme l'ingénieux Hidalgo, auquel il ressemblait physiquement, aimait la Dame du Toboso, – d'un culte absolument, passionnément désintéressé. Il n'avait jamais rêvé, même une heure, que sa secrète ferveur pour son exquise cousine pût être, non point partagée, mais comprise. Du moins elle n'avait, jusqu'ici, aimé personne. Il le savait et, pour cet amoureux caché, quelle douceur que cette certitude! Il savait également qu'elle aimerait un jour. Cela, Jack était prêt à l'accepter, pourvu que le rival préféré ne prît pas ombrage des menus soins dont il entourait la jeune fille. Au premier moment, la charmante tournure de celui auquel miss Campbell devait la vie n'excita donc, dans ce noble cœur primitif, aucune jalousie, quoique l'intérêt témoigné par elle, pour la santé du blessé de la rue de Monsieur, eût déjà éveillé son attention. Comment, d'ailleurs, se fût-il mépris, lui qui la connaissait si bien, au trouble dont elle était possédée, à ne pourvoir le cacher? Rien que le timbre étouffé de sa voix suffisait à la trahir.

      – «J'ai dit à mon père, M. Campbell, et à mon cousin, M. John Corbin, combien vous aviez montré de courage, monsieur,» avait-elle commencé. «J'espère que votre blessure СКАЧАТЬ